©Crédit photo : ESSA AHMED / AFP
Entrave à l’aide humanitaire, manque d’infrastructures sanitaires et médicales… dans un entretien accordé à Ici Beyrouth, Ahmed Benchemsi, directeur du plaidoyer et de la communication de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord (Mena) de Human Rights Watch (HRW), revient sur les causes et les conséquences de l’épidémie du choléra qui touche actuellement le Yémen.
Près de 95.000 cas présumés de choléra ont été recensés au Yémen ces six derniers mois. Comment expliquer un tel chiffre?
Selon nos sources au sein du Yemen Health Cluster, qui est un groupe d’organisations humanitaires et caritatives, sous la houlette de l’Organisation de la Santé mondiale (OMS), il y aurait en effet environ 95.000 cas suspectés de choléra aujourd’hui au Yémen et plus de 250 morts des suites de la maladie. À en croire le bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU, d’ici septembre, on pourrait arriver à un nombre de contaminations qui peut atteindre 255.000 cas. Les décès risquent donc aussi de s’accélérer.
Le choléra se répand largement via l’eau ainsi que les fruits et les légumes mal lavés. Or, le Yémen émerge à peine d’environ une décennie de guerre civile durant laquelle une très grande partie des infrastructures médicales, sanitaires et d’épuration des eaux a été détruite. Aujourd’hui, 18 des 30 millions d’habitants ont besoin d’une assistance humanitaire d’urgence. Cette situation, aggravée par une malnutrition généralisée et un faible taux de vaccination, a grandement contribué à la propagation rapide du choléra.
À votre avis, pourquoi les Houthis ont-ils refusé de reconnaître publiquement l’existence d’une telle épidémie?
Les premiers signes de choléra ont été observés par les Houthis dès novembre 2023, mais ils ont refusé d’admettre l’existence de cette crise avant mars, période à laquelle ils ont commencé à communiquer quelques informations aux agences humanitaires. Mais jusqu’à aujourd’hui, ils refusent de reconnaître publiquement l’existence d'une épidémie. Les autorités houthies ont d’ailleurs mis la pression sur les agences des Nations unies et sur diverses organisations humanitaires pour qu’elles cessent de publier des informations sur le nombre de cas de choléra. Depuis le 30 avril, l’Organisation mondiale de la santé n’a donc plus été en mesure de publier de nouvelles informations.
Dans le sud du pays, région sous la férule du gouvernement yéménite et du groupement de transition, la réponse à l’épidémie a été plus rapide. Ils ont collaboré avec les agences humanitaires, en mettant sur pied des cliniques et en procurant des médicaments. Cependant, eux aussi ont donné des instructions claires de ne pas utiliser publiquement le mot «choléra». D’après un travailleur d’une agence humanitaire à HRW, les autorités ne veulent pas publier d’informations en la matière, car elles ont peur d’être tenues pour responsables de l’épidémie. Pourtant, le choléra est une maladie tout à fait évitable, si elle est traitée suffisamment tôt. Les médicaments sont connus et disponibles. Mais quand les gens ne savent pas qu’il y a une épidémie, ils n’ont pas le réflexe de se rendre immédiatement à l’hôpital. Ils ne le font que lorsque les symptômes s’aggravent, et à ce stade, c’est souvent déjà trop tard. Le manque d’informations a donc un impact direct sur la propagation de l’épidémie.
Comment la détention et les menaces des Houthis à l'encontre des travailleurs humanitaires ont-elles affecté le travail des ONG?
La conséquence immédiate pour ces organisations dont l’aide est cruciale, c’est qu’elles commencent à se dire: «On ne peut pas continuer à opérer dans un pays où notre personnel risque d’être arrêté sans motif apparent.» Certaines d'entre elles réduisent donc leurs activités sur le terrain quand beaucoup d’autres s'interrogent sérieusement sur la possibilité de continuer à travailler au Yémen. Au milieu d’une épidémie, d’un manque d’informations et d’un effondrement des infrastructures sanitaires, c’est la dernière chose dont les Yéménites avaient besoin.
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