Chaque semaine, nous vous proposons d’explorer une citation marquante d’un grand psychanalyste, pour en révéler toute la profondeur et la richesse. Nous vous invitons à un voyage passionnant au cœur de la pensée psychanalytique, pour mieux comprendre nos désirs, nos angoisses et nos relations aux autres. Prêts à plonger dans les eaux profondes de l’inconscient?
«Un bébé, ça n’existe pas» – Donald W. Winnicott
C’est lors d’une conférence devant les membres de la British Psychoanalytical Society en 1943 que Donald W. Winnicott prononce cette phrase intrigante qui a provoqué une révolution dans notre compréhension du développement somato-psychique du nourrisson: elle nous invite à un changement radical de perspective.
Winnicott nous propose d’abandonner notre regard et notre compréhension d’adultes face à un enfant et de les remplacer par une vigilance renouvelée à la complexité des liens qui se tissent entre le nourrisson et son environnement.
Pour ce psychanalyste qui a lui-même souffert, dans sa petite enfance, d’une mère froide et déprimée, un bébé n’existe qu’en étant toujours partie prenante d’une relation, celle qui s’établit très précocement avec sa mère ou son substitut. Le bébé et son environnement maternel forment une unité indissociable, un «couple nourricier» dont les interactions subtiles et constantes constituent le terreau fertile de son développement somato-psychique présent et futur.
Revoyez les moments d’allaitement durant lesquels la mère et son nourrisson ne font plus qu’un, coalisés dans une symbiose nourricière, où les rythmes cardiaques et respiratoires sont synchronisés. Ou, encore, soyez attentifs au «holding», lorsque la mère soutient l’enfant non seulement dans ses bras, mais le contient par ses soins, sa protection, son bercement et ses mots tendres. Elle tempère les excitations trop intenses, favorise l’intégration du moi et du sentiment d’être («being»). Ou encore au «handling» qui aide l’enfant à se constituer une intériorité et des limites corporelles.
Ces expériences répétées, quotidiennes, illustrent avec force cette idée d’interdépendance, donc d’une totale impossibilité de considérer le bébé comme une entité autonome.
Winnicott va encore plus loin: il relève l’importance de la «préoccupation maternelle primaire» durant les trois ou quatre premiers mois de la vie, cet état de grâce où la mère, entièrement unie à son enfant, est en osmose avec ses moindres manifestations somato-psychiques, faisant preuve d’une sensibilité et d’une empathie exceptionnelles. Cette complicité fusionnelle permettra au nourrisson de vivre la nécessaire illusion magique qu’il est lui-même le créateur de cet univers qui satisfait ses besoins et ses désirs. Lorsque, par exemple, l’enfant pleure et que, presque instantanément, sa mère répond à son appel, il a le sentiment que c’est par son pouvoir magique qu’il a fait apparaître celle qui met fin à ce dont il souffre. Ou bien lorsqu’il a faim et qu’arrive naturellement le lait chaud qui l’apaise et le contente. Cette illusion de toute-puissance, loin d’être un artefact, est en réalité le fondement nécessaire à la construction d’un sentiment de continuité d’être, la base d’un Moi en devenir.
Imaginez ou revoyez le bébé fixant son regard sur celui de sa mère: il y découvre sa propre image. Winnicott nous dit que lorsque le bébé regarde sa mère, le visage de celle-ci lui reflète ce qu’elle voit, ce qu’elle pense et ce qu’elle sent de lui. Il décrit «ces bébés torturés par la défaillance maternelle, qui étudient les variations de son visage pour en prévoir l’humeur, comme on scrute le ciel pour savoir le temps qu’il fait».
Les premiers jeux, tel le fameux «coucou» durant lequel la mère disparaît derrière ses mains puis réapparaît, prennent une dimension nouvelle à la lumière de la pensée winnicottienne. Le bébé sourit, rit aux éclats, non seulement de plaisir, appréciant la surprise, mais il apprend, petit à petit, que sa mère continue d’exister même quand il ne la voit plus. Il intègre ainsi l’éprouvé de la permanence de l’objet, étape cruciale dans la construction du sentiment de sécurité interne et de la confiance en soi, préalable à l’acquisition de «la capacité d’être seul».
