La diplomatie des équivoques et ses limites

Le processus diplomatique engagé par les États-Unis a du mal à contenir les évolutions militaires sur le terrain et à convaincre les partenaires de l’opportunité d’une pause qui leur permettrait de suspendre les cycles de violence et de donner une chance aux médiations diplomatiques. Cet état de blocage tient principalement à la capacité d’obstruction du régime iranien et à son intransigeance sur les principes d’une négociation qui remettrait en question sa politique impériale et les a priori idéologiques qui la sous-tendent. Alors que l’ensemble des pays arabes vivent en état d’hibernation politique et de perméabilité vis-à-vis des politiques de chantage et d’intimidation qui les assaillent de toutes parts.
La configuration étatique des pays arabes est sujette à des controverses qui remettent en cause la géopolitique régionale, la cohésion de ses entités nationales hypothétiques qui n’ont jamais réussi à asseoir une légitimité quelle qu’elle soit et la capacité opérationnelle des États respectifs. L’échec des printemps arabes et les guerres civiles qui leur ont succédé expliquent largement les impasses diplomatiques actuelles et l’absence d’un échafaudage sur lequel peut s’adosser une dynamique diplomatique continue. Nous sommes face à un ordre géopolitique disparate balloté par des rapports de force mutants et peu amènes à des accommodements et à des solutions négociées.
Les attaques du 7 octobre 2024 ont bouleversé la scène politique israélienne qui se retrouve avec des angoisses existentielles renouvelées, des clivages théologico-politiques irrésolus, des dilemmes géopolitiques et sécuritaires diffus et le retour de l’antisémitisme le plus primaire et sans nuances, alors qu’elle est confrontée à des menaces frontalières et intérieures qui convergent du sud, du nord, du nord-est, de la Cisjordanie et des aléas politiques et sécuritaires de la Jordanie. Il n’est pas fortuit de constater que ces menaces sont pilotées par la politique de puissance iranienne sur la base du prédicat géostratégique de l’«uniformité des champs de bataille». À cela s’ajoute l’enjeu complexe de la libération des otages et ses ramifications.

Les insuffisances du projet de trêve proposé par le négociateur américain tiennent à l’approche séquencée, à la nature des partenariats, aux défaillances de la représentation palestinienne et de ses instrumentalisations multiples, et à l’absence d’un engagement de principe pour remédier aux failles et contrebalancer les effets de radicalisation qui s’opèrent en milieu israélien. Indépendamment du fait que le projet de trêve bute sur la fin du mandat Biden, ainsi que sur les aléas des élections présidentielles aux USA et de la transition qui devrait s’opérer.
Les Palestiniens souffrent, de leur côté, d’une tare congénitale, celle de leur incapacité à pouvoir se positionner en dehors des politiques de tutelle qui les ont instrumentés depuis les commencements. La dernière en date les tient en laisse au prix d’une expropriation morale et politique qui circonscrit leur champ de manœuvre. Ils ont été préemptés de l’intérieur et interdits de tout positionnement qui contreviendrait aux priorités fixées par le négociateur iranien. L’irrédentisme du Hamas se ressource non seulement dans un islamisme nationaliste, mais dans une volonté de blocage adroitement manipulée par le diktat iranien. L’autorité nationale palestinienne est en état de rétrécissement évolutif qui la disqualifie et la renvoie aux turpitudes d’une scène palestinienne où le nihilisme prédomine et donne lieu à ce spectacle de désarroi et de radicalisation insensée savamment exploitée par les Iraniens et les Qataris. Le drame actuel de Gaza n’est que le dernier épisode d’un engrenage fatal et destructeur qui n’a pas discontinué.
Le Liban est voué à des entropies convergentes qui ont entamé sa stature étatique, remis en cause sa légitimité nationale, sa narrativité libérale et démocratique et sa latitude opérationnelle en tant qu’État souverain. Il est réduit à un statut d’auxiliaire dont l’Iran se sert de manière discrétionnaire dans le cadre de ses manœuvres militaires et diplomatiques. Israël est loin de s’accommoder des ambiguïtés militaires et stratégiques d’un pays-relais. Le Hezbollah, en se refusant au plan de démilitarisation de la zone frontalière et de retrait au-delà de la rivière du Litani au profit de la Finul et de l’armée libanaise, rend improbable la trêve et plus gravement l’éventualité de la reconstruction de l’État libanais. Le lien fallacieux entre la trêve de Gaza et celle des frontières libanaises met en relief la fonction supplétive de la géostratégie proche-orientale. On n’est plus dans le schéma de la diplomatie inter-étatique, on est face à une politique de subversion iranienne qui utilise des configurations étatiques déliquescentes et réduites à des espaces géostratégiques informes dont se sert la politique d’expansion iranienne.
La Syrie se situe, désormais, dans le prolongement de cette géographie évolutive du chaos où l’impossibilité de se remettre sur le chemin de la réconciliation nationale et de la solution négociée des conflits ethno-religieux démontre une fois de plus l’inaptitude des sociétés régionales à pouvoir se reconstruire sur des bases étatiques et de réciprocité morale qui mettent fin aux dynamiques de violence et aux politiques interventionnistes. Le malheur est que les objectifs intermédiaires de la diplomatie butent sur des irrédentismes qui croissent, de part et d’autre, rendant impossibles les scénarios de paix qui sont ultimement projetés. Autrement, la politique de répression pratiquée à l’égard des oppositions en Iran porte ombrage aux négociations diplomatiques sur le plan régional et ne peut que promouvoir les extrémismes.
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