La mort du président Ebrahim Raïssi et de son ministre des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, dans le crash de leur hélicoptère, dimanche 19 mai, a relancé les spéculations sur la succession en Iran, tant pour le poste de guide suprême que pour celui de président de la République.
Certes, «la succession» ne serait pas à l’origine du crash, mais dès l’annonce de l’accident, une multitude de questions ont émergé. Elles restent sans réponse, faute d’informations suffisantes pour faire la lumière sur ce qui s’est passé. Il se pourrait qu’on ne le sache d’ailleurs jamais, comme c’est souvent le cas dans les pays ayant perdu leurs dirigeants, à l’instar du Liban.
Les questions principales concernent le comportement des deux hélicoptères d’escorte. Pourquoi l’hélicoptère présidentiel a-t-il été le seul impliqué dans l’accident parmi les trois, s’il est vrai que les conditions météorologiques en sont la cause? Pourquoi les deux autres hélicoptères n’ont-ils pas essayé de localiser le site du crash s’ils volaient ensemble? L’hélicoptère de Raïssi volait-il seul et, dans ce cas, pourquoi a-t-il suivi une trajectoire différente alors que les deux hélicoptères d’escorte étaient supposés rester à ses côtés? Pourquoi les organisateurs ont-ils opté pour un retour en hélicoptère alors que Raïssi et la délégation qui l’accompagnait avaient pris l’avion pour se rendre en Azerbaïdjan, en sachant que le trajet était risqué en raison de la faible visibilité et du brouillard épais, d’après les informations fournies?
Pourquoi n’ont-ils pas garanti la sécurité du voyage aller-retour, une responsabilité habituellement attribuée à l’équipe de sécurité du président? Pourquoi les autorités azéries n’ont-elles pas averti l’équipe de sécurité présidentielle des dangers de voler en hélicoptère dans cette région? Et pourquoi les données météorologiques étaient-elles absentes du système GPS le 19 mai?
Autant de questions et bien d’autres encore qui demeurent sans réponse.
Plusieurs inconnues
Néanmoins, la question qui intéresse les centres de décision dans le monde se rapporte à l’impact de la mort de Raïssi sur l’Iran. La disparition de ce dernier a été jugée suffisamment importante par le président américain, Joe Biden, pour le pousser à interrompre ses activités du week-end et à retourner à la Maison-Blanche. Selon les informations obtenues, il a convoqué les hauts responsables de l’administration américaine pour suivre l’événement. Plusieurs pays, à la tête desquels figurent les États-Unis, ont proposé leur aide pour localiser l’hélicoptère. À la demande de l’Iran, des équipes de secours de plusieurs pays ont été mobilisées et certaines ont été dépêchées sur le site de l’accident, malgré les conditions météorologiques difficiles.
L’Iran traverse une période décisive à cause des nombreuses inconnues liées à la succession de Raïssi, lesquelles alimentent une série de questions en lien avec l’après-Raïssi. Conformément à la Constitution iranienne, un nouveau chef de l’État doit être élu dans un délai de cinquante jours. Mais qui succédera à Raïssi? Est-ce qu’une entente sera conclue pour qu’en même temps, un guide suprême soit désigné, un président élu et le conflit politique, notamment entre les Pasdaran et les mollahs, interrompu?
Est-il vrai que l’on envisage de mettre fin au rôle politique du guide suprême qui sera maintenu en tant qu’autorité religieuse, comme c’est le cas pour Sistani en Irak et le cheikh d’Al-Azhar en Égypte? Est-il vrai aussi qu’il est question de séparer la religion de la politique et de remplacer le régime des mollahs par un système démocratique présidentiel-parlementaire?
Cette transformation, si elle se confirme, impliquerait la fin de la dichotomie au niveau de la sécurité, laquelle se manifeste à travers le rôle qu’assume l’armée –qui assure la sécurité, la stabilité, la protection de la souveraineté et des frontières – et celui du Corps des gardiens de la révolution, chargé d’exporter la révolution et qui intervient dans tous les domaines, au point de devenir la référence principale et l’instrument militaire de sécurité du guide.
C’est très probablement ce que recherche la communauté internationale dans le cadre de son projet d’un nouveau Moyen-Orient où les armes seraient entre les mains des autorités légitimes.
Le changement et la transformation fondamentaux en cours en Arabie saoudite illustrent le schéma qui devrait s’étendre à toute la région, selon une source diplomatique occidentale pour qui trois pays devraient revoir leur politique, leur projet étatique et peut-être même leur système et leur comportement. Il s’agit de la Turquie, qui devrait renoncer à l’extrémisme sunnite, l’Iran qui doit cesser d’exporter sa révolution et l’extrémisme chiite, limiter les pouvoirs et le rôle du guide suprême aux affaires religieuses, et Israël, qui doit renoncer à son tour à l’extrémisme raciste, retirer l’expression «État juif» de son système, s’éloigner de l’extrémisme religieux et mettre un terme aux institutions religieuses et à leur ingérence dans la politique et les décisions de l’État.
Ces transformations profondes et fondamentales permettraient à ces trois États de devenir partie intégrante d’un règlement global, qui prône la modération dans la région et met fin au «rôle» des organisations armées dans la déstabilisation de pays sous prétexte d’exporter la révolution. Avec cette transformation tant espérée, la région entrera dans l’ère du nouveau Moyen-Orient.
Une autre question se pose dans le même ordre d’idées. La région s’oriente-t-elle vers l’escalade ou vers un règlement? Les Gardiens de la révolution ont appelé le Hamas, le Jihad islamique, le Hezbollah, les Houthis et les forces du Hachd al-Chaabi à intensifier leurs efforts jusqu’à la victoire à Gaza. Reste à voir cependant si un changement quelconque peut intervenir d’ici à juillet lorsque l’administration Biden s’engagera en plein dans la bataille présidentielle.
Quoi qu’il en soit, les conditions ne sont pas encore propices à la tenue d’une conférence internationale pour la paix dans la région, sous l’égide des Nations unies, comme le préconise le sommet arabe de Bahreïn. Selon des sources diplomatiques occidentales, cela s’explique en partie par l’opposition du gouvernement de Benjamin Netanyahou à une solution au conflit israélo-palestinien fondé sur le principe des deux États.
Selon des cercles politiques arabes, cela exigerait d’écarter le gouvernement Netanyahou au profit du courant politique modéré en Israël, pour accompagner un règlement de paix dans la région.
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