L’information est passée inaperçue, ou presque… Elle revêt pourtant un caractère hautement symbolique et pourrait bien constituer un indice significatif que quelque chose a peut-être bougé récemment en Iran sur le plan politique. Le 27 août, l’ancien ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Jawad Zarif, annonçait qu’il revenait sur sa décision de démissionner de ses fonctions de vice-président iranien pour les affaires stratégiques. Il avait été nommé à ce poste par le président (réformateur) Massoud Pezeshkian qui l’avait chargé, d’emblée, de former un comité d’experts appelés à proposer des noms pour la formation du nouveau gouvernement.
Dans le cadre de ses nouvelles fonctions, M. Zarif avait suggéré que l’équipe ministérielle comprenne des femmes, des jeunes et des représentants des minorités ethniques et religieuses, notamment sunnites, le but étant de marquer le «nouveau pouvoir» du sceau du courant réformateur et de l’ouverture sur le monde.
La proposition de l’ancien ministre des AE n’a toutefois reçu aucun écho favorable et le gouvernement a été massivement contrôlé par le camp radical conservateur, ce qui a poussé M. Zarif à tirer sa révérence, le 12 août, soit une dizaine de jours à peine après sa nomination.
Le 27 août, coup de théâtre: M. Zarif retire sa démission et réintègre ses fonctions de vice-président aux affaires stratégiques. Pourtant, l’ancien chef de la diplomatie a été, dès l’annonce de sa désignation par Massoud Pezeshkian, la cible d’une violente campagne orchestrée par les Gardiens de la révolution islamique. La tension entre le nouveau vice-président et les pasdarans n’est pas nouvelle, en réalité; elle remonte à une dizaine d’années au moins (et même plus) à l’époque, notamment, des négociations sur le dossier nucléaire, entre 2013 et 2015, lorsque M. Zarif était à la tête de la diplomatie iranienne.
Les Gardiens de la révolution accusent l’ancien ministre des A.E. de faire preuve de trop de complaisance à l’égard de l’administration américaine, voire d’être proche des États-Unis et d’avoir dépassé certaines lignes rouges lors de la conclusion de l’accord sur le nucléaire, en 2015. M. Zarif poussera son désaccord avec les pasdarans jusqu’à exprimer, en avril 2021, des critiques acerbes à l’égard de Qassem Soleimani et des dirigeants des Gardiens de la Révolution. Dans une déclaration publique, il reprochera même à ces derniers d’avoir entravé en coulisses et d’avoir tenté de torpiller ses pourparlers avec les négociateurs occidentaux. Le Guide la révolution, Ali Khamenei, devait dénoncer en mai 2021 les propos de M. Zarif au sujet de Soleimani, les qualifiant de «grosse erreur».
Mais ce contentieux ne s’arrête pas là et s’étend aussi aux considérations d’ordre personnel. Les ténors du courant radical mettent ainsi en relief, plus spécifiquement, que les deux enfants de M. Zarif détiennent la nationalité… américaine. Ils n’oublient sans doute pas, en outre, que l’ancien chef de la diplomatie a longtemps vécu aux États-Unis: à partir de 1976, il y a effectué ses études universitaires à San Francisco, a été ambassadeur aux Nations unies de 2002 à 2007 et a coopéré avec Washington pour la mise en place du gouvernement pro-américain de Hamid Karzai en Afghanistan.
Un tel parcours sans équivoque explique à n’en point douter la ferme opposition des pasdarans à la nomination de M. Zarif au poste de vice-président, ce qui avait amené l’ancien ministre à quitter son poste le 12 août. Comment expliquer dans un tel contexte que M. Zarif soit revenu sur sa démission deux semaines plus tard seulement, et que le courant dit «ultra-conservateur» ait subitement fait table rase de ses nombreux et profonds griefs? La réponse se trouve vraisemblablement dans la déclaration faite le 27 août – le jour même de la réintégration par M. Zarif de son poste – par Ali Khamenei qui s’est prononcé pour la relance des discussions avec les États-Unis sur le dossier nucléaire.
Plus importante encore est la position définie dimanche 1ᵉʳ septembre par le président iranien qui a prôné la reprise des investissements étrangers et «l’ouverture sur le monde extérieur», soulignant sans détour que l’Iran avait besoin de «100 milliards de dollars d’investissements» étrangers! De là à établir un lien entre les propos du Guide suprême et du président iranien, d’une part, et le retour de M. Zarif, d'autre part, il n’y a qu’un (petit) pas que nombre d’observateurs n’ont pas manqué de franchir.
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Le courant radical des pasdarans a-t-il consenti à mettre une subite sourdine à ses nombreuses critiques formulées contre le nouveau vice-président pour «anesthésier» en quelque sorte l’administration US et obtenir une levée des sanctions, ce qui permettrait au pouvoir iranien d’obtenir les milliards de dollars réclamés par Massoud Pezeshkian? Une fois obtenue cette bouffée d’oxygène salvatrice, les pasdarans seraient-ils tentés de relancer de nouveau leur projet idéologique d’exportation de la Révolution islamique et de réactivation de leur dynamique hégémonique et déstabilisatrice dans la région? La ligne de conduite du courant radical du régime des mollahs durant les quatre dernières décennies rend cette interrogation parfaitement légitime.
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