©Antoine Atallah
Après la publication de Beyrouth Panoramique en langues arabe, française et anglaise par Plan BEY en 2018, la deuxième édition a été exposée, le 11 mai 2024, à Jacaranda, Mar Mikhaël. Architecte-urbaniste, Antoine Atallah évoque les périodes successives d’une ville en constante métamorphose au gré des fluctuations culturelles, sociales, économiques et géopolitiques.
Beyrouth Panoramique retrace l’histoire de Beyrouth avec une succession d’images panoramiques prises depuis son centre-ville en 1870, 1910 et 1952, annotées des lieux qui constituaient la ville à ces différentes périodes. La représentation d’une «ville fantôme» illustre ce qui fut à jamais perdu pendant et après la guerre. Une carte du centre-ville durant la révolte du 17 octobre 2019 restitue l’espace transformé temporairement et clôture cette publication.
Antoine Atallah s’est confié à Ici Beyrouth sur son parcours d’architecte-urbaniste, chef de projet à l’agence HDZ depuis 2021, après avoir obtenu son diplôme d’architecture à l’Université américaine de Beyrouth et poursuivi ses études en urbanisme à l’École d’architecture de Marne-la-Vallée. Vice-président de l’ONG Save Beirut Heritage et engagé dans la société civile libanaise, il mène des missions sur le patrimoine architectural, l’environnement, les politiques publiques et le droit à la ville.
«Le travail exposé ici, dit-il, est issu d’un travail amateur à travers des discussions sur les réseaux sociaux avec un groupe de gens passionnés de photos, d’archives, de l’histoire de Beyrouth et aussi à travers des articles et des livres. Je partageais des vues aériennes très anciennes et j’essayais de croiser photos et vue aérienne pour localiser les bâtiments. Ce n’est pas le travail abouti qui devrait un jour exister pour raconter l’histoire de Beyrouth, mais une première synthèse de ce que nous avons discuté avec le groupe. Il fallait donner forme à ce travail collectif et mettre sur papier dans un format pédagogique, facile à comprendre, ce que nous savons sur l’histoire de Beyrouth et que la majorité des gens ne connaissent pas. Nous sommes tombés sur une série de panoramiques où l’on voit l’évolution de la ville à travers le temps. De là est venue l’idée de partir de ces documents photographiques mis les uns à la suite des autres. J’ai annoté les lieux avec l’aide de Léa Paulikevitch sur les panoramiques de 1870, 1910 et 1952 et rédigé un texte qui raconte pourquoi la ville a changé de cette manière et quels ont été les facteurs économiques, politiques, marchands.»
Tour à tour, Antoine Atallah a présenté les quatre panoramiques de la ville à commencer par 1870, prise et éditée par l’atelier de Félix Bonfils. Les murs qui encerclaient la ville de Beyrouth ont été démolis par les Ottomans. On y voit des habitations aux toits plats couronnés de créneaux, des khans, des mosquées, synagogues et églises, les deux forteresses des Croisés et la tour de Borj el-Kashaf devenue place des Martyrs. Le développement économique profite à une bourgeoisie marchande qui construit de grandes demeures aux trois arches et aux toits de tuiles grâce à l’importation de tuiles de Marseille, de marbre d’Italie et de fer forgé d’Angleterre. Les différentes communautés se positionnent au cœur de Beyrouth. «Presque plus rien n’existe aujourd’hui de ce qui faisait Beyrouth en 1870», ajoute l’architecte.
La panoramique de 1910, éditée par André Terzis & Fils, révèle la jetée du port, les grands quais et la destruction des deux forteresses. Les maisons aux tuiles rouges se sont étendues vers la colline d’Achrafieh et de Ras Beyrouth. De grands pans de la ville arabe perdurent avant d’être rasés sous le mandat français. Des lieux de culte comme la cathédrale Saint-Georges des maronites et de nouveaux immeubles comme le Petit sérail sont apparus. «Après 1910, enchaîne Antoine Atallah, il y a eu la première guerre, la chute de l’empire ottoman, le mandat français puis la deuxième guerre et l’indépendance du pays en 1943. Ces changements géopolitiques ont induit de profondes mutations urbaines.»
La panoramique de 1952, prise par Alphonse Garabédian, dévoile l’influence du mandat français au centre-ville, à la place de l’Étoile et dans les rues larges et rectilignes. Les immeubles de rapport au format haussmannien contrastent avec les maisons d’époque ottomane. Le port s’est étendu jusqu’au quartier Medawar; le Parlement, l’horloge de l’Étoile et la municipalité de Beyrouth construits sous le mandat symbolisent la république libanaise émergente. À l’indépendance, le Liban adopte une architecture moderne, le béton remplace la pierre. Des immeubles, des sièges de banques, des bureaux apparaissent; les hangars du port se multiplient, expriment une économie de marché et de services. Cinémas, cafés, restaurants, commerces et grands hôtels se positionnent le long de la côte tandis que des institutions religieuses disparaissent. La place des Martyrs devient une gare routière ralliant toutes les grandes villes et celles de Syrie et de Palestine.
«En 1952, dit Atallah, Beyrouth est un palimpseste, ce parchemin dont des parties ont été effacées pour être réécrites. La diversité architecturale fait la richesse du tissu urbain. La guerre de 1975 a entraîné des destructions dans les années 80 puis Solidere a exproprié les gens pour reconstruire le centre-ville, 80% des bâtiments pouvaient être restaurés, mais il n’en reste que 20%. La place des Martyrs est devenue un parking. Le centre-ville est la vitrine d’une élite politique et financière. Représenter les choses permet d’en rendre compte et d’en prendre conscience.»
Antoine Atallah a introduit la carte Al- Balad racontant la transformation du centre-ville pendant la révolte du 17 octobre 2019. Une reconfiguration aussi spontanée qu’éphémère de ce qu’était Beyrouth avant 1975 «mais si marquante, pour ne pas oublier ce que nous sommes capables d’imaginer et de construire ensemble», conclut-il.
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