L’information est passée inaperçue. À l’issue de la rencontre, à Bkerké, des chefs religieux des communautés libanaises, deux appels à la prière pour la paix au Liban et à Gaza ont été lancés, l’un par le patriarche, l’autre par le mufti de la République. Cet appel commun à la prière est très significatif, dans la mesure où il exprime, en termes non offensifs, le refus de la guerre dans laquelle le Hezbollah a entraîné le Liban.
Dans son appel, le mufti Abdel Latif Deriane a clairement indiqué que ses invocations iraient aussi aux «martyrs» qui tombent au Liban-Sud. Ce terme n’est pas dû au hasard. Il s’agit en fait d’une concession, ou d’une «réparation» convenue d’un commun accord avec le patriarche, assurent les milieux proches du mufti, après l’homélie dans laquelle les actes de guerre au Liban-Sud ont été qualifiés d’«actes terroristes».
Certes, pour les adversaires politiques du Hezbollah, ces «martyrs» sont en fait les «victimes» d’une guerre de soutien idéologique inspirée par l’Iran et dont la République islamique se sert pour élargir sa présence et son influence au Moyen-Orient. Mais les hommes qui tombent n’en restent pas moins nos compatriotes et c’est cette ambivalence qui fait problème pour le Liban.
Si le Hezbollah est engagé dans une guerre d’anéantissement d’Israël, l’État libanais, lui, s’en tient officiellement à l’accord d’armistice conclu avec Israël en 1949. Le ministre libanais des AE effectue en ce moment une tournée internationale pour faire comprendre au monde que le Liban ne veut pas d’une guerre déclarée unilatéralement par un parti qui, pour ce faire, a usurpé une prérogative qui est du seul ressort de l’État.
Deux projets
Deux projets se disputent l’avenir du Liban et de la région: un projet de paix et un projet de guerre. Et une Palestine indépendante, souveraine et libre est au cœur de ces deux projets. Dans un discours adressé il y a deux jours aux participants à la Réunion des organismes d’aide aux Églises orientales (ROACO), le pape François a dit, mieux que quiconque, son opposition à tout conflit.
«À ceux qui alimentent la spirale des conflits et en tirent profit, je dis une fois de plus: Arrêtez! Arrêtez! Arrêtez, car la violence n’apportera jamais la paix. Il est urgent d’instaurer un cessez-le-feu, des rencontres et un dialogue pour permettre la coexistence de peuples différents. C’est la seule voie possible pour un avenir stable. Avec la guerre, entreprise insensée et non concluante, personne ne sort gagnant: tout le monde finit par être vaincu parce que la guerre, dès le début, est toujours une défaite. Écoutons ceux qui en subissent les conséquences, les victimes et ceux qui ont tout perdu. Écoutons le cri des plus jeunes, des personnes et des peuples ordinaires, qui sont las de la rhétorique de la guerre et des slogans vides qui rejettent constamment la faute sur les autres, divisant le monde entre le bien et le mal, las des dirigeants qui ont du mal à se réunir autour d’une table, à négocier et à trouver des solutions.» C’est seulement en donnant aux Palestiniens un avenir qu’Israël pourra vivre en paix, estiment les observateurs.
Le Liban apôtre de la déclaration d’Abu Dhabi
Avant de repartir, jeudi, le secrétaire d’État du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, s’est réuni mercredi soir à la nonciature avec le comité de suivi de la Déclaration d’Al-Azhar sur la citoyenneté (2017), comme base nouvelle et désormais inamovible des rapports civils et politiques entre musulmans et chrétiens. Ce comité interreligieux comprend notamment l’ancien premier ministre Fouad Siniora, le coprésident du comité national pour le dialogue islamo-chrétien, Mohammad Sammak, l’ancien ministre Tarek Mitri, l’intellectuel chiite Harès Sleiman, le président du comité de Notre-Dame du Mont, Farès Souhaid, le Pr Antoine Messarra et d’autres.
À ses interlocuteurs, le cardinal Parolin a réitéré l’urgence de bâtir des rapports fraternels entre les religions, comme le prévoit la déclaration d’Abu Dhabi (2019), dont la déclaration d’Al-Azhar est l’ancêtre. Aux chrétiens, il a redit en particulier que «leur importance est indépendante de leur nombre», dans un pays-message pluraliste où l’Islam, entré dans la modernité, a renoncé à être en position dominante et où le concept de minorité doit perdre toute signification politique.
Dans ce contexte, Farès Souhaid précise: «Aux yeux du Vatican, le Liban doit se faire l’apôtre de la Déclaration d’Abu Dhabi sur la fraternité humaine, une charge très lourde qui va au-delà de l’exercice du pouvoir politique».
C’est cette présence qui doit impérativement se manifester au sommet de l’État, à travers l’élection sans délai d’un président chrétien, en cette période où, après la guerre de Gaza, un grand remodelage de la région se prépare, pense le cardinal Parolin, dans la voix de qui s’est fait entendre, pour ceux dont les oreilles ne sont pas bouchées, la voix du pape François. Ce pour quoi il faut remercier l'Ordre de Malte.
Lire aussi
Commentaires