«La Chine est prête à travailler avec les pays arabes pour construire une communauté de destin sino-arabe d’un niveau supérieur.» Le président chinois Xi Jinping illustrait ainsi la volonté chinoise d’accroître sa présence au Moyen-Orient en termes économiques, à l’occasion de l’organisation du 33ᵉ sommet de la Ligue arabe à Bahreïn, vendredi 17 mai.
Un appétit auquel n’échappe pas le pays du Cèdre. Au cours des dernières années, les échanges commerciaux entre les deux pays se sont accrus, en partie à cause de la crise économique libanaise qui a vu privilégier des produits à petits prix.
Avec toutefois un déséquilibre flagrant en termes de balance commerciale: alors qu’avec 14%, la Chine constitue la première source d’importation libanaise, Beyrouth n’exporte que peu de biens à destination de l’Empire du milieu.
Nouvelles routes de la soie
Pour autant, Pékin investit toujours au Liban, notamment en raison de sa position de carrefour. Car ce dernier pourrait constituer un maillon du plus grand chantier entrepris par la Chine dans le monde: l’initiative des Nouvelles routes de la soie, ou BRI (Belt & Road Initiative).
Derrière ce terme se cache la création d’axes commerciaux terrestres et maritimes majeurs, dont le but affiché est de renforcer les échanges sur l’ensemble du continent eurasiatique. Pour l’atteindre, la Chine finance à tour de bras des infrastructures logistiques et de communication, telles que routes, voies ferrées, ports, mais aussi télécoms.
En plus d’une finalité politique visant à étendre l’influence de la République populaire, cette initiative présente bien évidemment des objectifs économiques. Il s’agit d’abord de sécuriser les routes d’approvisionnement de Pékin.
Mais la BRI a aussi pour but d’accroître les exportations et de trouver de nouveaux marchés pour les entreprises chinoises, notamment en termes de travaux publics, comme le relevait le site Géoconfluences dans un article publié en 2018.
La BRI emprunte plusieurs corridors. Deux sont terrestres: l’un suit un axe Asie centrale-Iran-Turquie, l’autre passe au nord par la Russie jusqu’à l’Europe de l’Est. L’itinéraire maritime passe par l’océan Indien, avant de se scinder en deux. Une voie longe la côte est-africaine jusqu’au sud du continent, l’autre remonte la mer Rouge pour atteindre la Méditerranée.
Pour l’instant, le Liban est loin de constituer un maillon central au sein de la BRI. Une situation que déplore Waref Kumayha, président de l’association libano-chinoise Dialogue Roads. Interrogé par Ici Beyrouth, celui-ci rappelle qu’en 2017, «un accord de coopération a été signé entre le Liban et la Chine, intitulé “les nouvelles routes de la soie”, couvrant la logistique, les infrastructures d’énergie, le sport et la santé».
Dons en cascade
M. Kumayha dit espérer «que cet accord sera activé afin que le Liban bénéficie de cette initiative de manière avantageuse et sur une base gagnant-gagnant». «Nous n’avons pas encore eu la chance de bénéficier d’une telle opportunité, ajoute-t-il. Nous encourageons à saisir cette chance, elle pourrait contribuer à résoudre une bonne partie de la crise économique au Liban.»
Mais si la coopération sino-libanaise tarde à se concrétiser, Pékin ne reste pas inactif et place ses pions au Liban, à travers l’octroi d’aides et de dons. «Après l’explosion au port de Beyrouth (le 4 août 2020), l’État chinois a énormément aidé le Liban», rappelle M. Kumayha, pointant son rôle dans la restauration et la reconstruction du ministère des Affaires étrangères.
Autre manifestation tangible: le don de panneaux solaires à Ogero, pour un montant de 8 millions de dollars. «Nous avons été contactés par l’ambassade de Chine, il y a à peu près un ou deux mois, qui nous a informés que le gouvernement chinois avait accepté justement d’octroyer ce don à Ogero», affirme Imad Kreidieh, directeur général du fournisseur public de téléphonie et d’Internet. «Nous anticipons que le matériel dans son entier parvienne au Liban aux alentours du mois d’août ou de septembre», poursuit-il.
