«L’art de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans combat.» Ces mots rapportent de manière simplifiée les propos du penseur chinois Sun Tzu dans son essai L’Art de la guerre (onzième siècle). De nos jours, dans sa volonté de contester le leadership américain au niveau global, c’est bien une offensive de charme que mène Pékin hors de ses frontières, notamment au niveau culturel.
Le Liban n’échappe pas à ce rayonnement. À l’image d’autres pays, la Chine investit sur ce plan au pays du Cèdre, qu’il s’agisse d’infrastructures, de cours de langue, d’échanges étudiants ou tout simplement par l’attrait qu’exerce sa culture à travers les réseaux sociaux. En d’autres termes, l’Empire du milieu y démontre la force de son soft power.
«Convaincre et séduire»
Pour reprendre la définition établie par Joseph Nye, en 1990, il s’agit de la capacité d’un État à «convaincre et séduire tant les États que leurs sociétés civiles». La culture y tient un rôle prépondérant, à l’image du rôle joué par Hollywood pour le rayonnement américain. On l’oppose notamment au Hard Power, autrement dit la capacité d’un État de s’imposer par la coercition.
Si elle en intègre les principes dès la fin des années 1990, la République populaire de Chine incorpore le soft power dans sa ligne politique en 2007, sous le président Hu Jintao. Dans les années qui suivent, cette inflexion se traduit par la mise sur pied d’une véritable industrie culturelle.
Cela inclut l’organisation d’événements à la portée internationale comme les jeux Olympiques, mais aussi les investissements dans le secteur médiatique (radio, TV, etc.), les réseaux sociaux (TikTok), ainsi que le cinéma. En parallèle, Pékin met en place une véritable diplomatie culturelle, à travers la multiplication d’instituts dédiés à travers le monde.
Un fer de lance: l’institut Confucius
Au Liban, l’initiative de Pékin débute avec l’ouverture d’un institut Confucius dès 2006 à Beyrouth. À l’image d’autres institutions similaires comme l’Alliance française dont ils s’inspirent, ces instituts ont pour vocation première l’apprentissage de la langue chinoise, mais aussi la découverte de la culture chinoise.
Localisé au sein du campus de l’Université Saint-Joseph (USJ), à la rue de Damas, l’institut Confucius de Beyrouth est actuellement dirigé par Nisrine Abdelnour Lattouf, dont l’équipe pédagogique est principalement constituée d’enseignants de nationalité chinoise. Il dispense essentiellement des cours le vendredi soir à une centaine d’étudiants et met à leur disposition une bibliothèque spécialisée.
«Nous organisons souvent des activités sur la culture chinoise, explique Mme Abdelnour Lattouf à Ici Beyrouth. Récemment, nous avons également mis en place des cours sur la culture chinoise». Ceux-ci abordent aussi les aspects géographiques et politiques de la République populaire.
Mais l’Institut Confucius ne dispense pas les cours uniquement dans ses locaux. Après le début de la crise en 2019, il a développé des partenariats avec d’autres institutions. C’est le cas du collège Notre-Dame de Jamhour. «Nous avons pensé qu’il est beaucoup plus facile pour les enseignants de se rendre dans les campus des écoles», précise Mme Abdelnour Lattouf. Ainsi, note-t-elle, «les élèves désireux de suivre ces cours resteront sur place». «Ils pourront choisir d’apprendre cette langue dans le cadre d’une activité parascolaire», poursuit-elle.
Il s’agit, avant tout, de s’adapter aux considérations économiques des Libanais affectés par la crise. Mais cela permet aussi d’élargir l’attrait du chinois au pays du Cèdre, en visant un point stratégique, celui de son secteur éducatif.
Le soft power chinois en action
L’Institut Confucius de Beyrouth ne laisse pas de marbre. Il est aidé en cela par le rayonnement culturel chinois à l’étranger. «C’est un intérêt d’abord culturel», témoigne Angela, qui suit des leçons aux locaux de l’institut. «Je me suis intéressée à la culture chinoise, à la pop culture chinoise, aux films, à la littérature, aux séries, à la musique et je me suis dit, pourquoi pas ?».
