Des cris du cœur pour panser un Liban meurtri
En proie à une guerre qui le déchire, le pays du Cèdre est loin d'être abandonné à son triste sort. Des artistes du monde entier prêtent leur voix à Ici Beyrouth pour exprimer leur solidarité face à une violence insoutenable.

Et le ciel s’assombrit, plongeant, une fois de plus, le Liban dans une nuit sans promesse. Tandis que les plaies du passé, tout comme celles du présent, peinent à se refermer, la machine de guerre israélienne se déchaîne avec une violence aveugle, mutilant sans pitié le corps meurtri du Liban. En effet, près d’un an après le déclenchement de la guerre à Gaza, la montée en crescendo des violences entre Israël et le Hezbollah, ces derniers jours, exacerbe une détresse déjà palpable au sein du Liban. Désormais en proie à une tragédie meurtrière. Dans ces champs de ruines, l’atmosphère est macabre. Même les fleurs embaument de spleen et d’angoisse. Des âmes innocentes sont emportées par un souffle de brutalité, comme des feuilles mortes balayées par une brise d’automne.

N’ayant jamais souhaité cette guerre, le Liban se retrouve ainsi pris au piège entre deux feux, servant les intérêts de puissances étrangères engagées dans un bras de fer sanglant. Et ce, aux dépens de la vie et l’avenir du peuple libanais. Face à cette brutalité innommable, la mort s’avance, cueillant à son passage les rêves brisés, les espoirs trahis et les promesses d’un avenir meilleur, désormais réduites à néant. Le Liban est, toutefois, loin d’être abandonné à son triste sort. Dans un élan de solidarité, des artistes issus des quatre coins du monde ont exprimé, pour Ici Beyrouth, leur soutien moral au pays du Cèdre, s'opposant avec fermeté aux massacres d'innocents. Le Liban, après tout, en vaut bien la peine. Pourquoi? «Parce que c'était lui; parce que c'était moi», comme aurait dit Montaigne.

Révolte contre l’injustice


«Je suis révolté et chagriné par la violence que subissent mes chers compatriotes, libanais et libanaises, de tout âge; ce petit pays, grand par sa valeur spirituelle, m’a façonné et m’a permis d’être ce que je suis: un musicien qui témoigne de l’héritage culturel de notre pays et de sa richesse humaine», déclare Abdel Rahman el-Bacha de sa résidence à Bruxelles. Lauréat du prestigieux Concours musical international Reine Élisabeth de Belgique en juin 1978, il est réputé pour sa maîtrise technique et son interprétation sensible des œuvres du grand répertoire pianistique, notamment celles de Beethoven, Chopin, Ravel et Prokofiev. «Aucune bombe ne pourra détruire ce que représente le Liban dans le monde», affirme le musicien libano-français avec le ton de celui qui refuse de céder à la désespérance, avant de conclure: «Et c’est avec cette sensibilité libanaise que je joue les œuvres de Beethoven et de Chopin, qui ont su exprimer, et de la plus belle manière, la révolte que tous les humains devraient éprouver contre l’injustice.»

Abdel Rahman el-Bacha. Photo DR

À ceux qui souffrent...


Ému par la tragédie qui dévaste son pays natal, Gabriel Yared exprime sa profonde solidarité envers ceux qui souffrent en ces temps difficiles : «Encore une fois, des bombes viennent meurtrir le Liban. Devant ce nouveau drame qui touche mon pays natal, je veux témoigner de ma réelle affliction et exprimer ma sincère solidarité avec mes amis et le peuple libanais.» Et d’ajouter: «Je pense à ceux qui ont perdu des êtres chers, à ceux qui ont dû partir sur les routes, à tous ceux qui souffrent.» Compositeur de musique de film, Gabriel Yared se voit décerner de nombreux prix tout au long de sa carrière, dont le César de la meilleure musique de film en 1993 pour L'Amant, suivi de l'Oscar de la meilleure musique de film en 1997 pour Le Patient anglais. Loin des yeux, mais jamais loin du cœur, avait-il laissé entendre lors de son passage au Liban en septembre 2023, au détour d’une rencontre organisée par Beit Tabaris. C’est à Ici Beyrouth qu’il avait livré cette confidence, celle d’un lien charnel, viscéral pourrait-on dire, qui l’attache à jamais à cette terre. «De tout cœur avec vous, je vous adresse mes pensées les plus affectueuses en espérant des jours meilleurs pour le Liban et pour le Moyen-Orient», conclut-il, visiblement bouleversé.

