Samedi 15 juin a eu lieu en France un acte doublement immonde: le viol d’une fillette de 12 ans, aggravé par le fait qu’elle était juive. Ses agresseurs sont trois adolescents de son âge. Pendant la Nuit de cristal, en 1938, les jeunesses hitlériennes – dont certains n’étaient pas plus âgés que les bourreaux de la jeune fille – ont participé aux attaques contre les commerces juifs, brisant les vitrines et pillant les marchandises. Il n’y a jamais eu de mention spécifique de cas de viol commis par les membres des Jeunesses hitlériennes durant toute la guerre…
Dans le tourbillon de la dissolution de l’Assemblée nationale – où chacun tente de sauver son précieux fauteuil – ce fait innommable semble être relégué au second plan, chaque parti se fendant d’un communiqué d’indignation. Cet acte abject met en exergue la persistance insidieuse de l’antisémitisme qui gangrène la société française, appelant à une lutte implacable contre ce fléau.
Mais, de vaines condamnations, des «temps d’échanges» dans les écoles sur le racisme et l’antisémitisme, comme l’a proposé le président de la République, est-ce vraiment ce que l’on est en droit d’attendre? Est-il concevable qu’en 2024, des pré-adolescents osent ce pire acte que l’on puisse commettre envers une femme, fut-elle juive? Qui saura apporter le réconfort à cette enfant à jamais meurtrie, et à toute une famille dans la douleur, face un monde tellement égoïste qu’il en a perdu sa faculté d’indignation en pratiquant la politique de l’indifférence?
René Guénon, philosophe français du début du XXe siècle, avait prophétisé que nous entrions dans «l’âge de fer», le dernier et le plus sombre des quatre âges dans les cycles cosmiques de la tradition hindoue, celui de la poursuite infinie du plaisir matériel. Les portes de l’espérance, nées de la chute du nazisme, ne sont-elles pas en train de se refermer à jamais? Ce qui devait nous servir d’une ineffable leçon n’a plus aucune valeur dans la pénombre de nos souvenirs.
Qui a connu les années 1970 et 1980 sait combien notre société est devenue pétrie de haine et que pas un jour ne se passe sans de nouvelles atrocités. Cette haine, nous la portons désormais comme un manteau dont nous ne voudrions jamais nous débarrasser. Elle circule partout: dans l’atmosphère terrestre, dans l’air que nous respirons, sous les toits des maisons les plus bourgeoises, dans les cités, dans les rues, sur les chemins forestiers, partout où essaye d’éclore l’admirable, mais tellement décevant phénomène de la vie. C’est une grande douleur de réaliser combien la haine généralisée demeure enfoncée chez la plupart d’entre nous, comme une racine impérissable. Cette douleur légitime de toute évidence l’acte désespéré de Stefan Zweig, qui a choisi d’éteindre à jamais la flamme vacillante de son existence, laissant derrière lui l’écho poignant de ses mots, ultimes témoins d’un humanisme brisé sur l’autel de la barbarie.
Alors que nous reste-t-il pour supporter la fureur de ce monde? Ce qu’aucun parti politique ne peut nous offrir, car il a été volontairement omis de leurs programmes: l’amour. D’ailleurs, si l’on suit, de société en société, et d’âge en âge, les persécutions ont frappé tous ceux qui voulaient prêcher l’amour, cette flamme spirituelle si fugitive qu’elle est aussitôt éteinte, et l’on peut mesurer combien – dans notre monde – peu sont capables de la rallumer. Nous n’avons plus de grands sages ou de grands penseurs pour nous guider. L’amour, dans une destinée est comme un papillon qui se pose et puis qui s’éloigne. L’injustice, la violence et le triomphe des forts sont donc à jamais assurés, car le seul amour qui domine en nous, c’est celui de nous-mêmes.
Faudrait-il croire que l’amour est à jamais vaincu sur terre et que ceux qui y aspirent doivent le chercher ailleurs? C’est une évidence face à cette épidémie de haine qui nous affecte désormais dès le plus jeune âge. Personnellement, au crépuscule de mon existence, je m’en remets à cette parole de Maurice Magre: «Devant la laideur qui triomphe, l’intelligence qui se corrompt, la médiocrité qui envahit toutes les formes de la vie, le devoir de l’homme qui sent jusque dans ses os le souffle de la catastrophe en marche est de pousser très haut le cri de sa vérité et d’appeler, du fond des ténèbres, le rayon spirituel réservé à chacun, son intangible part de lumière dans laquelle l’âme peut s’élancer pour se survivre éternellement.»
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