Un attrait auquel les réseaux sociaux ne sont pas étrangers. Parmi ces derniers, une application sort du lot : TikTok. Décriée par les élites politiques occidentales comme relais d’influence de la Chine, elle est la propriété de l’entreprise pékinoise ByteDance.
Li Xiaoyan, professeure de chinois à l’institut Confucius de Beyrouth, reconnaît l’influence du plus grand réseau social non occidental. «Certains adultes sont intéressés par l’apprentissage du chinois en raison de TikTok», commente-t-elle. Elle tempère toutefois par le fait que «d’autres, à moyen terme, commencent à penser que la Chine serait une bonne destination pour voyager ou peut-être pour travailler à l’avenir».
En 2019, une fuite de documents révélait que l’application demandait à ses modérateurs de censurer les vidéos mentionnant des sujets tels que la place Tiananmen, l’indépendance du Tibet ou encore la question ouïghoure. TikTok a depuis répondu en affirmant avoir modifié ces instructions.
Toutefois, les soupçons demeurent, notamment en ce qui concerne son algorithme. Tenu secret, celui-ci a depuis été régulièrement accusé de favoriser une vision positive de la République populaire.
Diplomatie musicale
Outre l’institut, le gouvernement chinois déploie ses efforts dans d’autres pans du secteur culturel. Il finance notamment la construction du Conservatoire national supérieur de musique du Liban, avec un don de 62 millions de dollars américains. À l’œuvre, la China State Construction Engineering Corporation Limited (CSCEC), propriété de Pékin.
À travers ce projet, se retrouvent donc les éléments caractéristiques des «Nouvelles routes de la Soie». Enthousiaste, la présidente du conservatoire, Hiba Kawas, décrit un projet «vraiment unique, car il constitue en quelque sorte un symbole dans notre région».
«Je pense que l’approche du gouvernement chinois était une approche à long terme», poursuit-elle. «Le fait d’entamer la relation avec le Liban à travers ce projet, qui est purement culturel, montre à quel point la politique chinoise dépend de la diplomatie musicale et reconnaît son pouvoir, son vrai pouvoir», ajoute Mme Kawas.
Depuis l’Antiquité, politique et musique ont été des sujets liés en Chine. «La musique a le pouvoir de transcender les frontières», affirmait par ailleurs Xi Jinping, en novembre 2023, dans une lettre adressée à l’orchestre de Philadelphie. Et dans le cas du Liban, il s’agit bien de renforcer les échanges entre les deux pays.
Un plus grand dessein
Un rapprochement qui dépasse le cadre de la langue et de la musique. En témoigne le spectacle «Sailing the Silk Road» donné par la troupe Caracalla, en 2018, pour le 60ᵉ anniversaire du Festival international de Baalbeck. Le spectacle eut lieu à Pékin, sur invitation des autorités chinoises.
Toutefois, l’offensive de charme chinoise ne se limite pas aux simples manifestations culturelles. En effet, elle cherche aussi à s’insérer dans sa diffusion. C’est ainsi qu’en décembre 2023, le ministre sortant de l’Information, Ziad al-Makary, a signé un accord de coopération dans le domaine des médias avec le ministre chinois de l’Administration nationale de la radio et de la télévision, Cao Shumin.
Outre une coopération technique, l’accord incluait notamment l’échange et la distribution de programmes médiatiques, ainsi que le soutien logistique aux équipes de médias dans les deux pays. S’y ajoute la coopération dans la gestion des politiques administratives des institutions médiatiques.
Simples accords passés entre deux pays amis ? Rappelons sur ce point que le 19 août 2013, Xi Jinping définissait son approche de la propagande et des messages internationaux par le fait de «bien raconter l’histoire de la Chine». Le dirigeant chinois mettait alors l’accent sur la notion de «propagande extérieure».
