Élia Koussa navigue à travers les défis de la décadence musicale, s'efforçant de maintenir l'intégrité artistique. Avec son ensemble, Le Rossignol, il aspire à élever la musique à de nouveaux sommets lors de leur concert prévu le 19 juillet à Zico House.
La musique va mal. On ne le dira jamais assez. La mutation du goût musical, tant chez le public que chez les compositeurs – qui semblent de plus en plus enclins à la facilité et le trivial –, conjuguée à la rareté des mécènes, représente un défi sérieux pour l'épanouissement de la création musicale de haut niveau. Ce glissement est exacerbé par les effets de la mondialisation, véhiculant des valeurs parfois délétères et érodant les standards esthétiques forgés au fils des siècles. Au Liban, la crise socio-politique actuelle, et le délitement généralisé qui en découle, entravent davantage la valorisation des véritables talents musicaux. Et pourtant, le pays du Cèdre regorge de compositeurs authentiques, de vrais artistes. Ils sont, néanmoins, relégués dans l'ombre par une «industrie musicale» qui fait la loi. Élia Koussa fait partie de ces derniers. Le vendredi 19 juillet à 20h30 à Ziko House, il donne, avec son ensemble Le Rossignol, un concert intitulé Whisper of a folk’s memory («Le murmure de la mémoire d'un peuple») en hommage à plusieurs compositeurs libanais dont Zaki Nassif, Élie Choueiri, Melhem Barakat, Sabah, Bassam Saba et Walid Gholmieh.
Problèmes d’organisation
«Notre concert était initialement prévu à Tripoli, dans le cadre des événements célébrant la ville en tant que capitale culturelle du monde arabe», raconte d’emblée Élia Koussa pour Ici Beyrouth. Toutefois, l’ensemble libanais s’est vu contraint d’annuler son récital deux jours avant sa tenue pour des raisons alors ambiguës. «C’était vraiment dommage de ne pas pouvoir partager cette musique avec le public, d'autant plus qu'elle rend hommage à des artistes libanais appréciés de tous. Cette annulation découle de problèmes d'organisation qui ne nous étaient pas imputables», précise-t-il, clairement frustré, faisant référence au conflit entre le ministre sortant de la Culture, Mohammad Mortada, et la directrice par intérim du Conservatoire national, Hiba al-Kawas. Les musiciens étaient, cependant, loin de jeter l’éponge. «Malgré tout, nous étions résolus à présenter ce programme, compte tenu du travail acharné accompli par les musiciens et du mois entier que j'avais consacré à écrire les arrangements musicaux», poursuit le musicien, détenteur d’un diplôme de composition de l'université de musique Felix Mendelssohn Bartholdy à Leipzig.
Monde nostalgique
Durant les répétitions, la sonorité du septuor est ronde et fluide, permettant par moments à de belles individualités d’émerger à travers un jeu fondu. Élia Koussa dessine au piano les contours des œuvres, osant l'harmonie et laissant les contrepoints s’épanouir sans entraves. «J’ai souhaité conserver de nombreux aspects de la musique tels qu'ils étaient à l'origine, marqués par la nostalgie et la simplicité. Ainsi, la mélodie, la structure formelle, la dynamique, le rythme et même les tempi ont été largement préservés, explique-t-il. Mon principal défi a été de travailler sur l'harmonie, que je trouvais porteuse d'un potentiel considérable lorsqu'elle est intégrée de manière à respecter l'essence globale de chaque morceau, sans en altérer le caractère.» Il fait donc appel à son expérience de compositeur, mais surtout de théoricien. Chaque phrasé est alors pensé, intaillé et magnifié par un cantabile qui fait renaître tout un monde nostalgique, imprégné des couleurs du Liban. Même la voix se fait instrument dans ces arrangements: Gabriella Najem mais également Wassim Darwich conduisent leur ligne vocale avec une élégance poétique et un grain riche.
Mémoire et émotions
«J’ai aussi tiré profit de ma connaissance de la musique classique européenne. Lorsque j'arrangeais Frachi w Zahra («Un papillon et une fleur») de Zaki Nassif, par exemple, je ne pouvais m'empêcher de me remémorer le Moment musical en fa mineur de Schubert. J'ai établi de nombreux liens de cette manière dans mes arrangements», confie Élia Koussa. Ainsi, sa musique ne saurait revêtir une dimension commerciale, se distinguant par sa réflexion approfondie tout en préservant un caractère authentique. Selon lui, cette expérience musicale le confronte pour la première fois à ses propres mémoire et émotions de façon aussi crue: «Cela m'a particulièrement rendu conscient de nombreux aspects inconnus dans la musique et en moi-même, et m'a fait reconsidérer la simplicité et la nostalgie comme des éléments fondamentaux dans ma propre musique, après avoir atteint un degré très élevé de complexité intellectuelle dans mon art», note le compositeur, vainqueur de plusieurs prix internationaux, dont celui du concours Weimarer Frühjahrstage et le prix Bärenreiter en Allemagne en 2009.
Quant à l’état actuel de la musique populaire au Liban, Élia Koussa ne mâche nullement ses mots: «Les prétendus compositeurs actuels ne prennent pas le concept de ‘vérité’ en considération. Ils jouent d’une part sur les instincts, et d’autre part sur les rythmes, les mélodies et les émotions bon marché qui rapportent de l'argent, fustige-t-il. De nos jours, il est très improbable de discerner un véritable compositeur, car même les institutions de référence de notre pays ne s'y intéressent pas.» Il conclut en mettant le doigt sur la plaie: «Toute personne ayant autorité et argent se permet d'évaluer, positivement soit-il ou négativement, une musique qu'elle ne comprend pas et dont elle n'a aucune connaissance ou compétence.» La messe est dite.
Rendez-vous le 19 juillet à 20h30 à Zico House pour un concert donné par Le Rossignol : Elia Koussa au piano, Scarlett Khawli au piano, Ibrahim Rajab au oud, Mariam Ghandour au hautbois, Farid Rahmé à la flûte à bec, Zaher Sebaaly à la contrebasse, et Elie Yammouny aux percussions.
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