La Chine à l’épreuve du nœud gordien des rivalités palestiniennes
Tandis que les factions palestiniennes ont annoncé avoir signé, à Pékin, un accord d’«unité nationale», le mardi 23 juillet, Ici Beyrouth a interrogé le chercheur Guy Burton, spécialiste des relations sino-moyen-orientales, pour mettre en lumière la place de l’empire du milieu au Levant.

Mardi 23 juillet, Musa Abu Marzouk, l’un des responsables du bureau politique du Hamas, annonçait que son mouvement avait signé un accord avec d’autres factions palestiniennes dont son rival, le Fatah, à l’issue de trois jours de tractations à Pékin.

Parmi les éléments les plus importants de cet accord, figure «la formation d’un gouvernement intérimaire de réconciliation nationale pour la gouvernance d’après-guerre de Gaza», selon le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi.



Ce nouveau succès diplomatique illustre les efforts entrepris par la Chine pour s’affirmer sur la scène diplomatique du Moyen-Orient. Plus précisément, c’est au niveau du plus vieux conflit régional, entre Israël et la Palestine, que Pékin intensifie ses efforts. Ceux-ci se sont considérablement accrus depuis le 7 octobre 2023.

Un médiateur potentiel


Pékin semble bien parti pour faire la différence dans une réconciliation entre le Hamas et le Fatah. Si la diplomatie chinoise arrivait à transformer l’essai, cela la confirmerait comme puissance médiatrice, après le rapprochement réussi entre l’Iran et l’Arabie saoudite en mars 2023.

Interrogé par Ici Beyrouth, le chercheur Guy Burton, spécialiste des relations entre la Chine et le Moyen-Orient, affirme que «les liens de la Chine avec le Hamas sont modestes, même si l’on peut dire qu’ils sont plus importants que ceux d’un certain nombre d’autres États, en particulier occidentaux». Mais s’il est difficile pour ces États de s’engager directement auprès du mouvement islamiste, Pékin n’a pas ce problème.

(De gauche à droite) Mahmoud al-Aloul, vice-président du comité central de l'organisation palestinienne et du parti politique Fatah, Wang Yi, ministre chinois des affaires étrangères, et Musa Abu Marzouk, membre éminent du mouvement islamiste palestinien Hamas, assistent à un événement à la maison d'hôtes d'État Diaoyutai, à Pékin, le 23 juillet 2024. (Pedro Pardo / POOL / AFP)

Côté palestinien, ce nouvel investissement – quoique modeste – pourrait avoir renforcé la stature internationale du Hamas... mais pourrait aussi provoquer la colère du Fatah, qui jouissait jusqu’à présent d’une position centrale en la matière.

Avec un risque à la clé pour les diplomates chinois: celui de se retrouver entraînés dans les rivalités qu’ils souhaitaient solutionner. Et ce, surtout s’ils «finissent par abandonner leur rôle de facilitateur pour devenir un médiateur plus actif», prévient le chercheur.

Un soutien historique


Concernant le conflit israélo-palestinien, l’Empire du milieu y défend la solution à deux États, notamment auprès du Conseil de sécurité de l’ONU. Une position qui s’inscrit dans la lignée de ses relations avec la Palestine.

La Chine constitue un soutien de longue date pour la cause palestinienne. M. Burton indique que celle-ci a fait preuve à ce niveau «d’une grande cohérence dans sa rhétorique sur la question palestinienne».

Toutefois, si Pékin réaffirme régulièrement sa position actuelle, il n’en fut pas toujours ainsi. «Du milieu des années 1960 au début des années 1970, la Chine a soutenu l’OLP et sa lutte armée», souligne M. Burton, faisant allusion à la période maoïste.

(ARCHIVES) L'ancien président de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, photographié le 19 juin 1996 à Pékin alors qu'il ajuste une couronne lors d'une cérémonie devant la statue de Mao Zedong, à l'occasion de sa dixième visite en Chine. (AFP)

Néanmoins, plusieurs facteurs tant géopolitiques qu’internes au pays font évoluer la position de Pékin au cours des années 70. «La Chine est devenue un acteur plus sobre et limité, établissant des relations diplomatiques avec Israël en 1992 et soutenant par la suite les accords d’Oslo», rappelle le chercheur.

En parallèle, la Chine a intensifié ses liens économiques avec l’État hébreu, pour en devenir un partenaire commercial majeur. Entre haute technologie, innovation et infrastructures, ces échanges bilatéraux atteignent désormais plusieurs milliards de dollars.

Des liens économiques dérisoires



Un paysage qui contraste avec celui des relations économiques sino-palestiniennes. Si, au même titre que de nombreux autres pays de la région, la Chine est un important fournisseur de biens pour les territoires palestiniens, celle-ci reste totalement déséquilibrée.