En d’autres termes, il s’agit de présenter la République populaire sous son jour le plus noble, notamment à travers les médias. Une initiative qui dépasse désormais largement le champ culturel… pour s’insérer dans la sphère politique.
Le Liban n’échappe pas à ce rayonnement. À l’image d’autres pays, la Chine investit sur ce plan au pays du Cèdre, qu’il s’agisse d’infrastructures, de cours de langue, d’échanges étudiants ou tout simplement par l’attrait qu’exerce sa culture à travers les réseaux sociaux. En d’autres termes, l’Empire du milieu y démontre la force de son soft power.
«Convaincre et séduire»
Pour reprendre la définition établie par Joseph Nye, en 1990, il s’agit de la capacité d’un État à «convaincre et séduire tant les États que leurs sociétés civiles». La culture y tient un rôle prépondérant, à l’image du rôle joué par Hollywood pour le rayonnement américain. On l’oppose notamment au Hard Power, autrement dit la capacité d’un État de s’imposer par la coercition.
Si elle en intègre les principes dès la fin des années 1990, la République populaire de Chine incorpore le soft power dans sa ligne politique en 2007, sous le président Hu Jintao. Dans les années qui suivent, cette inflexion se traduit par la mise sur pied d’une véritable industrie culturelle.
Cela inclut l’organisation d’événements à la portée internationale comme les jeux Olympiques, mais aussi les investissements dans le secteur médiatique (radio, TV, etc.), les réseaux sociaux (TikTok), ainsi que le cinéma. En parallèle, Pékin met en place une véritable diplomatie culturelle, à travers la multiplication d’instituts dédiés à travers le monde.
Un fer de lance: l’institut Confucius
Au Liban, l’initiative de Pékin débute avec l’ouverture d’un institut Confucius dès 2006 à Beyrouth. À l’image d’autres institutions similaires comme l’Alliance française dont ils s’inspirent, ces instituts ont pour vocation première l’apprentissage de la langue chinoise, mais aussi la découverte de la culture chinoise.
Localisé au sein du campus de l’Université Saint-Joseph (USJ), à la rue de Damas, l’institut Confucius de Beyrouth est actuellement dirigé par Nisrine Abdelnour Lattouf, dont l’équipe pédagogique est principalement constituée d’enseignants de nationalité chinoise. Il dispense essentiellement des cours le vendredi soir à une centaine d’étudiants et met à leur disposition une bibliothèque spécialisée.
«Nous organisons souvent des activités sur la culture chinoise, explique Mme Abdelnour Lattouf à Ici Beyrouth. Récemment, nous avons également mis en place des cours sur la culture chinoise». Ceux-ci abordent aussi les aspects géographiques et politiques de la République populaire.
Mais l’Institut Confucius ne dispense pas les cours uniquement dans ses locaux. Après le début de la crise en 2019, il a développé des partenariats avec d’autres institutions. C’est le cas du collège Notre-Dame de Jamhour. «Nous avons pensé qu’il est beaucoup plus facile pour les enseignants de se rendre dans les campus des écoles», précise Mme Abdelnour Lattouf. Ainsi, note-t-elle, «les élèves désireux de suivre ces cours resteront sur place». «Ils pourront choisir d’apprendre cette langue dans le cadre d’une activité parascolaire», poursuit-elle.
Il s’agit, avant tout, de s’adapter aux considérations économiques des Libanais affectés par la crise. Mais cela permet aussi d’élargir l’attrait du chinois au pays du Cèdre, en visant un point stratégique, celui de son secteur éducatif.
Le soft power chinois en action
L’Institut Confucius de Beyrouth ne laisse pas de marbre. Il est aidé en cela par le rayonnement culturel chinois à l’étranger. «C’est un intérêt d’abord culturel», témoigne Angela, qui suit des leçons aux locaux de l’institut. «Je me suis intéressée à la culture chinoise, à la pop culture chinoise, aux films, à la littérature, aux séries, à la musique et je me suis dit, pourquoi pas ?».