Le but affiché consiste évidemment à réduire la dépendance au fioul, véritable puits financier pour l’État libanais. Mais la générosité chinoise sert aussi un but économique. En mettant en avant son savoir-faire auprès d’une entreprise publique incontournable – pour rappel, la Chine constitue le leader sur ce marché – celle-ci espère aussi attirer de nouveaux clients au sein du secteur privé.
La reconstruction du ministère des Affaires étrangères peut aussi être vue sous cet angle, les entreprises chinoises figurant parmi les leaders sur le marché de la construction.
Ports libanais
Mais le véritable intérêt de la Chine pour le Liban réside ailleurs. Plus précisément, dans les infrastructures logistiques que représentent ses deux principaux ports, Beyrouth et Tripoli.
Pékin s’est présenté comme l’un des candidats à l’appel d’offre pour la reconstruction du port après l’explosion du 4 août 2020. Sa candidature fut appuyée par le Hezbollah, en raison de la proximité entre Pékin et Téhéran. Toutefois, elle ne s’est jamais muée en quelque chose de concret. En cause: les difficultés économiques sans précédent que traverse le pays, couplées à l’instabilité régionale.
Même son de cloche du côté de Tripoli. «Nous avons, à plusieurs occasions, perçu la volonté de la Chine et des compagnies chinoises de faire des investissements au Liban et à Tripoli», affirme Toufic Dabboussi, président de la Chambre de commerce de la grande ville septentrionale du pays. «Mais la situation locale et régionale a empêché la réalisation de ce projet pour le moment», tempère-t-il.
Il faut rappeler que ces infrastructures furent rénovées par la China Harbor Engineering Company (CHEC), une entreprise détenue par l’État chinois, entre 2011 et 2015. L’importation d’une seconde grue par la compagnie émiratie Gulftainer dans le port de Tripoli, en décembre 2023, peut aussi témoigner d’un regain d’intérêt.
«Les grues sont en provenance de Chine, mais il s’agit d’un projet privé», fait remarquer M. Dabboussi. «La compagnie Gulftainer s’est chargée de la gestion du quai au port de Tripoli et a importé les grues de Chine, une première en 2015 et une seconde plus récemment», poursuit-il, avant de préciser: «Ce n’est pas une donation, c’est un investissement au sens classique du terme.»
Ambitions chinoises au Levant
S’il ne s’agit pas de dons, la livraison de grues au port de Tripoli peut aussi permettre de renforcer l’attrait économique de la Chine. Et à cette dernière de s’investir davantage dans une infrastructure qui pourrait potentiellement rapporter gros.
Car le port de Tripoli pourrait constituer une porte d’entrée pour la reconstruction de la Syrie voisine, ravagée par la guerre depuis 2011. Il viendrait ainsi soulager les ports syriens de Lattaquié et deTartous.
Ce projet pourrait avoir un impact positif localement, comme en témoigne l’exemple du port du Pirée en Grèce. Repris en 2016 par la société chinoise Cosco Shipping, celui-ci est ensuite devenu un maillon important du commerce entre l’Asie et l’Europe. Sa modernisation a entraîné une augmentation des volumes de marchandises, avec un impact positif sur l’économie locale. Pour la Grèce, cela s’est traduit par la création d’emplois à la clé et une bouffée d’air frais pour l’économie du pays.
Risques liés à la BRI
Néanmoins, la BRI présente des problèmes liés à la transparence. Selon un rapport publié par l’institut américain AidData en 2021, l’initiative chinoise a fait l'objet de plusieurs scandales de corruption majeurs parmi certains pays receveurs. Or, on sait que le Liban, même s’il n’a pas été cité, jouit déjà d’une mauvaise réputation en matière de corruption.