À titre d’exemple, en 2022, Pékin a exporté «180 millions de dollars en 2022, contre 49.000 dollars de biens exportés par la Palestine vers la Chine la même année», fait remarquer M. Burton. «En outre, la valeur des marchandises chinoises a augmenté en Palestine alors que la valeur des exportations palestiniennes a diminué», ajoute le spécialiste.

Ces chiffres permettent ainsi de rappeler que la Palestine constitue un nain économique pour l’Empire du milieu. Une position de faiblesse qui se vérifie aussi dans le cadre de l’initiative «nouvelles routes de la soie», ou Belt & Road Initiative (BRI).



Guy Burton rappelle ici que ces deux acteurs «ont signé un protocole d’accord sur l’initiative de coopération régionale en décembre 2022, mais les choses ne semblent pas avoir progressé depuis». Outre la taille du marché palestinien, le chercheur pointe «l’inquiétude des Chinois quant aux risques d’investir dans un environnement incertain comme celui de la Palestine», dans le cadre de son mégaprojet.

Même son de cloche du côté de l’aide économique, où l’assistance chinoise s’avère être très modeste, avec 2 millions de dollars versés à l’Unrwa en 2023. «À titre de comparaison, les États-Unis ont versé 420 millions de dollars, l’Allemagne 213 millions de dollars et l’UE 120 millions de dollars», précise M. Burton.

Une préoccupation politique


Pour le chercheur, la Chine considère la Palestine moins comme une «préoccupation économique que politique». Et sur ce point, le conflit actuel se distingue nettement des précédents: «La Chine s’est montrée plus critique à l’égard d’Israël cette fois-ci. Elle a tardé à condamner l’attaque du Hamas du 7 octobre, ce qui n’est pas passé inaperçu aux yeux des Israéliens.»

Ce raidissement doit être mis en perspective avec la position américaine, allié inconditionnel de l’État hébreu. En adoptant une position plus virulente que son principal rival géopolitique à l’égard de ce dernier, Pékin permet ainsi de se démarquer au niveau diplomatique, dans le but d’apparaître comme une alternative à Washington dans la région.

Un changement de position néanmoins tempéré par Guy Burton, qui le considère davantage rhétorique que substantiel. «En termes d’assistance concrète, la Chine n’a pas été en mesure de faire grand-chose pour les négociations sur le cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, de sorte que ce dossier a été dominé par l’Égypte et le Qatar», rappelle celui-ci. La méfiance des responsables israéliens vis-à-vis de celle-ci n’y est pas étrangère, considère le chercheur.

Nœud gordien palestinien


Quoiqu’il en soit, l’enjeu pour Pékin sera désormais de s’assurer que l’expression d’unité, énoncée mardi entre les murs de sa capitale, s’installe de façon pérenne entre les factions palestiniennes. «La méfiance est si grande entre les factions qu’il est difficile de savoir ce que les Chinois pensent pouvoir faire pour réduire le fossé qui les sépare», tempère Guy Burton.

En effet, contrairement aux négociations actuelles, la partie pékinoise des pourparlers Iran-Arabie saoudite «n’était que la dernière étape d’un processus plus long qui avait impliqué la médiation du Qatar et de l’Irak», rappelle le chercheur. Or, les négociations menées en début de semaine s’apparentent davantage au début d’un long chemin.

Une photo fournie par le bureau de presse de l'Autorité palestinienne (PPO) montre (de gauche à droite) le président palestinien Mahmoud Abbas serrant la main du président chinois Xi Jinping lors de leur rencontre à Riyad, capitale de l'Arabie saoudite, le 8 décembre 2022. (Thaer GHANAIM / PPO / AFP)

Mais la véritable question reste de savoir si la Chine souhaite réellement s’investir à long terme dans ce processus. Car celle-ci risque sa crédibilité politique, «sans garantie de succès», insiste le chercheur. En effet, la diplomatie chinoise se plaît à régulièrement rappeler son strict attachement à une politique de non-ingérence dans les affaires internes d’autres pays.

Selon Guy Burton, si les Chinois souhaitent «s’impliquer davantage dans le conflit et dans les processus de paix qui l’accompagnent, ils ne doivent pas se contenter de réitérer leurs déclarations en faveur de deux États». Cette position pourrait faire preuve d’aveu de faiblesse concernant ce dossier, sur le long terme.

En d’autres termes, les représentants de Pékin devront donc davantage mouiller la chemise pour espérer tirer un gain de ces pourparlers. Au regard de la rivalité sino-américaine dans la région, «il y a donc la perspective d’un grand prix à gagner, mais avec des risques importants en cas d’échec», conclut M. Burton. Avec en ligne de mire: l’affirmation de Pékin comme puissance diplomatique globale.

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