Melanie Klein: La dépression est le prix à payer pour se libérer de la culpabilité

Chaque semaine, nous vous proposons d’explorer une citation marquante d’un grand psychanalyste, pour en révéler toute la profondeur et la richesse. Nous vous invitons à un voyage passionnant au cœur de la pensée psychanalytique, pour mieux comprendre nos désirs, nos angoisses et nos relations aux autres. Prêts à plonger dans les eaux profondes de l’inconscient?
«La dépression est le prix à payer pour se libérer de la culpabilité» – Melanie Klein
Melanie Klein est la psychanalyste qui a démontré, cliniquement et théoriquement, qu’une thérapie analytique avec un enfant est possible. Ses observations de la conduite infantile durant les séances thérapeutiques l’ont amenée, entre autres, à découvrir la nécessité, pour l’enfant, de traverser un état dépressif pour accéder à une libération psychique.
Voici, très succinctement, un aperçu de sa théorie sur le développement psychique infantile durant la première année de vie.
Pour la comprendre, il faut se représenter le nourrisson en possession d’un psychisme vivant, en pleine activité, en interaction continuelle avec son environnement, mû par une intense sensibilité source de fortes émotions et d’apparition de représentations fantasmatiques liées à cette interaction. Son monde inconscient est ainsi déjà constitué, les pulsions de vie et de mort sont présentes, l’Œdipe en construction.
Au début, et du fait de son immaturité, il perçoit le monde extérieur, étroitement uni à sa mère, sous forme d’«objets partiels» intériorisés, c’est-à-dire des parties de sein, de corps, d’odeurs, de regards, etc. Lorsque ces objets lui procurent un bien-être psychosomatique, il est satisfait et heureux. En revanche, s’ils s’avèrent insatisfaisants, source de malaise et de souffrance, il les percevra sous la forme de fantasmes agressifs, persécuteurs auxquels, pour se défendre, il répondra par des mécanismes tout aussi agressifs et destructeurs. C’est là l’origine des sentiments d’amour et de haine, qui alterneront en fonction de son rapport à sa mère.
En une deuxième phase, l’évolution de son développement entraînera un changement notable dans sa perception: de partiel, l’objet (la mère) devient total. Autrement dit, les parties perçues comme dispersées de la mère se regrouperont en un tout maternel. C’est ce qui se passe durant ce que M. Klein appelle «la position dépressive». C’est à cette position que nous nous intéresserons dans cet article parce qu’elle est directement liée à la notion de culpabilité et de réparation.

Dans cette phase (qui peut se reproduire à d’autres moments de l’existence), l’enfant, toujours au cours de la première année de vie, réalise que l’objet aimé (sa mère) et l’objet haï sont, en réalité, une seule et même personne. Cette prise de conscience sera ressentie comme un véritable séisme émotionnel, puisqu’elle implique que ses fantasmes agressifs et destructeurs soient dirigés vers la personne même dont il dépend et qu’il chérit. C’est de cette réalisation que naîtront un intense sentiment de culpabilité et le désir de réparer le mal causé à cet objet. À ce moment, la dépression entre en scène. Mais attention: la dépression dont parle Klein est un état émotionnel complexe, fait de tristesse, de remords et de préoccupation pour l’objet aimé. C’est un processus de maturation, un passage obligé pour accéder à un niveau supérieur d’intégration psychique.
Le «prix à payer» consistera, pour l’enfant comme plus tard pour l’adulte, à accepter ses sentiments ambivalents d’amour et de haine à l’égard de l’objet aimé (les parents puis toute personne avec laquelle il entretiendra des liens serrés).
Dans cette position, l’enfant développera sa capacité de réparation, c’est-à-dire le désir de remédier aux dommages fantasmés causés à l’être aimé. Cette capacité sera cruciale pour l’établissement de relations saines et empathiques. En traversant cette phase dépressive, l’enfant accèdera à une compréhension plus nuancée et mature de ses relations. Il passera d’une culpabilité écrasante à une sollicitude plus gratifiante. Winnicott le dira joliment: «À un moment ou à un autre, dans l’histoire du développement de tout être humain normal, il y a ce passage du stade de la pré-compassion à celui de la compassion.»
Qu’est-ce que cette conception signifie? Elle suggère que la capacité à tolérer la dépression est en réalité un signe de maturité affective. C’est en affrontant nos états dépressifs que nous pouvons prendre conscience de nos contradictions et de nos ambivalences pour atteindre une intégration psychique plus complète.
La conception kleinienne de la dépression comme «prix à payer» pour se libérer de la culpabilité est une contribution majeure à la psychanalyse. Elle offre un cadre puissant pour comprendre comment nos expériences précoces de culpabilité et de dépression façonnent notre personnalité adulte et nos relations interpersonnelles.
En effet, à l’âge adulte, un sujet aura probablement des relations intimes marquées par la méfiance et l’ambivalence affective sous forme d’amour et de haine. Il pourra alors, pour éviter l’angoisse, utiliser des mécanismes inconscients de rétorsion, telle la projection de ses sentiments sur autrui ou le déni de l’existence de ces contradictions. La dépression qui pourrait alors se produire permettra à ce sujet, s’il entreprend une thérapie analytique, de revisiter ses conflits internes non-résolus, de prendre conscience et de faire face aux sentiments refoulés, de reconnaître sa propre responsabilité dans ses errements, d’accepter éventuellement sa culpabilité et de réparer, s’il le désire, les souffrances et les dégâts causés aussi bien à lui-même qu’à l’égard d’autrui, parvenant ainsi à un état de plus grande authenticité et de maturité affective.
Cette compréhension kleinienne de la dépression nous invite à changer notre regard sur la dépression: au lieu de voir dans cet état douloureux un signe de faiblesse ou d’échec, elle nous propose de le repenser comme une opportunité de renaissance. Payer le prix de la dépression, c’est avoir le courage de refuser de rester ignorant de sa vérité subjective, c’est se confronter aux démons intérieurs présents chez tout un chacun, afin de s’en libérer et d’atteindre un épanouissement affectif véritable.
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