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Dali, Magritte, Ernst, Tanguy, Miró... les plus grands noms du surréalisme sont à l'honneur au centre Pompidou, qui célèbre le centenaire de ce mouvement révolutionnaire et visionnaire à travers une exposition foisonnante, explorant ses concepts novateurs, ses techniques inédites et son influence durable.
Il y a un siècle, en 1924, André Breton publiait le Manifeste du surréalisme, jetant les bases d'une aventure artistique et poétique qui allait durablement bouleverser notre rapport au réel, à l'image et à l'imaginaire. Pour célébrer ce centenaire, le centre Pompidou propose jusqu'au 13 janvier une exposition magistrale, Le Surréalisme et l'art moderne, qui rassemble près de 500 œuvres et documents exceptionnels sur 2.200 mètres carrés.
Dès les premières salles, le visiteur est happé par la puissance visuelle et onirique des chefs-d'œuvre réunis. Voici les montres molles de Dali, défiant les lois de la physique et du temps dans des paysages désertiques hantés par l'angoisse. Voilà les énigmes poétiques et inquiétantes de Magritte, où des objets familiers se muent en présences étranges et équivoques. Plus loin, ce sont les créatures fantastiques et hybrides de Max Ernst qui surgissent, nées de l'assemblage improbable de fragments de gravures anciennes. Les paysages métaphysiques et géologiques d'Yves Tanguy, avec leurs formes organiques et minérales, dialoguent avec les signes cabalistiques et les figures biomorphiques de Joan Miró.
Mais l'exposition ne se contente pas de juxtaposer des icônes: elle plonge au cœur du «surréalisme et de l'art moderne», explorant les concepts, les techniques et les pratiques qui ont nourri ce grand chambardement créatif. Automatisme, cadavre exquis, objet trouvé, collage, frottage, décalcomanie, fumage... les surréalistes ne cessent d'expérimenter de nouveaux procédés pour court-circuiter le contrôle de la raison et libérer les forces de l'inconscient.
André Masson est l'un des premiers à se lancer dans l'aventure de l'écriture et du dessin automatiques, donnant naissance à des œuvres foisonnantes et mystérieuses comme Les Quatre éléments. Cette «dictée de la pensée», qui consiste à laisser la main tracer librement des formes sans intention préalable, sera explorée par de nombreux autres artistes, de Miró à Matta en passant par Oscar Dominguez ou Victor Brauner.
Le hasard et l'imprévu sont également convoqués à travers le jeu du «cadavre exquis», qui consiste à composer collectivement une phrase ou un dessin dont chacun ignore les contributions des autres. De ces expériences naissent des créatures poétiques et fantastiques, comme Peinture collective réalisée par Brauner, Tanguy et Masson en 1937.
Autre pratique chère aux surréalistes: la trouvaille d’objets insolites, détournés de leur usage premier pour devenir des talismans poétiques ou des «objets à fonctionnement symbolique». Ainsi des Objets naturels interprétés d’Eileen Agar, composés de coquillages, de plumes et de fragments organiques, ou du célèbre Téléphone-homard de Dali, qui associe un combiné à un crustacé dans une combinaison loufoque et subversive.
L’exposition met aussi en lumière la façon dont les surréalistes ont puisé dans les mythes, les contes et les récits initiatiques pour nourrir leur imaginaire. La figure du Minotaure, mi-homme mi-animal, devient un emblème du mouvement, immortalisé par les gravures de Picasso pour la revue éponyme dirigée par Bataille et Breton. Alice, l’héroïne de Lewis Carroll, est une autre figure tutélaire, dont les aventures au pays des merveilles inspirent aussi bien Dali que Magritte ou Dorothea Tanning.
Plus largement, c’est toute une constellation d’écrivains, de poètes et de penseurs qui irriguent la création surréaliste: Sade, Lautréamont, Jarry, Freud, Nietzsche… autant de «grands transparents» convoqués pour dynamiter les carcans de la logique, de la morale et du bon goût. Car le surréalisme est indissociable d’une révolte contre l’ordre établi, les conventions bourgeoises et le conformisme artistique. En appelant à une «révolution totale», qui ne se contenterait pas de changer les formes mais bouleverserait en profondeur notre rapport au monde et à la vie, Breton et ses amis ont fait de l’art un instrument d’émancipation et de subversion.
Cette dimension libertaire et contestataire du surréalisme est plus que jamais d’actualité, comme le montre la dernière partie de l’exposition, consacrée à son héritage et à sa postérité. Des œuvres politiques de Magritte dénonçant la montée du fascisme dans les années 30 aux affiches lacérées de Jacques Villeglé, en passant par les détournements pop d’Erró ou les «merveilleux modernes» d’Alain Jacquet, le surréalisme a continué à inspirer des générations d’artistes en quête de sens, de poésie et de liberté.
Aujourd’hui encore, à l’heure de la crise écologique et de la remise en cause des modèles dominants, l’aspiration des surréalistes à «changer la vie» et à réenchanter notre rapport au monde résonne avec une urgence nouvelle. En explorant les zones obscures de la psyché, en libérant les forces de l’imagination et du désir, en brisant les carcans de la raison instrumentale, ils ont ouvert la voie à une écologie mentale et poétique dont nous avons plus que jamais besoin.
Comme l’écrivait André Breton en 1924: «Le surréalisme, tel qu’il est aujourd’hui, tel qu’il sera demain (…), retient le plus sûr moyen de soustraire encore le monde à la sordide positivité d’aujourd’hui, et n’a d’autre ambition que de le restituer dans toute sa pureté à sa destination poétique.»
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