«Brotherland» de Georges Melhem: un cri pour la paix

Quinze ans après sa première publication, le roman Brotherland de Georges Melhem revient sur le devant de la scène, remanié et plus pertinent que jamais. À travers l’histoire poignante de jumeaux séparés par le conflit israélo-palestinien, l’auteur lance un vibrant appel à l’empathie et à la réconciliation.
Le destin a parfois une drôle de façon de rapprocher les hommes. C’est ce que nous raconte Brotherland, le dernier roman de l’écrivain libanais Georges Melhem, qui reparaît en librairie, quinze ans après sa première publication, profondément refondu et d’une actualité plus brûlante que jamais. Au cœur de ce récit poignant, deux frères jumeaux, Ameer et Amir, séparés dès leur naissance en Terre sainte en 1948 et adoptés par deux familles que tout oppose: l’une palestinienne, l’autre israélienne.
À travers leurs parcours respectifs, c’est toute la tragédie et l’absurdité du conflit israélo-palestinien que Georges Melhem met en lumière, sans jamais tomber dans le manichéisme ou les jugements à l’emporte-pièce. «Chacun des deux jumeaux aurait pu être à la place de l’autre», insiste l’auteur. «On vit dans un monde où le simple hasard de la naissance suffit à justifier une haine et une violence inouïes envers cet autre qui, pourtant, aurait pu être nous.»
Ameer grandit donc au sein d’une famille palestinienne en fuite permanente, condamnée à une vie de misère et d’humiliations. Amir, lui, est élevé par un officier israélien et sa femme, dans un pays en construction qui vit dans la hantise constante d’être rayé de la carte. Au fil des pages et des décennies, de la création d’Israël en 1948 jusqu’à la première Intifada de 1989, nous suivons ces deux destins qui s’ignorent, mais se font écho, se croisent sans le savoir, s’affrontent parfois dans un face-à-face manqué.
Tarek et Rima d’un côté, Ely et Sarah de l’autre: à travers ces deux couples, c’est toute la complexité humaine du conflit qu’explore Georges Melhem, bien loin des slogans et des postures. Avec un grand souci du détail et de la justesse, il dépeint les aspirations et les peurs intimes de chaque peuple. Pour les Palestiniens, la quête éperdue d’une terre et d’un État. Pour les Israéliens, la terreur viscérale d’être «jetés à la mer», une crainte ravivée par les menaces à peine voilées des dirigeants arabes de l’époque comme Nasser.

Surtout, en filigrane, c’est l’engrenage tragique de la violence que raconte Brotherland. Car, au fil du temps et des drames, Amir et Ameer se durcissent, s’engagent chacun dans son camp, participent aux combats, se croisent sans le savoir lors de mystérieuses rencontres manquées sur le champ de bataille. Un cheminement intime qui épouse les grands bouleversements géopolitiques de la région: l’espoir suscité par les accords d’Oslo, l’émergence d’une société civile israélienne prête à la paix, avant la désillusion tragique de la seconde Intifada, attisée par les extrémistes des deux bords.
Un engrenage meurtrier auquel Georges Melhem, lui-même profondément marqué par la guerre civile libanaise, essaie d’apporter une réponse par l’écriture. C’est d’ailleurs la mort en direct du jeune Mohamad el-Durrah en 2000, fauché par les balles israéliennes alors que son père tentait désespérément de le protéger, qui a été le déclencheur de Brotherland. «La seule chose que je pouvais faire? Écrire… pour moi d’abord. Mais je n’ai pas arrêté», raconte l’auteur. De cette impulsion cathartique est né un roman qui vise à «déconstruire le narratif de la terreur», pour enfin envisager les voies d’une paix juste et durable.
Car le message de Brotherland est limpide: «Ce conflit a assez duré, assez causé de tort, de misère, de mort et de souffrance.» Il est plus que temps, nous dit Georges Melhem, de «ridiculiser la guerre», de tendre des passerelles entre les peuples, de construire des ponts — à commencer dans nos esprits. Une urgence d’autant plus criante à la lumière des événements tragiques du 7 octobre dernier, qui ont vu les extrémistes des deux camps tenter de torpiller une énième tentative de processus de paix.
«Pour vaincre la haine, il faut traverser des ponts qu’il faut d’abord construire soi-même, pour rencontrer et 'devenir' l’autre», écrit magnifiquement Georges Melhem. C’est tout l’enjeu de ce roman solaire et nécessaire, que beaucoup imaginent déjà adapté au cinéma — un scénario est d’ailleurs prêt, dans l’espoir que le septième art puisse porter ce cri pour la paix. «Si quelqu’un avec la bonne intelligence comprend la portée et le potentiel du message que porte ce livre et décide de le financer et de le produire, ce sera formidable», souligne Karim Mezran, auteur et chercheur résident au Atlantic Council.
En attendant, c’est dans les librairies que Brotherland poursuit son chemin initiatique. Les lecteurs de Beyrouth auront d’ailleurs la chance de rencontrer Georges Melhem à l’occasion de deux séances de dédicace, le 3 juin de 17h à 21h à Yasmine Bldg, Rue 33 à Rabieh et le 4 juin de 17h à 21h chez Paul à Saifi. L’auteur sera également présent au très attendu au festival du film Cabriolet. Autant d’occasions, donc, de découvrir ou redécouvrir ce roman puissant et salvateur, ce pont d’empathie tendu entre les hommes.
Car au-delà de tous les clivages, Brotherland nous rappelle avec force cette vérité fondamentale: «Il n’y a pas d’autre.» Seulement des frères humains, des jumeaux dans leur fragilité et leur espoir, artificiellement séparés par les aléas tragiques de l’Histoire sur leur terre commune. Leur «Brotherland».
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