L’élection à la présidence de l’Iran, vendredi, du candidat dit «modéré», Massoud Pezeshkian, n’est pas vraiment une grande surprise. Le seul fait que sa candidature ait été avalisée, cette fois-ci, par le pouvoir central, alors qu’elle avait été rejetée lors de la présidentielle de 2021, constituait en soi un indice que le Guide suprême de la République islamique, Ali Khamenei, ainsi que les Gardiens de la révolution (les Pasdaran) avaient intérêt à inclure un postulant «modéré» dans la course présidentielle, voire à faciliter son élection. Le scrutin de 2021 avait été limité à des candidats affiliés, tous, au courant conservateur radical et personne n’avait alors remis en question l’opération électorale.
Si M. Pezeshkian a été élu, c’est que le Guide suprême et peut-être même les Pasdaran le voulaient bien, dans un but précis, car dans le cas contraire, ils auraient proclamé, en faisant fi des résultats, la victoire de l’ultraconservateur Saïd Jalili, comme ce fut le cas en juin 2009 lorsque le candidat qualifié de réformateur, Hossein Moussavi, avait revendiqué publiquement la victoire et avait dénoncé une vaste fraude électorale qui avait permis au pouvoir, selon lui, d’imposer Mahmoud Ahmadinejad comme président. La République islamique n’étant pas, de ce fait, un exemple idéal de démocratie, il est peu probable que l’élection de M. Pezeshkian ne soit pas essentiellement le résultat d’un calcul bien réfléchi du Guide suprême.
Dans un contexte régional et international en pleine mutation, et compte tenu de la nature théocratique et profondément dictatoriale du régime des mollahs à Téhéran, quels pourraient être le rôle et l’impact du nouveau président? Quelle pourrait être sa marge de manœuvre réelle? D’emblée, il serait nécessaire de rappeler, une fois de plus, un paramètre fondamental propre au système iranien en place: les grandes décisions d’ordre stratégique et la ligne de conduite de la République islamique sont du seul et unique ressort du Guide suprême. Le rôle du président est de gérer les affaires de l’État en se conformant strictement aux orientations (incontournables) définies par le Guide, le wali el-faqih, dont la légitimité, en sa qualité de descendant du Prophète, est une légitimité divine (et non populaire, issue de la volonté du peuple).
À ce facteur «divin», qui limite donc largement la marge de manœuvre de M. Pezeshkian – comme de tout président, d’ailleurs – vient s’ajouter un autre paramètre, conjoncturel cette fois, mais dont le poids est loin d’être négligeable: l’actuelle Assemblée nationale est formée d’une grande majorité de députés radicaux ultraconservateurs. Ces derniers ne manqueront sans doute pas de rendre la vie dure au nouveau président en jugulant en permanence ses éventuels «excès» en matière de politique (relativement) «libérale», notamment sur le plan social et des droits de la femme. Le procédé est ainsi habile et pernicieux: propulser sur le devant de la scène, dans les hautes sphères, une personnalité dont le profil est susceptible d’amadouer quelque peu les frondeurs, tout en imposant à l’heureux élu de stricts garde-fous afin que l’ensemble du système reste sous contrôle. L’illusion démocratique est de ce fait entretenue.
À l’aune de telles contraintes, quel est donc l’intérêt de l’élection de M. Pezeshkian? Pour le pouvoir des mollahs, l’objectif recherché à court terme serait d’abord d’étouffer la contestation populaire et de susciter une décrispation sur le front interne de manière à faciliter la recherche de solutions aux sérieuses crises socio-économiques et financières qui secouent le pays. Le nouveau président réussira-t-il à profiter de cette volonté (apparente) de détente pour obtenir une atténuation de la répression sauvage dont sont victimes les jeunes, les cadres, les artistes, les intellectuels, et, surtout, les jeunes filles et les jeunes femmes qui sont arrêtées, torturées et fouettées pour «une mèche de cheveux» qui aurait débordé du voile islamique obligatoire, source de tous les malheurs subis par les jeunes filles iraniennes? M. Pezeshkian parviendra-t-il à freiner, à défaut de stopper, les condamnations à mort «pour corruption sur terre» et les exécutions capitales en série, appliquées à la pelle sans aucun état d’âme? Tel sera l’un des principaux défis que le nouveau président et son gouvernement devront relever, dans les limites du possible et de ce que les détenteurs du pouvoir réel pourront tolérer.
L’autre objectif, sans doute fixé par le Guide suprême en favorisant l’élection d’un président modéré, serait d’éviter, dans la conjoncture présente, une confrontation politique frontale avec les États-Unis et l’Occident, plus particulièrement dans la perspective d’un possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. L’un des slogans électoraux de M. Pezeshkian était précisément d’initier une politique d’ouverture en direction du camp occidental. L’enjeu à cet égard est grand: montrer patte blanche afin d’obtenir une levée des lourdes sanctions imposées au pouvoir des mollahs.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il faudrait s’attendre à un changement radical de comportement de la part de la République islamique. L’on verrait mal, en effet, les Pasdaran renoncer à leur stratégie d’exportation de la Révolution, à leur politique expansionniste et déstabilisatrice qui plonge quatre pays arabes dans le chaos pour servir la raison d’État iranienne… À moins que les décideurs internationaux, actuels ou futurs, finissent par acquérir, enfin, la conviction qu’il est grand temps de présenter au régime des mollahs et, spécifiquement, aux Gardiens de la révolution, des solutions qu’ils ne pourraient refuser… Il y va aujourd’hui, plus que jamais, de la stabilité non seulement du Moyen-Orient, mais aussi du monde libre en général. Le règlement des crises superposées qui stimulent la montée aux extrêmes un peu partout dans le monde passe par l’instauration d’un nouvel ordre régional équilibré et durable qui devrait être imposé aux radicaux de Téhéran. Tout le reste est faiblesse… Et ne constitue, tout compte fait, que de la poudre aux yeux.
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