Néanmoins, la domination chinoise liée à la BRI s’exerce, au-delà de son voisinage immédiat, surtout en termes économiques. Car l’initiative cherche surtout à contrer l’influence économique américaine. Contrairement à son concurrent, la Chine ne cherche pas à développer son influence culturelle… bien qu’elle commence à s’affirmer au pays du Cèdre.
Un appétit auquel n’échappe pas le pays du Cèdre. Au cours des dernières années, les échanges commerciaux entre les deux pays se sont accrus, en partie à cause de la crise économique libanaise qui a vu privilégier des produits à petits prix.
Avec toutefois un déséquilibre flagrant en termes de balance commerciale: alors qu’avec 14%, la Chine constitue la première source d’importation libanaise, Beyrouth n’exporte que peu de biens à destination de l’Empire du milieu.
Nouvelles routes de la soie
Pour autant, Pékin investit toujours au Liban, notamment en raison de sa position de carrefour. Car ce dernier pourrait constituer un maillon du plus grand chantier entrepris par la Chine dans le monde: l’initiative des Nouvelles routes de la soie, ou BRI (Belt & Road Initiative).
Derrière ce terme se cache la création d’axes commerciaux terrestres et maritimes majeurs, dont le but affiché est de renforcer les échanges sur l’ensemble du continent eurasiatique. Pour l’atteindre, la Chine finance à tour de bras des infrastructures logistiques et de communication, telles que routes, voies ferrées, ports, mais aussi télécoms.
En plus d’une finalité politique visant à étendre l’influence de la République populaire, cette initiative présente bien évidemment des objectifs économiques. Il s’agit d’abord de sécuriser les routes d’approvisionnement de Pékin.
Mais la BRI a aussi pour but d’accroître les exportations et de trouver de nouveaux marchés pour les entreprises chinoises, notamment en termes de travaux publics, comme le relevait le site Géoconfluences dans un article publié en 2018.
La BRI emprunte plusieurs corridors. Deux sont terrestres: l’un suit un axe Asie centrale-Iran-Turquie, l’autre passe au nord par la Russie jusqu’à l’Europe de l’Est. L’itinéraire maritime passe par l’océan Indien, avant de se scinder en deux. Une voie longe la côte est-africaine jusqu’au sud du continent, l’autre remonte la mer Rouge pour atteindre la Méditerranée.
Pour l’instant, le Liban est loin de constituer un maillon central au sein de la BRI. Une situation que déplore Waref Kumayha, président de l’association libano-chinoise Dialogue Roads. Interrogé par Ici Beyrouth, celui-ci rappelle qu’en 2017, «un accord de coopération a été signé entre le Liban et la Chine, intitulé “les nouvelles routes de la soie”, couvrant la logistique, les infrastructures d’énergie, le sport et la santé».
Dons en cascade
M. Kumayha dit espérer «que cet accord sera activé afin que le Liban bénéficie de cette initiative de manière avantageuse et sur une base gagnant-gagnant». «Nous n’avons pas encore eu la chance de bénéficier d’une telle opportunité, ajoute-t-il. Nous encourageons à saisir cette chance, elle pourrait contribuer à résoudre une bonne partie de la crise économique au Liban.»
Mais si la coopération sino-libanaise tarde à se concrétiser, Pékin ne reste pas inactif et place ses pions au Liban, à travers l’octroi d’aides et de dons. «Après l’explosion au port de Beyrouth (le 4 août 2020), l’État chinois a énormément aidé le Liban», rappelle M. Kumayha, pointant son rôle dans la restauration et la reconstruction du ministère des Affaires étrangères.
Autre manifestation tangible: le don de panneaux solaires à Ogero, pour un montant de 8 millions de dollars. «Nous avons été contactés par l’ambassade de Chine, il y a à peu près un ou deux mois, qui nous a informés que le gouvernement chinois avait accepté justement d’octroyer ce don à Ogero», affirme Imad Kreidieh, directeur général du fournisseur public de téléphonie et d’Internet. «Nous anticipons que le matériel dans son entier parvienne au Liban aux alentours du mois d’août ou de septembre», poursuit-il.
