Dans un pays où les institutions étatiques sont quasiment paralysées, et à la frontière duquel le spectre de la guerre se profile, les recommandations pour une sortie de l’immobilisme du secteur de l’immobilier demeurent hypothétiques.
En revanche, les nombreux panels du deuxième Forum annuel de l’immobilier au Liban, organisé mardi par le syndicat des courtiers et consultants en immobilier au Liban (REAL), auront permis de mettre un coup des projecteurs les problématiques en série auxquelles le secteur de l’immobilier au Liban fait face, d’une part, et les solutions possibles, mais qui demeurent hypothétiques dans la conjoncture actuelle, d’autre part.
Dans ce contexte, on note que le secteur de l’immobilier mérite toute l’attention des responsables politiques, car les revenus fiscaux qu’il génère représentent plus de 30% des recettes du Trésor, alors que sa part du PIB varie entre 15% et 17%.
200.000 transactions non enregistrées
Les transactions immobilières ont reculé de 82% sur les onze premiers mois de 2023 par rapport à la même période un an auparavant. «Bien que les chiffres soient approximatifs, du fait de l’existence d’environ 200.000 transactions conclues auprès de notaires en raison de la fermeture des bureaux des registres fonciers, la tendance à la baisse est indéniable et historique dans les annales du secteur de l’immobilier au Liban», a souligné Walid Moussa, président du Syndicat des courtiers et consultants en immobilier du Liban (Real Estate Syndicate of Lebanon- REAL).
Moussa a évoqué, sans ambages, «l’urgence de la création d’un ministère de l’Habitat, en remplacement du ministère des Déplacés actuel qui n’a plus sa raison d’être, vu que le contentieux des déplacés libanais a été entièrement réglé». Ce ministère prendrait sous sa houlette l’élaboration d’une politique du logement et l’organisation de toutes les procédures d’achat, de vente, de crédit-bail (ou leasing) et de promotion immobilière.
Manque de liquidités
Cela dit, il est clair qu’un développement durable du secteur du logement et de l’immobilier est tributaire de la disponibilité, sur le marché, de fonds pour financer le logement et la promotion immobilière. Or, le problème de liquidité se manifeste dans toute son envergure au Liban. Pour le gouverneur par intérim de la Banque du Liban (BDL), Wassim Mansouri, le manque de liquidité est un phénomène qui n’est pas exclusif au Liban; il a frappé tout le monde arabe bien avant la crise multidimensionnelle qui a éclaté en 2019 au Liban. Selon lui, la solution au manque de fonds au pays du Cèdre passe par une redynamisation de l’activité du secteur bancaire; une redynamisation qui se ferait à travers une résolution de la crise des dépôts et une restauration de la confiance entre le créancier et le débiteur.
«La restructuration des banques sera sans aucun effet sans son intégration dans un plan de redressement global», affirme Riad Obegi, PDG de Bemo Bank, qui explique, par ailleurs, que la BDL ne permet pas, pour le moment, aux banques d’accorder des crédits à partir de leurs dépôts en livres et en dollars frais. En fait, elle exige une provision de 100% des nouveaux dépôts.
Reprenant l’idée développée par le Fonds monétaire international (FMI) dans un de ses rapports sur la crise libanaise, le directeur de la recherche à Byblos Bank, Nassib Ghobril, a estimé que le remboursement des prêts bancaires libellés en dollars sur la base d’un taux de 1,507 livres pour un dollar a permis une redistribution des richesses en faveur des acquéreurs de biens immobiliers. Dans ce contexte, on rappelle que les encours de crédits immobiliers représentent encore quelque 7 milliards de dollars.
Un cadre légal opaque et dysfonctionnel
Le représentant de l’Ordre des avocats de Beyrouth, maître Abdo Ghossoub, a dénoncé un cadre juridique et légal lacunaire qui met en face à face les acheteurs et les vendeurs, d’une part, les locataires et les propriétaires, d’autre part. Ainsi, il a exhorté les responsables à officialiser, dans les plus brefs délais, un taux de change unifié de la livre face au billet vert. «La Cour de cassation n’a, jusqu’à ce jour, pas statué sur un litige immobilier pour constituer une jurisprudence en la matière», a-t-il souligné, ajoutant que les magistrats ont recours à la médiation ou à la conciliation pour régler les litiges.
Unification des critères
De son côté, le directeur de l’Établissement public de l’habitat (EPH), Rony Lahoud, a réclamé avec insistance une unification des critères techniques d’estimation de l’immobilier, considérant comme inadmissible le fait qu’une quinzaine d’organismes étatiques et semi-étatiques accordent des prêts à l’habitat sur base de normes qui leur sont propres. Dans ce contexte, il a vaillamment dénoncé l’octroi à la classe aisée de prêts à l’habitat subventionnés, permettant à chaque bénéficiaire de profiter d’une avance de 1,5 million de dollars. «Une pratique qui n’a jamais été de mise dans les pays arabes les plus riches ou dans les pays européens», a-t-il martelé.
Mécaniser les procédures
Par ailleurs, le directeur général par intérim du ministère des Finances, Georges Maarawi, a soulevé l’urgence de mécaniser toutes les procédures foncières afin de supprimer les lourdeurs administratives et les retombées d’éventuels débrayages au sein des administrations publiques. Dans les faits, depuis deux ans, le travail intermittent des fonctionnaires des bureaux des registres fonciers a causé un manque à gagner au Trésor d’environ 200 millions de dollars. Dans cette foulée, M. Maarawi a révélé que la Banque mondiale a supprimé une promesse de prêt faite au Liban en 2018 et destinée à mécaniser l’administration.
La paresse du Parlement
Les projets et les propositions de loi visant à apporter des solutions aux problématiques en série du secteur de l’immobilier ne manquent pas. En revanche, c’est le Parlement qui brille par son absence et sa paresse.
Le dernier projet de loi en date vise à relier les notaires aux secrétariats du registre foncier et aux services fiscaux compétents, afin de faciliter le processus d’enregistrement des transactions de vente immobilière et garantir le droit des parties au contrat et celui du Trésor. Ce projet de loi a été discuté pendant deux séances par les commissions parlementaires compétentes, en attendant une suite à donner.
Dans ce contexte, on citera quelques exemples, notamment le projet de loi sur le crédit-bail, qui se trouve depuis 2012 dans les tiroirs de la Chambre, et le projet de loi sur une stratégie nationale de l’habitat remontant à 2018.
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