Gabriel Yared. Photo DR

Sincère solidarité


Considéré comme l’un des pianistes soviétiques (puis russes) les plus éminents de son époque, Victor Bunin a parcouru le monde, répandant la bonne semence de son art auprès de nouvelles générations de pianistes. Pourtant, le Liban occupe une place particulière dans son cœur. Il y revient inlassablement, désireux d’y insuffler sa passion et d’inspirer les musiciens. Depuis sa demeure en Russie, il envoie un message chargé de compassion au Liban qu’il chérit tant: «Ma famille et moi sommes profondément touchés par la situation tragique au Liban. Nous avons de nombreux amis à Beyrouth, et nous sommes extrêmement inquiets pour leur sécurité», confie Victor Bunin, le cœur lourd de sollicitude. Aujourd'hui âgé de 88 ans, Victor Bunin a connu son heure de gloire en remportant le premier prix du concours de piano de toute la Russie en 1961, un succès qui l'a immédiatement propulsé sur les grandes scènes musicales. «Nous exprimons notre sincère solidarité envers le Liban et prions pour la fin de l'escalade militaire», dit-il finalement.


Victor Bunin. Photo DR

Silence des armes


Éminent musicologue et conférencier, Gilles Cantagrel s'est imposé comme un spécialiste incontournable de Jean-Sébastien Bach et de son époque. Ses recherches, analyses et réflexions ont nourri, au fils de plus d’un demi-siècle, notre compréhension de la musique d’art occidentale. Mais au-delà de ses nombreuses distinctions, Gilles Cantagrel est également un grand ami du Liban. «Chers amis libanais, vous qui êtes d'un pays de haute culture, vous qui entretenez cette culture comme un trésor qui est celui de votre histoire, vous qui souffrez de la voir martyrisée, il vous faut absolument préserver vos valeurs traditionnelles», écrit l’ancien directeur de France Musique, guidé par la sagesse accumulée au fil de ses 86 printemps. Vice-président de la commission musicale de l'Union européenne de radio-télévision en 1992, ancien administrateur du Centre de musique baroque de Versailles, et membre du conseil de surveillance de la Fondation Bach de Leipzig, les titres ne manquent pas pour rendre hommage à celui qui a su s'inscrire dans l'histoire de son vivant.

«Depuis mon pays et vos amis de France, je souhaite ardemment le silence des armes et la paix des cœurs. Vous êtes un pays de paix, vous n'avez rien qui puisse vous valoir tant de haine et de ruines, poursuit le musicologue dans une lettre chargée d'émotion. Que les bombes cessent enfin de vous détruire! Que vous retrouviez vos valeurs!» Son dernier désir: «Vivez en paix!»

Gilles Cantagrel. Credit Photo: Didier Goupy

Idéal de fraternité


«La description que vous faites de ce que vivent les Libanais depuis quelques temps m'a fait frissonner d'horreur, amplifiant encore la vive émotion que je ressentais déjà en lisant la presse», souligne d’emblée Bernard Fournier. Musicologue, auteur et conférencier, il compte parmi les plus grands spécialistes internationaux de l'œuvre de Beethoven et du Quatuor à cordes. Ses ouvrages ont été salués par des grands prix, dont le Coup de cœur de l'académie Charles Cros, le Prix du syndicat professionnel de la critique, le prix Catenacci de l'Académie des beaux-arts et le Prix des muses du meilleur ouvrage d'histoire de la musique. «Je suis d'autant plus touché que, dans ma jeunesse, le Liban était un pays modèle pour le monde entier dans son art à permettre à des populations d'origines différentes, de culture et de religion différentes, de cohabiter en pleine harmonie», se remémore l’expert octogénaire. Véritable symbole d'ouverture et de tolérance, ce petit pays avait été un «message» poignant de paix pour le monde entier, et ce, de l'aveu même du pape Jean-Paul II.

«Dans notre monde secoué d'un bout à l'autre par des conflits et de la violence, nous ne pouvons qu'avoir la nostalgie de notre Liban d'autrefois qui portait haut le bel idéal de fraternité et réalisait ainsi le vœu que Beethoven exprime musicalement dans le final de sa IXe Symphonie, Alle Menschen werden Brüder («tous les hommes deviendront frères»). Gardons cet espoir et cet objectif», dit Bernard Fournier avec la profonde sincérité d’un Libanais de cœur. Avec une profonde empathie face à l’inacceptable, Bernard Fournier se tourne vers ceux qui souffrent et déclare: «Et pour l'heure, croyez en toute ma compassion pour vos souffrances morales et en toute ma solidarité avec le peuple libanais. Rien ne justifiera jamais la mort d'innocents.».

Bernard Fournier. Photo DR
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