Un attrait auquel les réseaux sociaux ne sont pas étrangers. Parmi ces derniers, une application sort du lot : TikTok. Décriée par les élites politiques occidentales comme relais d’influence de la Chine, elle est la propriété de l’entreprise pékinoise ByteDance.
Li Xiaoyan, professeure de chinois à l’institut Confucius de Beyrouth, reconnaît l’influence du plus grand réseau social non occidental. «Certains adultes sont intéressés par l’apprentissage du chinois en raison de TikTok», commente-t-elle. Elle tempère toutefois par le fait que «d’autres, à moyen terme, commencent à penser que la Chine serait une bonne destination pour voyager ou peut-être pour travailler à l’avenir».
En 2019, une fuite de documents révélait que l’application demandait à ses modérateurs de censurer les vidéos mentionnant des sujets tels que la place Tiananmen, l’indépendance du Tibet ou encore la question ouïghoure. TikTok a depuis répondu en affirmant avoir modifié ces instructions.
Toutefois, les soupçons demeurent, notamment en ce qui concerne son algorithme. Tenu secret, celui-ci a depuis été régulièrement accusé de favoriser une vision positive de la République populaire.
Diplomatie musicale
Outre l’institut, le gouvernement chinois déploie ses efforts dans d’autres pans du secteur culturel. Il finance notamment la construction du Conservatoire national supérieur de musique du Liban, avec un don de 62 millions de dollars américains. À l’œuvre, la China State Construction Engineering Corporation Limited (CSCEC), propriété de Pékin.
À travers ce projet, se retrouvent donc les éléments caractéristiques des «Nouvelles routes de la Soie». Enthousiaste, la présidente du conservatoire, Hiba Kawas, décrit un projet «vraiment unique, car il constitue en quelque sorte un symbole dans notre région».
«Je pense que l’approche du gouvernement chinois était une approche à long terme», poursuit-elle. «Le fait d’entamer la relation avec le Liban à travers ce projet, qui est purement culturel, montre à quel point la politique chinoise dépend de la diplomatie musicale et reconnaît son pouvoir, son vrai pouvoir», ajoute Mme Kawas.
Depuis l’Antiquité, politique et musique ont été des sujets liés en Chine. «La musique a le pouvoir de transcender les frontières», affirmait par ailleurs Xi Jinping, en novembre 2023, dans une lettre adressée à l’orchestre de Philadelphie. Et dans le cas du Liban, il s’agit bien de renforcer les échanges entre les deux pays.
Un plus grand dessein
Un rapprochement qui dépasse le cadre de la langue et de la musique. En témoigne le spectacle «Sailing the Silk Road» donné par la troupe Caracalla, en 2018, pour le 60ᵉ anniversaire du Festival international de Baalbeck. Le spectacle eut lieu à Pékin, sur invitation des autorités chinoises.
Toutefois, l’offensive de charme chinoise ne se limite pas aux simples manifestations culturelles. En effet, elle cherche aussi à s’insérer dans sa diffusion. C’est ainsi qu’en décembre 2023, le ministre sortant de l’Information, Ziad al-Makary, a signé un accord de coopération dans le domaine des médias avec le ministre chinois de l’Administration nationale de la radio et de la télévision, Cao Shumin.
Outre une coopération technique, l’accord incluait notamment l’échange et la distribution de programmes médiatiques, ainsi que le soutien logistique aux équipes de médias dans les deux pays. S’y ajoute la coopération dans la gestion des politiques administratives des institutions médiatiques.
Simples accords passés entre deux pays amis ? Rappelons sur ce point que le 19 août 2013, Xi Jinping définissait son approche de la propagande et des messages internationaux par le fait de «bien raconter l’histoire de la Chine». Le dirigeant chinois mettait alors l’accent sur la notion de «propagande extérieure».
En d’autres termes, il s’agit de présenter la République populaire sous son jour le plus noble, notamment à travers les médias. Une initiative qui dépasse désormais largement le champ culturel… pour s’insérer dans la sphère politique.
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