La révolution que déclenche Winnicott réside dans ce changement de focale, ce déplacement du centre de gravité de l’individu vers la dyade mère-bébé. C’est la reconnaissance du rôle actif, déterminant de l’environnement maternel dans le développement psychique précoce. C’est une invitation à porter un regard unique, sans cesse renouvelé, sur les interactions subtiles et durables qui tissent, jour après jour, la trame de la coexistence psychique complexe entre la mère et son enfant.
Cette vision a des implications profondes, non seulement pour la compréhension du développement somato-psychique du nourrisson, mais aussi pour le devenir adulte. Nos expériences infantiles auront de profondes répercussions sur notre vie future sur plus d’un registre.
Ainsi, les expériences de sécurité et de confiance vécues avec la mère façonnent notre capacité à établir des liens intimes avec autrui.
De même, la manière dont la mère a répondu à nos besoins et désirs étaye notre confiance en nous-mêmes. Si elle nous a valorisés, soutenus, désirés, s’est montrée empathique, nous développerons un sentiment de sécurité et de confiance. Si, au contraire, elle fut absente, déprimée, repoussante, le sentiment de notre identité et de notre Moi sera fragilisé.
La relation mère-enfant sera également déterminante dans la perception de notre futur rôle de parent. À ce moment-là, nous aurons tendance à reproduire les schémas familiaux perçus et ressentis. Les souvenirs de notre propre enfance guideront inconsciemment notre relation avec nos enfants.
Notre santé psychique à l’âge adulte n’échappera pas non plus au déterminisme des relations infantiles. Des liens insécures, inconstants, augmenteront les risques de dépression et de vécus angoissants. Un attachement affectif défaillant pourra isoler l’adulte dans ses relations ou l’empêchera d’établir des liaisons durables.
Enfin, une relation d’un enfant avec une mère «suffisamment bonne» favorisera le développement de l’autonomie alors qu’une relation surprotectrice entravera ce processus.
Sans oublier que la compréhension de la signification, pour un enfant, d’un «doudou», objet transitionnel par excellence, ouvrira la voie à un espace transitionnel qui seront, tous deux, la source à laquelle puisera toute exploration et toute florescence des opportunités créatives chez l’adulte.
«Un bébé, ça n’existe pas» – Donald W. Winnicott
C’est lors d’une conférence devant les membres de la British Psychoanalytical Society en 1943 que Donald W. Winnicott prononce cette phrase intrigante qui a provoqué une révolution dans notre compréhension du développement somato-psychique du nourrisson: elle nous invite à un changement radical de perspective.
Winnicott nous propose d’abandonner notre regard et notre compréhension d’adultes face à un enfant et de les remplacer par une vigilance renouvelée à la complexité des liens qui se tissent entre le nourrisson et son environnement.
Pour ce psychanalyste qui a lui-même souffert, dans sa petite enfance, d’une mère froide et déprimée, un bébé n’existe qu’en étant toujours partie prenante d’une relation, celle qui s’établit très précocement avec sa mère ou son substitut. Le bébé et son environnement maternel forment une unité indissociable, un «couple nourricier» dont les interactions subtiles et constantes constituent le terreau fertile de son développement somato-psychique présent et futur.
Revoyez les moments d’allaitement durant lesquels la mère et son nourrisson ne font plus qu’un, coalisés dans une symbiose nourricière, où les rythmes cardiaques et respiratoires sont synchronisés. Ou, encore, soyez attentifs au «holding», lorsque la mère soutient l’enfant non seulement dans ses bras, mais le contient par ses soins, sa protection, son bercement et ses mots tendres. Elle tempère les excitations trop intenses, favorise l’intégration du moi et du sentiment d’être («being»). Ou encore au «handling» qui aide l’enfant à se constituer une intériorité et des limites corporelles.
Ces expériences répétées, quotidiennes, illustrent avec force cette idée d’interdépendance, donc d’une totale impossibilité de considérer le bébé comme une entité autonome.
