Les conditions d’hygiène précaires dans lesquelles vivent les migrants syriens au Liban ont contribué au cours de la dernière décennie à la résurgence et l’exacerbation de certaines épidémies. À défaut de solutions tangibles, le Liban s’approche d’un point de rupture.
La récente éclosion de plusieurs maladies infectieuses, à savoir la jaunisse, l’hépatite A, la gale et diverses formes d’éruptions cutanées, dans les camps de migrants syriens au Liban, suscite des préoccupations de plus en plus sérieuses. Si, pour le moment, seule la présence des maladies susmentionnées a été confirmée, rien n’atteste qu’elles soient les seules répandues dans les campements, notamment à Ersal, dans la Békaa. En l’absence de dépistages réguliers et systématiques à grande échelle, il demeure difficile de parvenir à des conclusions probantes.
Le ministère de la Santé en semble convaincu. L’émergence de la jaunisse dans les camps des migrants syriens «est d’autant plus préoccupante que cette maladie est contagieuse et que les conditions précaires régnant dans les camps pourraient favoriser sa propagation ainsi que l’émergence d’autres épidémies», peut-on lire dans un communiqué du ministère, daté du 10 mai. Ces fléaux constitueraient une menace non seulement pour la santé des migrants, mais également pour les villages avoisinants. En fait, la majorité de ces Syriens réside dans les zones les plus défavorisées du pays, notamment dans la Békaa et au Liban-Nord, où une grande partie de la communauté hôte vit, elle-même, dans une situation précaire.
Réduction des financements
La surpopulation, conjuguée à la défaillance, voire l’absence des infrastructures adéquates, a gravement détérioré les conditions hygiéniques dans les quelque 160 camps, désormais insalubres, de Ersal. Les fosses septiques ne sont pas vidangées. D’ailleurs, elles ne respectent aucunement les normes sanitaires. Ce problème serait dû à une baisse drastique des fonds alloués à l’Unicef, destinés aux services d’eau, d’assainissement et d’hygiène.
Selon Édouard Beigbeder, représentant de l’Unicef au Liban, l’agence onusienne aurait besoin d’un minimum de 12 millions de dollars américains pour fournir, par l’intermédiaire de ses partenaires, le «niveau minimal acceptable» de ces services aux migrants dans les camps informels. «À ce jour, et en raison de nouvelles réductions de financement, moins de 4 millions de dollars sont disponibles», a-t-il déploré dans un communiqué, publié le 13 mai.
En outre, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) avait annoncé, le 2 mai, que le financement des interventions médicales jugées «non urgentes» – c’est-à-dire celles où «il n’y a pas de risque immédiat pour la vie» – sera réduit de 60 à 70% à partir du 1ᵉʳ juin. Ces restrictions budgétaires soulèvent des interrogations quant aux répercussions potentielles sur la propagation des épidémies. Une situation qui risque d’ébranler davantage un système de santé éprouvé par les multiples difficultés que traverse le pays.
Flambée épidémique
En raison de ses frontières passoires avec la Syrie, le Liban a connu plusieurs épidémies liées à l’afflux massif de près de deux millions de migrants syriens, fuyant (pour certains) la guerre dans leur pays. En 2013, une flambée épidémique de leishmaniose cutanée a été déclarée. Il s’agit d’une infection de la peau provoquée par un parasite du genre Leishmania transmis par la piqûre d’insectes, appelés phlébotomes. Selon une étude publiée en avril 2014 par l’équipe de Abdel Rahman Bizri, spécialiste de maladies infectieuses, 1.033 cas ont été recensés en 2013, dont 96,6% parmi les migrants syriens. «En 2010, le nombre maximal de cas signalés par an s’élevait à six, précisent les auteurs. Ainsi, les professionnels de la santé, les établissements médicaux et les autorités libanaises ne sont pas prêts à faire face à une éventuelle épidémie de cette maladie, particulièrement si elle se déclare dans des zones rurales disposant de ressources médicales limitées.»
Vagues de contamination
Par ailleurs, le taux d’incidence de l’hépatite A au Liban a considérablement augmenté en 2013 pour atteindre 33 cas pour 100.000 personnes. Il oscillait uniquement entre 5 et 18 cas pour 100.000 personnes avant 2011. Le nombre moyen annuel de cas signalés d’hépatite A au Liban était d’environ 300 entre 2001 et 2012. En revanche, en 2014, le ministère de la Santé en a enregistré près de 2.600 nouveaux cas parmi les ressortissants libanais. Cette hausse a été principalement observée dans les gouvernorats de la Békaa et du Liban-Nord, qui sont les plus proches des frontières syriennes et qui enregistrent la plus forte densité de migrants. Par ailleurs, en 2013, seuls 220 cas de Syriens présentant des symptômes de l’hépatite A ont été signalés aux autorités libanaises. Ce chiffre s’est élevé à 859 cas en 2014.
Une résurgence de l’épidémie d’hépatite A a été notée au Liban en 2022, avec 609 cas recensés, selon un rapport publié par le ministère de la Santé en juin 2022. La majorité des cas concernait des résidents des deux gouvernorats susmentionnés. Une forte augmentation a été particulièrement observée en été. Elle serait attribuée à la contamination de l’eau et à la dégradation des infrastructures sanitaires. Ce contexte aurait favorisé la contamination de l’eau potable par des matières fécales, sachant que le virus de l’hépatite A (VHA) est transmis par voie féco-orale. L’assainissement de l’eau et la vaccination contre le VHA permettrait de contenir l’épidémie. Cependant, les contraintes financières et la nécessité de prioriser les budgets de santé limitent l’administration du vaccin contre le VHA, notamment aux personnes vulnérables.
Bilans lourds
Le 5 octobre 2022, une épidémie de choléra a également été déclarée dans la région rurale du Akkar, au nord du pays. Cette infection diarrhéique aiguë est provoquée par l’ingestion d’eau ou d’aliments souillés par une bactérie: le Vibrio cholerae. Le ministre sortant de la Santé, Firas Abiad, avait alors déclaré qu’il est hautement probable que cette vague épidémique soit liée à celle qui sévit en Syrie. Il s’agissait de la première résurgence de cette maladie au Liban depuis 1993. Selon les données des autorités locales, le dernier cas de choléra avait été enregistré le 5 janvier 2023. Le bilan final a été lourd: 671 cas confirmés, 23 décès et plus de 8.000 cas suspects.
Le Liban a également connu plusieurs épidémies de rougeole au cours des vingt dernières années. Il s’agit d’une infection virale éruptive aiguë qui se transmet directement par voie aérienne. En moyenne, dix cas de rougeole étaient signalés chaque année au Liban entre 2010 et 2012. Cependant, en 2013, une épidémie de rougeole est signalée avec 1.760 cas recensés, dont 13,2% étaient parmi les migrants syriens. Elle coïncidait avec un afflux massif de ces derniers. Cinq ans plus tard, une deuxième vague épidémique est signalée avec 952 et 1.070 cas en 2018 et 2019, respectivement. Les gouvernorats les plus touchés étaient également ceux de la Békaa (44,5%) et du Liban-Nord (34,4%). Une troisième vague survient en 2023: 77% des cas n’étaient pas vaccinés.
Finalement, l’arrivée de migrants syriens au Liban a été associée à une prévalence accrue de la tuberculose, qui était en déclin avant 2011. En 2012, le nombre de cas de tuberculose a augmenté de 27%, avec un total de 630 cas signalés, et les chiffres ont continué d’augmenter jusqu’en 2014.
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