En présence de l’ambassadeur d’Allemagne et à l’occasion de la journée internationale des archives le 9 juin, l’organisation Umam Documentation and Research a relancé son catalogue d’archives en ligne Umam Biblio, accompagné d’une exposition portant sur le matériel visuel des studios Baalbeck, dans l’espace consacré aux expositions et tables rondes, de la résidence Slim, baptisé le Hangar. Cette nouvelle édition est dédiée à Lokman Slim, assassiné au sud du Liban le 3 février 2021. Ici Beyrouth a rencontré Monika Borgmann, la cofondatrice d’Umam, Rasha el-Ameer, l’autrice et éditrice, ainsi que des archivistes œuvrant au sein d’Umam. L’exposition est ouverte gratuitement au public, chaque jour de 11h à 17h, jusqu’au 30 juin.
Depuis sa création en 2005, l’organisation Umam Documentation and Research s’est lancée le défi de mettre à la disposition des citoyens et citoyennes son patrimoine documentaire et archivistique, qui comprend des journaux, des publications, des documents écrits, du matériel audiovisuel et des photos portant principalement sur le Liban et son histoire récente. Pour Umam, ces trésors ont une fonction informative et structurelle dans les débats publics. Ainsi, la création de cette plateforme permet un accès direct aux catalogues et à certains documents digitalisés, indispensables à la mémoire collective d’un peuple.
Umam Biblio existe en deux versions: en arabe avec un contenu en arabe et en anglais avec un contenu en anglais. Les archives d’Umam sont en expansion constante, tant dans leurs fonds physiques que numériques, d’où la permanente évolution de la plateforme. Cette récente édition est soutenue par le ministère fédéral allemand des Affaires étrangères. Auparavant, une première édition avait vu le jour avec l’appui de l’ambassade de Suisse à Beyrouth. L’exposition est soutenue par le programme français «Protection du patrimoine immatériel libanais en péril» grâce à l’Institut français de Beyrouth.
Monika Borgmann
La cofondatrice d’Umam fait part à Ici Beyrouth de sa joie de relancer le site Web (www.umambiblio.org), un catalogue en ligne sur les archives qu’Umam possède, dans sa nouvelle version, dédiée à son époux assassiné. «Pour l’inauguration, nous visionnons des scènes extraites de trois films telles qu’elles ont été repêchées, avant le montage de l’œuvre finalisée, qu’on ne possède pas. Le premier représente le Liban vu du ciel; le deuxième dévoile la vie culturelle, sportive et mondaine de Beyrouth dans les années 60 et 70 et le troisième est un film de Georges Chamchoum intitulé, Le Salut après la mort. C’était notre rêve commun à Lokman et moi de construire et de sauvegarder des archives accessibles à tout le monde. Pour nous, il serait difficile de faire le deuil de la guerre et de passer au stade de la réconciliation sans connaître le passé, pour comprendre le présent et imaginer l’avenir. De même, parler de la belle époque de Beyrouth, sans les documents et les vestiges des lieux emblématiques de la ville, est une gageure.»
Rasha el-Ameer
Bien qu’elle soit préoccupée par les visiteurs, la fondatrice de Dar al-Jadid, répond à nos questions. «C’est un travail de très longue haleine qui avait commencé du vivant de Lokman. Appuyés par les Français, mon frère et Monica ont mis des années, pour restaurer un film en entier, l’un des premiers films des studios Baalbeck, projeté ensuite à la salle Montaigne. Par ailleurs, imaginez que l’un des meilleurs succès du box-office de l’histoire du cinéma égyptien, le thriller joué par la star Souad Hosni, Khalli balak men Zouzou, (Prends garde de Zouzou), ainsi que le montage du film en entier, furent réalisés dans les locaux des studios Baalbeck!» Puis sur un ton triste: «Les archives du Liban ont été vendues aux Émirats. C’est terrible de vendre le patrimoine culturel et artistique de tout un peuple. C’est honteux et inadmissible de laisser d’autres peuples sauvegarder la mémoire collective des Libanais! Personne ne se sent impliqué! Heureusement qu’il y avait Lokman et qu’il y a aujourd’hui Monika Borgmann, sa femme. Et on s’étonne pourquoi notre héritage figure dans les musées d’Allemagne et des USA?»
Ghalia Daher et Ayman Nahlé de l’équipe d’Umam
Ghalia Daher, documentariste, précise qu’Umam possède plusieurs collections importantes, sauvées de la destruction et de l’oubli. À commencer par les archives du Carlton qui accueillait non seulement des touristes, mais des artistes du monde entier, là où les grandes décisions politiques aussi furent décrétées. «L’histoire commence quand, sur son chemin, Lokman Slim croise les camions censés conduire ces archives au dépotoir. Il les achète et sauvegarde trois cent mille documents appartenant au Carlton dans les archives d’Umam. En 2011, Umam apprend que les trésors et les vestiges des studios Baalbeck sont liquidés, voire jetés avec les déchets. Lokman accourt et sauve des milliers de documents, disposés dans un ordre méticuleux, datant de 1962. Les bobines des films récupérés furent digitalisées grâce au travail d’Arsenal (Institut d’art cinématographique et vidéo de Berlin)».
Ayman Nahlé, archiviste audiovisuel et cinéaste, relate à Ici Beyrouth le succès des studios Baalbeck: «Il y avait un directeur financier très habile au sein de la société de production cinématographique pionnière du Liban, Sami Habibi. Ce dernier envoya une invitation à tous les metteurs en scène de l’Europe et des USA, pour venir filmer au Liban. La formule-miracle était la suivante: «Venez produire au Liban, le pays qui possède tout, y compris le soleil.» Les producteurs arrivaient des quatre coins du monde, d’Europe, d’Égypte, d’Arabie saoudite et les metteurs en scène étaient ravis d’avoir à leur disposition l’équipement cinématographique sophistiqué des studios Baalbeck. Le cofondateur des studios Baalbeck, Badih Boulos, était également très sagace, puisqu’il en fit une grosse société industrielle, ne lésinant pas sur les moyens. Soutenu par le banquier Youssef Baidas, l’autre confondateur, il équipa les studios Baalbeck avec le matériel le plus révolutionnaire, inexistant à l’époque, dans tout le Moyen-Orient. Sur un autre plan, nous trouvons, dans les archives sauvées, une collection sur la ville sainte, la Mecque, telle qu’elle était, avant que des infrastructures gigantesques ne soient construites, afin d’accueillir un maximum de pèlerins.»
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