Winnicott va encore plus loin: il relève l’importance de la «préoccupation maternelle primaire» durant les trois ou quatre premiers mois de la vie, cet état de grâce où la mère, entièrement unie à son enfant, est en osmose avec ses moindres manifestations somato-psychiques, faisant preuve d’une sensibilité et d’une empathie exceptionnelles. Cette complicité fusionnelle permettra au nourrisson de vivre la nécessaire illusion magique qu’il est lui-même le créateur de cet univers qui satisfait ses besoins et ses désirs. Lorsque, par exemple, l’enfant pleure et que, presque instantanément, sa mère répond à son appel, il a le sentiment que c’est par son pouvoir magique qu’il a fait apparaître celle qui met fin à ce dont il souffre. Ou bien lorsqu’il a faim et qu’arrive naturellement le lait chaud qui l’apaise et le contente. Cette illusion de toute-puissance, loin d’être un artefact, est en réalité le fondement nécessaire à la construction d’un sentiment de continuité d’être, la base d’un Moi en devenir.
Imaginez ou revoyez le bébé fixant son regard sur celui de sa mère: il y découvre sa propre image. Winnicott nous dit que lorsque le bébé regarde sa mère, le visage de celle-ci lui reflète ce qu’elle voit, ce qu’elle pense et ce qu’elle sent de lui. Il décrit «ces bébés torturés par la défaillance maternelle, qui étudient les variations de son visage pour en prévoir l’humeur, comme on scrute le ciel pour savoir le temps qu’il fait».
Les premiers jeux, tel le fameux «coucou» durant lequel la mère disparaît derrière ses mains puis réapparaît, prennent une dimension nouvelle à la lumière de la pensée winnicottienne. Le bébé sourit, rit aux éclats, non seulement de plaisir, appréciant la surprise, mais il apprend, petit à petit, que sa mère continue d’exister même quand il ne la voit plus. Il intègre ainsi l’éprouvé de la permanence de l’objet, étape cruciale dans la construction du sentiment de sécurité interne et de la confiance en soi, préalable à l’acquisition de «la capacité d’être seul».
La révolution que déclenche Winnicott réside dans ce changement de focale, ce déplacement du centre de gravité de l’individu vers la dyade mère-bébé. C’est la reconnaissance du rôle actif, déterminant de l’environnement maternel dans le développement psychique précoce. C’est une invitation à porter un regard unique, sans cesse renouvelé, sur les interactions subtiles et durables qui tissent, jour après jour, la trame de la coexistence psychique complexe entre la mère et son enfant.
Cette vision a des implications profondes, non seulement pour la compréhension du développement somato-psychique du nourrisson, mais aussi pour le devenir adulte. Nos expériences infantiles auront de profondes répercussions sur notre vie future sur plus d’un registre.
Ainsi, les expériences de sécurité et de confiance vécues avec la mère façonnent notre capacité à établir des liens intimes avec autrui.
De même, la manière dont la mère a répondu à nos besoins et désirs étaye notre confiance en nous-mêmes. Si elle nous a valorisés, soutenus, désirés, s’est montrée empathique, nous développerons un sentiment de sécurité et de confiance. Si, au contraire, elle fut absente, déprimée, repoussante, le sentiment de notre identité et de notre Moi sera fragilisé.
La relation mère-enfant sera également déterminante dans la perception de notre futur rôle de parent. À ce moment-là, nous aurons tendance à reproduire les schémas familiaux perçus et ressentis. Les souvenirs de notre propre enfance guideront inconsciemment notre relation avec nos enfants.
Notre santé psychique à l’âge adulte n’échappera pas non plus au déterminisme des relations infantiles. Des liens insécures, inconstants, augmenteront les risques de dépression et de vécus angoissants. Un attachement affectif défaillant pourra isoler l’adulte dans ses relations ou l’empêchera d’établir des liaisons durables.
Enfin, une relation d’un enfant avec une mère «suffisamment bonne» favorisera le développement de l’autonomie alors qu’une relation surprotectrice entravera ce processus.
Sans oublier que la compréhension de la signification, pour un enfant, d’un «doudou», objet transitionnel par excellence, ouvrira la voie à un espace transitionnel qui seront, tous deux, la source à laquelle puisera toute exploration et toute florescence des opportunités créatives chez l’adulte.
Lire aussi
Commentaires