«The Harvest»: lorsque Dalia Baasiri fait renaître les fragments

Jusqu’au 12 juillet, la galerie Janine Rubeiz nous offre, avec l’exposition The Harvest, l’univers prolifique de Dalia Baasiri, artiste multidisciplinaire usant avec dextérité du dessin, de la peinture et de la sculpture comme moyens d’expression.
Artiste aux multiples facettes, formée au graphic design à l’Université américaine de Beyrouth et dotée d’un master en Beaux-Arts du Chelsea College of Arts de Londres, Dalia Basri participé à plusieurs expositions collectives et individuelles tant au Liban qu’à l’étranger, notamment à Dubaï, Paris, Florence, Venise, Barcelone, Londres et Berlin.
Ce beau parcours artistique se nourrit d’une enfance hantée par les fantômes de la guerre civile. Cette toile de fond plutôt sombre, agitée par l’instabilité et la menace de troubles, devient le vivier propice à la création artistique, entretenue par le doute et le questionnement constant de l’artiste. Face à la fragilité de l’existence dans un pays victime de l’absurdité des guerres et de la cupidité des dirigeants, l’artiste trouve refuge dans son art et tente d’explorer le concept de fragilité inhérent à la condition humaine.

Lors de sa résidence artistique à Achkal Alwan de mai à septembre 2023, l’artiste s’attelle à un nouveau projet intitulé The Harvest, où elle collecte tous les éléments de la vie quotidienne témoins de l’usure du temps, de l’absurdité de la guerre ou des catastrophes. Dalia se penche sur ces entités fragiles condamnées à la finitude, vouées à l’anéantissement, pour en stopper la déliquescence.
La récolte est féconde. Débris recueillis minutieusement par l’artiste après l’explosion du port de Beyrouth, bouts de murs écorchés, restes de peintures éraflées, écorces d’arbres, amalgames de cire fondue provenant de bougies allumées par les fidèles pour accompagner leurs incantations et prières. Tous ces fragments dépareillés et épars deviennent les témoins poignants de la marche impitoyable de l’histoire et du temps, laissent leur empreinte indélébile sur les âmes et les corps, marquent au fer rouge tout être et toute chose.

Dalia enferme ces trésors dans des boîtes, les laisse reposer toute une saison dans son atelier comme des limons fertiles pour les faire mûrir et prendre racine. Elle laisse ainsi ces graines invisibles et secrètes germer dans le silence avant de les faire réapparaître sous un nouveau jour pour une nouvelle éclosion. Un geste symbolique qui s’inspire du lent processus de régénération de la nature, qui puise ses forces dans la lente maturation hivernale avant de participer à l’explosion de vie printanière. Durant cette période, l’artiste reste à l’écoute de ses précieux dépôts qu’elle contemple à l’instar des icônes. Elle s’imprègne de leur existence, de l’intensité de leur présence, finit par les assembler, les reconstruire et participe ainsi à l’acte sacré qui consiste à redonner la vie. Tous ces amalgames inertes inanimés deviennent la matière même de l’œuvre artistique et s’inscrivent alors comme une renaissance. Vieilles écorces, restes fondus ou en décomposition redeviennent ainsi matière vivante et durable pour alimenter la texture d’un tronc d’arbre ou d’une branche et reprendre tout leur sens à travers un dessin, un tableau ou une sculpture.
L’artiste crée aussi de petites scènes aux contours flous, inachevés qu’elle effleure avec délicatesse, leur donnant la liberté d’évoluer à leur guise, d’achever leur construction, d’écrire leur propre histoire. Dalia explore ainsi le concept du vide et du plein, de la présence et de l’absence. Ses œuvres laissent apparaître des trous sur les troncs amputés et les branches écaillées. Des manques qui résonnent comme un appel à combler le vide, un rappel de la fragilité de l’existence qui aimante le désir de reconstruction, favorise l’élan créateur.
L’artiste rend ainsi un vibrant hommage à la vulnérabilité humaine considérée comme un puissant moteur de métamorphose. Elle encourage à la reconquête inlassable de la pulsion de vie en dépit de la souffrance et du doute. Une exposition touchante et inspirante qui pousse à la méditation, à la réflexion, à la remise en question: «Et si le grain ne meurt ...?»
À noter que Dalia Baasiri, fidèle à son exploration artistique des émotions et des couleurs, présentera également des œuvres avec cette même thématique lors d’une exposition collective prévue pour la mi-juillet 2023. Intitulée I Wish to be Happy, I Want to be Yellow, cette exposition se tiendra à la prestigieuse Gallery Isabelle située dans le quartier branché d’Alserkal Avenue à Dubaï, sous le commissariat éclairé de Jad Karam.
www. joganne.com
@jogannepaintings
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