Nada Chaoul: «La francophonie est une action de solidarité et d’aide»
©Nada Chaoul M. Denis Fadda président international de la RF et Ibrahim Tabet ex-président de la délégation Liban de la RF.

Dans un entretien portant sur les défis de la francophonie, Nada Chaoul, présidente de la délégation libanaise de la Renaissance française, affirme à Ici Beyrouth: «Même les chiffres, réputés froids et sans âme, révèlent qu'en 2070, il y aura 500 à 800 millions de francophones dans le monde, en majorité des jeunes vivant en Afrique.»
Considérée comme la première initiative institutionnelle francophone, la Renaissance française (RF) est fondée en 1915 par le président Raymond Poincaré, afin de faciliter aux habitants de l’Alsace et de la Moselle le retour à la langue et à la culture françaises, persécutées par la politique de germanisation à outrance. L’homme de paix inscrit les valeurs de reconstruction de la paix au cœur de son projet de sauvegarde linguistique et culturelle. La plupart des présidents d’honneur de la RF ont été des membres de l’Académie française. D’ailleurs, la médaille de la Renaissance française est décernée chaque année à un auteur, pour l’ensemble de son œuvre. En 2020, elle fut attribuée à Alexandre Najjar. Depuis 2016, un Prix littéraire de la RF, dont le jury est présidé par Daniel Rondeau de l’Académie française, récompense l’œuvre écrite en français d’un écrivain dont la langue française n’est pas la langue maternelle. Nommée sur la suggestion du président Ibrahim Tabet par le président international de la RF, Denis Fadda, après accord des instances concernées de l’association à Paris, la professeure de droit à l’USJ et l'autrice Nada Chaoul devient le 8 avril dernier la présidente de la délégation Liban. Le comité qu’elle préside est constitué par Ibrahim Tabet, vice-président; Denise Revers-Haddad, secrétaire générale ; Michel Comati, trésorier; et Hayssam Ghoche, responsable administratif, technologique et archives. Ici Beyrouth a rencontré Nada Chaoul afin de discuter des nouveaux défis de la francophonie.
Quels sont les projets actuels et futurs de la délégation libanaise de la RF que vous présidez?
L’élargissement et l’ouverture à de nouveaux membres actifs dans la réalisation des objectifs de la RF, à savoir la diffusion de la francophonie et de la culture, d’une part; la solidarité, la construction et la pérennisation de la paix, d’autre part. Une attention particulière sera accordée aux candidatures féminines et à celles des jeunes. Un autre objectif de la délégation libanaise est de communiquer davantage et d’avoir plus de visibilité. C’est pourquoi nous remercions Ici Beyrouth de sa contribution médiatique à la réalisation de ce but. Parmi les activités culturelles prévues, je tiens à mentionner la remise de la médaille d’honneur de la RF à une personnalité libanaise ayant œuvré à la réalisation des objectifs précités de l’association.
Nada Chaoul.
Le Liban a toujours été un pays très francophone. Aujourd’hui, la francophonie bat de l’aile au Liban devant l’anglais qui monopolise tous les secteurs. Comment agir pour faire rayonner à nouveau la langue de la culture?
En effet, l’objectif de la francophonie n’est pas tant de combattre l’anglais – d’ailleurs, le titre d’un ouvrage paru récemment, La langue anglaise n’existe pas, c’est du français mal prononcé en allusion aux très nombreux mots anglais d’origine française, donne le ton – que de répandre l’idée que le français n’est pas seulement une langue, mais un vecteur de la philosophie des Lumières, des libertés, des droits de l’homme et des valeurs humanistes. En effet, dès qu’on évoque la langue française, comme il a été écrit, l’attachement à celle-ci apparaît avec «des cris d’amour qui s’élèvent de la francophonie et d’ailleurs». Même les chiffres, réputés froids et sans âme, révèlent qu’en 2070, il y aura 500 à 800 millions de francophones dans le monde, en majorité des jeunes vivant en Afrique. Alors, ringard, le combat pour la francophonie? Au contraire, c’est d’une francophonie jeune, vivante, dynamique et tournée vers l’avenir qu’il s’agit aujourd’hui.

Certaines voix prétendent que la francophonie «est un moyen détourné» pour la France, après la décolonisation, de rentrer à nouveau dans le champ de la domination d’autres pays.
Du fait de ces griefs, même non fondés, la France privilégie, à l’heure actuelle, l’usage de l’expression «diversité culturelle», plus consensuelle et mieux acceptée dans les cercles internationaux. Elle n’adopte le terme de «francophonie» dans les activités culturelles qu’elle parraine, que dans le cadre plus large du «plurilinguisme». Ainsi, «Le Salon du livre francophone de Beyrouth» se dénomme désormais «Festival Beyrouth-Livres», ce qui exprime la volonté d’ouverture de l’action littéraire francophone à d’autres cultures du monde.
Dans votre conférence donnée à l’ambassade de France le 18 avril 2024, à l’invitation de l’ordre national du Mérite au Liban, vous avez posé la problématique suivante: si la francophonie est indéniablement une cause à défendre, la diversité culturelle peut-elle être considérée comme telle, ou est-elle tout simplement un état de fait?
Il me semble que la diversité culturelle se ramène à l’idée que chaque pays ou groupe de pays possède sa culture et sa langue, une situation qu’il défend naturellement en les utilisant. De ce fait, et contrairement à la francophonie, produit d’une volonté réelle de développement, fondée sur des institutions et des politiques solides, la question de savoir si elle est une cause pourrait être controversée, ou du moins donner lieu à des approches nuancées.
Le prince Gabriel de Broglie membre de l'Académie française et président actuel d'honneur de la Renaissance française après Simone Veil.
On parle aujourd’hui de francophonie active. Pouvez-vous expliquer en quoi cela consiste?
La francophonie n’est pas statique et a connu une évolution marquée ces dernières années. On peut se demander si elle est aujourd’hui seulement une appartenance culturelle ou si elle a dépassé le fait identitaire vers un engagement plus tangible et des résultats socioéconomiques palpables. Surtout depuis l’accession de la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Louise Mushikiwabo, à ses fonctions en 2018, on parle désormais de francophonie active. Cela se traduit par des actions concrètes, comme l’autonomisation des femmes en Afrique, leur accès au numérique, au travail et à l’indépendance financière. Cette évolution en cours a-t-elle transformé la francophonie culturelle en une francophonie action sociale? La question est légitime et demeure ouverte. Toujours est-il que la francophonie refuse désormais d’être un concept figé et se veut une action de solidarité et d’aide aux populations dans les régions francophones. Elle est en cours d’évolution afin de déterminer des objectifs qui mettent en œuvre, dans la pratique, les valeurs culturelles et humanistes qu’elle véhicule.
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