Le but affiché consiste évidemment à réduire la dépendance au fioul, véritable puits financier pour l’État libanais. Mais la générosité chinoise sert aussi un but économique. En mettant en avant son savoir-faire auprès d’une entreprise publique incontournable – pour rappel, la Chine constitue le leader sur ce marché – celle-ci espère aussi attirer de nouveaux clients au sein du secteur privé.
La reconstruction du ministère des Affaires étrangères peut aussi être vue sous cet angle, les entreprises chinoises figurant parmi les leaders sur le marché de la construction.
Ports libanais
Mais le véritable intérêt de la Chine pour le Liban réside ailleurs. Plus précisément, dans les infrastructures logistiques que représentent ses deux principaux ports, Beyrouth et Tripoli.
Pékin s’est présenté comme l’un des candidats à l’appel d’offre pour la reconstruction du port après l’explosion du 4 août 2020. Sa candidature fut appuyée par le Hezbollah, en raison de la proximité entre Pékin et Téhéran. Toutefois, elle ne s’est jamais muée en quelque chose de concret. En cause: les difficultés économiques sans précédent que traverse le pays, couplées à l’instabilité régionale.
Même son de cloche du côté de Tripoli. «Nous avons, à plusieurs occasions, perçu la volonté de la Chine et des compagnies chinoises de faire des investissements au Liban et à Tripoli», affirme Toufic Dabboussi, président de la Chambre de commerce de la grande ville septentrionale du pays. «Mais la situation locale et régionale a empêché la réalisation de ce projet pour le moment», tempère-t-il.
Il faut rappeler que ces infrastructures furent rénovées par la China Harbor Engineering Company (CHEC), une entreprise détenue par l’État chinois, entre 2011 et 2015. L’importation d’une seconde grue par la compagnie émiratie Gulftainer dans le port de Tripoli, en décembre 2023, peut aussi témoigner d’un regain d’intérêt.
«Les grues sont en provenance de Chine, mais il s’agit d’un projet privé», fait remarquer M. Dabboussi. «La compagnie Gulftainer s’est chargée de la gestion du quai au port de Tripoli et a importé les grues de Chine, une première en 2015 et une seconde plus récemment», poursuit-il, avant de préciser: «Ce n’est pas une donation, c’est un investissement au sens classique du terme.»
Ambitions chinoises au Levant
S’il ne s’agit pas de dons, la livraison de grues au port de Tripoli peut aussi permettre de renforcer l’attrait économique de la Chine. Et à cette dernière de s’investir davantage dans une infrastructure qui pourrait potentiellement rapporter gros.
Car le port de Tripoli pourrait constituer une porte d’entrée pour la reconstruction de la Syrie voisine, ravagée par la guerre depuis 2011. Il viendrait ainsi soulager les ports syriens de Lattaquié et deTartous.
Ce projet pourrait avoir un impact positif localement, comme en témoigne l’exemple du port du Pirée en Grèce. Repris en 2016 par la société chinoise Cosco Shipping, celui-ci est ensuite devenu un maillon important du commerce entre l’Asie et l’Europe. Sa modernisation a entraîné une augmentation des volumes de marchandises, avec un impact positif sur l’économie locale. Pour la Grèce, cela s’est traduit par la création d’emplois à la clé et une bouffée d’air frais pour l’économie du pays.
Risques liés à la BRI
Néanmoins, la BRI présente des problèmes liés à la transparence. Selon un rapport publié par l’institut américain AidData en 2021, l’initiative chinoise a fait l'objet de plusieurs scandales de corruption majeurs parmi certains pays receveurs. Or, on sait que le Liban, même s’il n’a pas été cité, jouit déjà d’une mauvaise réputation en matière de corruption.
Néanmoins, la domination chinoise liée à la BRI s’exerce, au-delà de son voisinage immédiat, surtout en termes économiques. Car l’initiative cherche surtout à contrer l’influence économique américaine. Contrairement à son concurrent, la Chine ne cherche pas à développer son influence culturelle… bien qu’elle commence à s’affirmer au pays du Cèdre.
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