Le déroulement des Jeux olympiques en France offre, non seulement, un répit à l’état de tension et de polarisation qui prévaut dans le pays depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, mais il est à même de changer la dynamique interne et d’infléchir le cours de la vie politique dans la direction du déblocage et du rééquilibrage du jeu politique distancé des extrêmes. Rien n’est acquis surtout que la réussite spectaculaire de l’organisation des Jeux olympiques, la mobilisation des ressources artistiques et l’entrain qu’ils ont suscités en France et dans le monde, n’ont pas été salués de manière unanime vu la part indue concédée à l’imaginaire woke et ses memes, ainsi qu’à la rétrospective controversée du régicide français comme acte inaugural de l’ère révolutionnaire.
Thomas Jolly justifie le choix de l’épisode de la conciergerie et de l’exécution de Marie-Antoinette pour sa théâtralité alors qu’il aurait pu choisir un autre thème. L’épisode de la terreur thermidorienne avait, d’ores et déjà, remis en cause la crédibilité morale et politique de la Révolution française et donné lieu à une controverse mémorielle qui n’a cessé de diviser les Français et de questionner les prédicats de l’historiographie française. Les interprétations conflictuelles du régicide répercutent des visions très contrastées du meurtre inaugural comme source de légitimité, comme l’attestent les bouleversements révolutionnaires qui n’ont pris fin qu’avec le régime de la restauration.
La scène du festin dionysiaque reprise aux bacchantes d’Euripide et aux interprétations qu’en fait Jan Harmensz van Biljert (1635) ou Fellini dans Satyricon (1969) se construit à partir de la confusion délibérée des registres sémantiques entre le festin dionysiaque et la Cène des Évangiles que le metteur en scène cherche à mettre en perspective et que rien ne justifie d’un point de vue axiomatique, Patrick Boucheron (historien et co-auteur de la cérémonie d’ouverture) reconnaît qu’il y a une «interprétation de la Cène» et parle d’une «Cène subliminale» (Le Figaro, 30 juillet 2024). La subjectivité artistique est à respecter dans sa démarche propre, mais elle ne correspond pas aux réalités respectives des deux scènes pas plus qu’à la nature publique de l’événement.
Les embardées artistiques de Thomas Jolly ne font que relayer sa trame narrative et la confusion des genres fait partie de la grammaire générative qui les met en acte. Il s’agit d’une cassure délibérée qui se définit à partir d’un chaos primitif et d’une socio-cosmogonie orgiaque. La cassure des canons étant une condition préjudicielle à la formation d’une anthropologie androgyne et transgenrée. Sans vouloir enfreindre la créativité artistique, la chorégraphie aurait gagné à mettre en œuvre des scénarios moins clivants sur le plan idéologique et davantage attentifs à la multiplicité des sensibilités artistiques. Une sélectivité connotée idéologiquement et historiquement n’est pas forcément plus respectueuse de la norme artistique, surtout qu’on est dans une festivité de nature sportive, cosmopolite et fédératrice.
Par ailleurs, on est étonné de constater que les grandes personnalités féminines qui ont marqué l’histoire française comme Jeanne d'Arc, Marie Curie, Germaine de Staël, Camille Claudel, Geneviève Anthonioz-Degaulle, Germaine Tillon, Marie-Madeleine Fourcade, Lucie Aubrac, Marguerite Yourcenar, Françoise Dolto, Marguerite Duras, Gabrielle Sidonie (Colette), Emmanuelle Cinquin (Soeur Emmanuelle), Line Renaud, Catherine Deneuve, Romy Schneider, Isabelle Huppert, Isabelle Adjani, Dominique Sanda, Fanny Ardant, Nicole Garcia aient été écartées du panthéon… Le metteur en scène déploie ses choix idéologiques sans vergogne. Ils sont tout à fait compréhensibles de son point de vue, mais de nature polémique lorsqu’il s’agit d’un événement sportif mondial, impulsé en 1896 par le comte Charles Pierre de Coubertin (1863-1937, historien et éducateur) et le père Henri Didon (1840-1900, religieux dominicain, éducateur et auteur de la devise olympique: plus vite, plus haut, plus fort) qui devait marquer la reprise des Jeux olympiques de l’ère grecque (sixième-septième siècle avant l’ère chrétienne) qui faisaient partie des festivités religieuses en hommage à Zeus (Odes de Pindare, deuxième siècle avant J.-C., Description de la Grèce par Pausanias le Périégète, deuxième siècle avant J.-C.).
La mise en scène de la doxa woke a porté atteinte à la nature fédératrice de l’événement sportif, sans pour autant ajouter à sa qualité artistique. Le télescopage idéologique a fait ombrage à des inspirations culturelles beaucoup plus denses et à la surabondance d’un patrimoine culturel français foisonnant. En effet, les scotomes de nature psychotique du wokisme sont aveuglantes et contreproductives et expliquent, dans une large mesure, la polémique actuelle qui s’inscrit dans le cadre des clivages politiques en cours et leurs doubles culturels: nommément le discours woke qui s’est emparé du script théâtral dans son ensemble.
La controverse sur les rapports entre le christianisme et l’antiquité grecque est d’un ridicule pour ceux qui connaissent le rôle de la philosophie grecque dans la structuration du Kérygme chrétien et celui de l’Église dans la transmission et dans l’interprétation du patrimoine grec, il suffit de lire les pères de l’Église et les philosophes de l’ère médiévale et de la Renaissance, de récapituler l’histoire de l’art chrétien, de la pédagogie scolaire et universitaire et de se rappeler le rôle-clé de la papauté médiévale dans la Renaissance. Une simple promenade dans les États papaux de Rome, Florence, Bologne, Venise, Bergame, Sienne, Ferrara, Vérone, Milan, Turin…. peut nous instruire largement sur la centralité de la Grèce antique dans l’œuvre littéraire, philosophique et artistique de la Renaissance.
Autrement, la scène politique française ne cesse de reproduire de manière cyclique les apories de l’ère totalitaire des années trente du siècle dernier, en remplaçant la doxa marxiste par celle du wokisme. La polémique actuelle est marquée par le retour des scotomes idéologiques et l’éclatement des consensus épistémologiques de la démocratie libérale au profit d’un réductionnisme identitaire qui pourfend l’universalité des droits humanitaires et les principes fondateurs de la démocratie libérale et de l’État de droit. Un travail public se construit sur une base consensuelle qui procède par recoupement entre des visions du monde contrastées. L’éthique discursive prime afin que la communauté citoyenne puisse être cimentée par le dialogue basé sur la réciprocité morale et le socle des valeurs autour desquelles se structure la res-publica. Il faudrait dissiper tous ces malentendus afin de dégager la voie à un échange rationnel et mettre un terme aux retranchements idéologiques. La créativité qui a réussi cette gageure artistique devrait inspirer des retournements politiques majeurs qui mettraient fin aux apories de la démocratie française et ses controverses idéologiques. Il est grand temps de changer de paradigme.
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