Chaque semaine, nous vous proposons d’explorer une citation marquante d’un grand psychanalyste, pour en révéler toute la profondeur et la richesse. Nous vous invitons à un voyage passionnant au cœur de la pensée psychanalytique, pour mieux comprendre nos désirs, nos angoisses et nos relations aux autres. Prêts à plonger dans les eaux profondes de l’inconscient?
«Se cacher est un plaisir, mais ne pas être trouvé est une catastrophe» - Donald W. Winnicott.
Cette citation de Donald W. Winnicott est extraite de son dernier livre, considéré comme son testament, Jeu et réalité, publié en 1971.
C’est encore une de ces citations énigmatiques dont, pour notre grand plaisir, sont friands quelques psychanalystes: son déchiffrement révèle toute la complexité de la psyché humaine. Elle souligne l’importance de créer des lieux aussi bien virtuels que physiques où nous pouvons nous cacher afin d’explorer notre individualité, accompagnée du désir d’être trouvé, afin de partager une part de notre vérité subjective.
Qui ne se rappelle le jeu de cache-cache de l’enfance? Au-delà de son aspect ludique, il permet aux enfants de jouer, aussi, avec la frontière entre le jeu et la réalité. Il n’est pas seulement un moment d’amusement, mais un moyen d’apprendre à naviguer entre le monde intérieur de l’enfance et celui qui est extérieur, à se cacher pour être trouvé comme aussi pour se retrouver. Car, pour Winnicott, le jeu est indispensable au développement de l’enfant puisque celui-ci y voit un questionnement sur «ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue». Il ajoutait que «ce qui s’oppose au jeu n’est pas le sérieux, mais la réalité».
Le besoin d’être caché représente notre quête d’individualité et d’autonomie. C’est l’espace intérieur où nous cultivons notre «vrai self», celui qui nous fait sentir et penser «je suis vivant» ou «je suis moi-même». Cette cachette psychologique est le laboratoire de notre identité, de notre créativité, où nous cheminons librement dans nos pensées, nos affects, nos désirs et nos aspirations, à l’abri du regard et du jugement d’autrui.
Cependant, cette joie d’être caché n’est qu’une partie de l’équation. L’autre versant, tout aussi crucial, est le besoin d’être trouvé. C’est un désir profondément ancré dans notre psyché, celui d’exister en lien avec autrui. Il ne s’agit pas simplement d’être présent physiquement, mais d’être compris, reconnu et accepté dans notre essence la plus profonde.
L’exemple du nourrisson cherchant le regard de sa mère, dont nous avons déjà parlé, est particulièrement éloquent. Ce regard n’est pas seulement un contact visuel, c’est un besoin de confirmation existentielle. À travers les yeux de sa mère, le bébé se voit exister, se sent reconnu et aimé en tant qu’être à part entière. C’est le début du processus de la construction du self. De la fusion première, le nourrisson se dégage progressivement pour amorcer la phase de la séparation-individuation, oscillant entre le besoin d’explorer son environnement et d’acquérir une autonomie grandissante et celui de se rassurer auprès de la présence parentale.
Mais si les parents de cet enfant sont inconsistants, immatures ou affectivement absents, le développement d’un vrai self se trouve barré aux dépens de celui d’un faux self, à tendance performative, destiné à retenir leur attention. Le vrai self se retrouve ainsi caché, prisonnier d’un processus à but essentiellement normatif, peu propice au déploiement de la subjectivité et de la créativité qui, elles, ne peuvent prendre leur élan que d’un vrai self. En restant prisonnier d’un faux self, cela peut mener, à long terme, à des sentiments de vide, d’inauthenticité et à des difficultés à établir des relations intimes authentiques.
À l’adolescence, c’est une nouvelle phase du développement qui s’installe, avec une intensification du besoin d’indépendance, contrebalancé par un besoin tout aussi fort de soutien et de reconnaissance parentaux. C’est une période de tension entre le désir d’être différent, de s’émanciper et celui d’appartenir, d’être accepté, le plus souvent, par ses pairs. Ainsi, par exemple, l’adolescent qui ferme à clé la porte de sa chambre pourra déclencher des frictions avec des parents incompréhensifs et anxieux. Mais c’est, en réalité, un besoin qui lui est nécessaire dans la construction de son identité parce que c’est dans cet espace privé qu’il peut découvrir et expérimenter différents aspects de sa psyché, à l’abri des regards ou des projections socioparentales.
Il en est de même pour l’artiste, ou tout créateur, qui travaille en solitaire sur son œuvre avant de la dévoiler au monde. C’est dans un espace protégé, caché, que l’inspiration peut s’épanouir librement, que les idées prennent forme en dehors de la pression extérieure, même si, selon Winnicott, l’artiste vit dans l’ambivalence d’un «besoin urgent de communiquer et le besoin encore plus urgent de ne pas être trouvé».
La «catastrophe» de ne pas être trouvé, reconnu, aimé, dont parle Winnicott, peut donner lieu à des souffrances qui peuvent conduire au développement d’un faux self qui servira de façade soumise aux attentes extérieures, ignorant ses vrais désirs, obéissant à la norme socioculturelle d’être conforme et d’apparaître performant, même si, pour y parvenir, on est réduit à recourir à toutes sortes de béquilles addictives et illusoires.
La pensée winnicottienne a des implications profondes sur le plan thérapeutique: le psychanalyste doit apprendre à naviguer subtilement entre le respect des défenses du patient, acceptant son besoin d’être caché et la nécessité de l’aider à retrouver son propre élan vital. En acceptant de partager ses sentiments et pensées les plus intimes, l’analysant joue le rôle d’un aventurier à la découverte du territoire inconnu de sa propre psyché, facilitée grâce à l’espace transitionnel offert par un cadre thérapeutique où son exploration peut se faire en toute sécurité.
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