Les Conclusiones philosophicæ d’Estéphan Douaihy

En marge de l’apologie de la sainteté d’Estéphan Douaihy, il convient de faire une petite lumière sur le savoir de l’historiographe maronite qui, en date de parution de ces lignes, aura été proclamé bienheureux. Certes, Douaihy sera mis au rang des saints locaux dont intercessions et miracles favoriseront plus tard la canonisation au sein de l’Église universelle. Toutefois, les récentes solennités célébrées dans la liesse populaire du Liban, pareilles aux vents festifs contraires, semblent avoir occulté un aspect qui mérite d’être exploré.
La bibliothèque de l’Université Saint-Esprit de Kaslik me fait parvenir en effet un texte éminemment intéressant d’Estéphan Douaihy, une courte dissertation latine supposée être au premier abord sa thèse doctorale, ou du moins la synthèse comme le suggère le titre, point obscur qui requerra de toute évidence une recherche de longue haleine. Intitulée Conclusions philosophiques, la dissertation, dédiée au cardinal italien Luigi Capponi (Aloysius Capponio, † 1659), promu depuis 1623 membre de la Congrégation de Propaganda Fide, fut publiée en 1650 à Rome, dans la maison d’édition Francesco Corbelletti. Le texte fait au total 31 pages de petit format et comprend, outre la dédicace du doctorant qui se présente sous le nom de Stephanus Edenensis Collegii Maronitarum Alumnus (disciple du Collège Maronite), une série de petits chapitres philosophiques, dont par exemple De natura et causis, De proprietatibus ou De generatione et corruptione. Empruntant à la scolastique chrétienne, le jeune auteur – il n’avait alors que vingt ans – émet des observations en sciences physiques, en philosophie et en théologie, qui portent l’influence visible des enseignements de saint Thomas d’Aquin et qu’il partage avec son contemporain, l’Allemand Leibniz. Dans le premier chapitre De scientia in communi, Douaihy avance de brèves généralités spéculatives sur l’opposition de la raison et de la foi: «La connaissance, dit-il, diffère essentiellement de l’opinion et de la foi, de sorte qu’on ne peut donner une seule action qui soit à la fois connaissance et foi, ou connaissance et opinion, même si elles peuvent se trouver ensemble dans une même idée.» Un peu plus loin, Douaihy précise qu’on peut reconnaître dans toute démarche scientifique deux attitudes: une première attitude procurant l’adhésion immédiate aux principes premiers, et une seconde, proprement scientifique, divisée en physique, mathématiques et métaphysique, dites sciences totales. En s’opposant à la métaphysique, la physique a pour objet tout corps, toute matière sensible; la métaphysique tire sa raison d’être du matériel, et de manière intuitive, de l’immatériel. Puis, en expliquant le monde, Douaihy qualifie ce dernier de totalité ou univers (uniuersitas) englobant les cieux et les corps sublunaires, avant de soutenir audacieusement que le monde existe, non pas de lui-même, mais par l’effet d’une cause première dont l’homme peut démontrer le bien-fondé par le travail de la raison. Il distingue alors monde sublunaire et monde céleste. Le premier comprend les quatre éléments, à savoir le feu, l’air, l’eau et la terre (ignis, ær, aqua et terra), dont les deux derniers forment un globus immobilis concentrique avec l’univers. Le second est le ciel empyréen, qui serait en partie solide dit ciel ou firmament des étoiles et astres fixes, et en partie fluide, le ciel des planètes.

Suit ainsi un chapelet de théories allant des quatre éléments que le jeune clerc libanais émaille d’une spécification plus proche de celle de l’atome: l’élément ne saurait être divisé en corps d’une espèce différente (indiuisibile in alia corpora specie diuersa). Plus loin, au chapitre De anima, il définit l’âme comme étant «le propre (actus) du corps organique naturel ayant la capacité d’avoir la vie, autrement dit de voir, sentir, bouger et comprendre». Puis Douaihy en vient à identifier l’âme végétative (anima vegetatiua) qui possède les trois aptitudes ou fonctions – nutritive, augmentative et générative; l’âme sensitive (sensitiua) qui possède les cinq sens; et l’âme rationnelle (rationalis) dotée de propriétés supérieures, telles que la nature spirituelle et l’immortalité, tout comme des aptitudes de l’entendement ou principe de la connaissance (principium cognoscendi) et de la volonté autrement dit la fonction libre de tendre au bien et fuir le mal (potentia libere tendens in bonum).
Je dois souligner la prudence dont il faut s’armer pour manier le vocabulaire de la scholastique du treizième siècle lequel, évident en apparence, fait au dix-septième siècle l’objet d’un réemploi quasi formulaire, mais dévoile d’infinies difficultés de contextualisation contemporaine. La réussite de ce coup nécessitera sans doute la mise en œuvre d’une langue accessible, aplanissant les stéréotypes de la théologie médiévale et dissipant les dangereuses équivoques qu’une extrême polysémie a fini par y engendrer.
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