Dans son célèbre ouvrage L’Art de la guerre, généralement considéré comme le plus ancien document de stratégie militaire, le général chinois Sun Tzu (VIe siècle av. J.-C.) explique qu’il est possible d’avoir un ascendant sur un ennemi et gagner ainsi une bataille sans livrer de combats. La stratégie consisterait à avoir recours, à titre d’exemple, à un étalage de force, à la ruse, au bluff, à une sorte de guerre psychologique, de manière à «soumettre» son adversaire en évitant un affrontement frontal qui aboutirait à de grosses pertes. En peu de mots, il s’agirait, dans l’esprit de Sun Tzu, de faire plier l’échine au camp adverse sans emprunter la voie de la confrontation globale.
En langage moderne, cette stratégie prônée par le général chinois se résumerait en quelques mots: «la guerre psychologique» ou la «dissuasion». Dans la pratique, c’est ce à quoi se livre aujourd’hui l’administration américaine. L’impressionnante armada maritime (dont un sous-marin nucléaire) et aérienne (notamment les avions furtifs F22) déployée ces derniers jours par le Pentagone dans la région est qualifiée de «dissuasive», et non pas d’offensive, par Washington. Une petite mise au point qui confirme la thèse selon laquelle les USA ne chercheraient pas – du moins au stade actuel – à faire tomber le régime des mollahs iraniens, mais plutôt à calmer ses ardeurs, à le pousser à faire preuve de plus de «modestie» dans ses ambitions hégémoniques régionales, à «modifier son comportement» (pour reprendre la formule avancée à diverses occasions par de hauts responsables US).
D’une certaine façon, les dirigeants iraniens ont recours à cette même tactique militaire. Le régime en tant que tel s’ingénie à bluffer, à afficher (à grands renforts de tapage médiatique) une posture guerrière, offensive et menaçante, de façon à diffuser la perception qu’il constitue une grande puissance militaire régionale. Il prend bien soin cependant d’éviter une conflagration directe, globale et généralisée avec «l’ennemi». Il se livre plutôt à un jeu plus habile en manipulant ses têtes de ponts (ses proxys) au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen afin d’entretenir un climat d’instabilité, de tension bien jaugée, et de brandir en permanence le spectre du recours à la force.
Cette posture menaçante et guerrière des mollahs de Téhéran, plus spécifiquement des Gardiens de la révolution (les pasdarans), maintient les populations des pays concernés dans un climat d’angoisse existentielle du fait de l’incertitude qui plane sur l’avenir du Moyen-Orient et des risques d’escalade militaro-sécuritaire de grande envergure qui pourrait surgir à tout instant. Il serait utile toutefois de rappeler à cet égard certaines évidences.
Il existe un immense gouffre technologique entre la République islamique, d’une part, et les États-Unis et Israël (et l’Occident, d’une manière générale), d’autre part. Ce gouffre technologique se traduit, à l’évidence, par un fossé tout aussi profond au niveau de l’équilibre des forces entre les deux camps. L’axe américano-israélien bénéficie plus particulièrement d’une maîtrise aérienne totale, notamment après l’acheminement dans la région des avions furtifs F22 et d’avions F35. Il en résulte qu’une guerre globale à grande échelle n’est nullement dans l’intérêt du camp iranien. Toute aventure guerrière lancée contre Israël risquerait, en effet, d’aboutir, en un court laps de temps, à une destruction des infrastructures stratégiques iraniennes, notamment au niveau des installations nucléaires sur lesquelles le pouvoir iranien axe ses efforts de développement depuis de très nombreuses années.
Le point fort du régime des mollahs réside donc, à n’en point douter, non pas dans la confrontation frontale généralisée, mais dans une guerre d’usure, à l’instar du fait accompli imposé par le Hezbollah au Liban-Sud, ainsi que dans des opérations terroristes de déstabilisation. D’où l’importance et la portée stratégique des têtes de pont établies par le régime des mollahs en Irak, au Yémen, en Syrie et au Liban… Des têtes de pont qui lui permettent de manœuvrer afin de tenter d’arracher une position prépondérante au M.O. sans avoir à s’engager dans un affrontement direct avec la puissante force de frappe américaine et israélienne.
Deux grandes questions se posent avec angoisse dans ce contexte nébuleux. Le courant radical en Iran, représenté par les pasdarans, est-il encore en mesure de maintenir son jusqu’au-boutisme et de poursuivre ses tentatives d’imposer ses choix, fondés sur la déraison et l’irrationnel, pour aller de l’avant dans sa stratégie d’exportation de la Révolution islamique? Et, de manière concomitante, les États-Unis et Israël veulent-ils réellement trancher dans le vif et en découdre définitivement avec le pouvoir théocratique de Téhéran, source de nuisance permanente et de déstabilisation chronique et qui, de surcroît, pourrait se doter de la bombe atomique dans les prochaines semaines, à en croire des sources américaines crédibles?
L’incertitude continue de planer quant à la première interrogation et nombre d’observateurs avertis répondent par la négative à la seconde… Au grand dam de la mouvance libérale dans la région et, plus grave encore, de larges pans de la société civile en Iran même, surtout dans les rangs des femmes…
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