La crise économique sans précédent qui ronge le Liban depuis 5 ans et la menace d’une guerre imminente ont donné lieu à un nouveau phénomène: de moins en moins d’enfants naissent dans les ménages libanais. Les professionnels de la santé ont été les premiers à constater cette nouvelle réalité.
Interviewé par Ici Beyrouth, le docteur Miled Rizk, gynécologue au Middle East Hospital et au Zgharta Hospital explique: «Il y a 5 ans, je mettais au monde 100 bébés par an; aujourd’hui je n’en suis qu’à 30.»
Selon le docteur Rizk, peu de ses patients ont un second enfant et les familles ayant plus de deux enfants sont presque inexistantes.
Diminution générale des naissances
Entre 2020 et 2023, le Liban a connu une augmentation annuelle moyenne de la population de 38.203 personnes, soit environ la moitié du nombre observé entre 2016 et 2019, qui s’élevait à 63.523. Ces chiffres ont été fournis à Ici Beyrouth par Mohammad Shamseddine, chercheur à Information International.
La pandémie de COVID-19 – autre facteur à l’origine de ce changement démographique – est venue s’ajouter à la crise économique. Celle-ci a causé des peurs quant à la procréation et a contribué à l’augmentation du taux de mortalité.
Le nombre de mariages a diminué de 13,3% entre 2016 et 2023, tandis que le taux de divorce a, lui, augmenté de 7,7% durant la même période.
L’immigration a également contribué à ce déclin démographique, sachant qu’environ 468.000 personnes ont quitté le Liban entre 2016 et 2023.
Une économie en déclin
Dans un entretien accordé à Ici Beyrouth, l’ancien ministre des Finances, Damianos Kattar, a mis en avant quatre facteurs économiques majeurs qui seraient à l’origine de la chute du taux de natalité en pleine crise:
- Problèmes d’hébergement:
«En temps de crise, vous ne pouvez pas acheter de maison et les loyers deviennent excessivement chers», précise M. Kattar. Ce dernier a ajouté que l’absence de prêts bonifiés depuis 2019 n’a fait qu’envenimer la situation. Par conséquent, les couples se retrouvent «coincés», sans grand choix d’hébergement.
- L’éducation comme outil de compétition:
L’ancien ministre a mis en exergue le fait que l’éducation publique ait perdu sa compétitivité en raison de la crise en cours, poussant les familles à avoir moins d’enfants, en vue d’assurer une meilleure qualité d’éducation à ceux qu’ils ont déjà.
- Coûts des transports et des services médicaux:
M. Kattar a de même qualifié de fardeau supplémentaire le prix de l’essence et l’absence de transports publics. Il convient de noter que le coût des vaccins et des soins médicaux pour enfants âgés de 0 à 3 ans est monté en flèche du fait de la suspension des subventions.
- Effondrement du secteur public:
L’effondrement du secteur public s’ajoute à la liste des facteurs susmentionnés. «La plupart des personnes qui souhaitent fonder une famille intègrent l’armée ou la fonction publique pour un semblant de stabilité», explique M. Kattar. «40% des Libanais ont un lien avec le secteur public. Ceux-ci courraient beaucoup plus de risques s’ils venaient à élever des enfants», ajoute-t-il.
Taux de natalité dans les régions libanaises
Les naissances au Liban varient selon les régions.
Dans des zones rurales comme le Akkar, le nord, ou Baalbeck-Hermel, les taux de natalité sont relativement élevés en raison de facteurs socio-économiques et des préférences quant au nombre idéal de personnes dans une famille.
Dans ces régions-là, les enfants sont souvent perçus comme des atouts économiques; des éléments capables de travailler pour soutenir leurs familles.
Choghig Kasparian, professeure de sociologie à l’Université Saint-Joseph, a précisé à Ici Beyrouth que dans les zones rurales, la planification familiale est «quasiment inexistante», avec une éducation de niveau inférieur et un accès limité aux moyens de contraception.
«Le coût de la vie étant inférieur dans les zones rurales, les familles qui y résident ont tendance à avoir plus d’enfants», ajoute Mme Kasparian.
Par ailleurs, l’augmentation du taux de natalité dans les zones urbaines est bien moins évidente. Beyrouth et la région de Kesrouan-Jbeil ont connu une croissance minime due à un coût de la vie plus élevé, le désir d’avoir une famille moins nombreuse et une planification familiale reportée.
Conclusion
En 2024, le nombre d’habitants au Liban s’élève à 5,8 millions, 4 millions résidant dans le pays et 1,8 million à l’étranger. Environ 70% des immigrés sont jeunes, contribuant ainsi au vieillissement de la population au Liban.
Si la diminution du taux de natalité, l’augmentation du taux de mortalité et l’immigration en masse se poursuivent, le Liban connaîtrait une crise démographique considérable durant la prochaine décennie, sachant que 40% de la population libanaise est en âge avancé. Ce chiffre pourrait éventuellement s’élever à 50%, avertit M. Shamseddine.
Cela engendrerait un déséquilibre: la population en âge de travailler diminuera et les personnes en âge avancé dépendront de plus en plus du travail à l’étranger pour les services de base.
«Si cette situation se prolonge, l’avenir du Liban se rapprochera de celui de la Chine, où chaque famille n’a qu’un seul enfant», poursuit-il.
De plus, M. Shamseddine a évoqué le taux de natalité élevé parmi les réfugiés syriens comparé à un taux plus bas chez les citoyens libanais.
D’après lui, si ce statu quo persiste, le nombre de Syriens résidant au Liban pourrait égaler ou même surpasser celui des Libanais eux-mêmes.
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