Elle a payé très cher sa liberté, mais c’est une femme qui a vécu, aimé, écrit, peint, voyagé, rêvé et défendu ses causes avec une passion qui n’a d’égal que sa détermination à croquer la vie à pleines dents ! Ses yeux ont l’éclat et la curiosité d’une enfant et ses mots sont empreints d’une fougue juvénile. Le Liban lui rend hommage dans une rétrospective de son œuvre avec, entre autres, la publication de deux de ses ouvrages phares*. Rencontre dans un temps hors temps. Le temps "d'avant"...
Etel Adnan a vécu plusieurs vies dans une vie. De ses origines, elle retient surtout les quinze premières années : « Nos impressions les plus fortes se situent dans l’enfance, il suffit d’imaginer la première orange qu’on a mangée, le premier jasmin qu’on a senti, la première gronderie subie ou le premier arbre qu’on a vu. C’est extraordinaire d’être un enfant : c’est une découverte ininterrompue… La patrie c’est aussi ça. Je voudrais ajouter qu’il est très cruel d’être méchant à l’égard des étrangers qui sont nés et ont vécu dans le même pays que nous, parce que quelque part ils sont comme nous et là, sans rentrer dans la politique, je mentionne les Palestiniens qui sont parqués comme des animaux…. Il faut leur donner un statut spécial d’émigrés qui leur permette de vivre normalement… »
Et si elle devait revivre sa vie, qu’aurait-elle changé ?
« Je crois que tout ce que j’ai fait, je n’aurais pas pu le faire autrement. Heureusement et malheureusement. Ce que je regrette, c’est ce que je j’aurais pu moi-même contrôler, par exemple certains voyages que j’ai ratés (le Guatemala et le Machu Picchu au Pérou) et je le regrette amèrement. Les séquelles d’un accident de voiture, subi il y a vingt ans, m’interdisent les hauteurs. Bien sûr, il y a également des erreurs à n’en plus finir que j’ai faites… surtout d’avoir laissé passer une passion qui m’avait aveuglée par sa force… » Etel Adnan dénonce un monde qui privilégie la sexualité à l’amour : « On ne parle plus d’amour, le sentiment amoureux se perd au profit du sexe et de corps ». Et en parlant d’amour, elle inclut toutes les formes d’amour : « Si on aime vraiment un arbre, cet arbre vous parle. J’ai écrit des poèmes sur des tilleuls que j’avais dans ma cour à Paris ; j’ai fini par avoir une relation intense avec eux. Une fois alors que j’arrivais, le vent a soufflé les feuilles juste devant moi. C’est comme si ces feuilles me faisaient une fête. J’ai aimé (et j’aime toujours) passionnément une montagne que je vois depuis ma fenêtre… » Bien sûr les relations avec les gens sont beaucoup plus compliquées : « On est deux, voire parfois trois quand il y a des conflits, alors que la montagne est toujours là, même si elle m’échappe, elle ne me brise pas le cœur… » Quel est le mode d’expression - entre peinture et écriture - dans lequel elle se sent le mieux ? « Je ne peux pas répondre, car si je n’avais pas besoin des deux, je ne l’aurais pas fait… Il y a des périodes dans ma vie où j’ai peint plus que je n’ai écrit et inversement… »
« La philosophie du pouvoir »
Un des cours qu’Etel Adnan a enseignés lorsqu’elle était professeur avait pour titre « la philosophie du pouvoir ». Au bout du semestre et au terme de discussions avec ses élèves, ils se sont rendu compte que « le pouvoir était indispensable à la vie. Être un arbre qui pousse, c’est une violence affirmée. Le pouvoir est une chose incontournable et positive. Autrement, c’est la mort ! Mais gare aux abus et à la bêtise dans la façon de gérer ce pouvoir. Ce dernier est deux énergies (comme l’électricité qui souffle le chaud ou le froid) et cette énergie, c’est la vie, le monde. Le soleil, la lune, les fleurs… en somme tout ce qui est vivant a du pouvoir. Mais la paix n’est ni nécessairement la défaite, ni l’absence de pouvoir, c’est la sagesse et l’intelligence et l’affirmation de la vie… »
De la francophonie et autres misères…
« On se demande souvent pourquoi les Libanais quittent leur pays ? C’est la francophonie qui les fait partir, du moins en ce qui concerne ma génération qui a fait ses études chez les religieuses qui prônaient la France et la langue française comme modèle absolu. Il est évident que l’on finit par se sentir étranger dans son propre pays dont on ne connaît même pas l’histoire et à peine la langue qu’on nous a fait mépriser (parler l’arabe était sanctionné à l’école). Toutes nos références étaient (et sont) françaises. Comment ne pas quitter le Liban que nous vivons comme une menace culturelle !? Je ne suis pas contre le fait que, dans un pays, il faut parler deux ou trois langues, mais nous sommes le seul pays au monde où les gens ne parlent pas leur langue… Le dénominateur commun d’un pays est son histoire, sa prédominance religieuse et sa langue. Au Liban ces trois éléments ne font pas l’unanimité et on se demande encore pourquoi les Libanais ne s’entendent pas ?! »
Etel Adnan est poète dans l’âme. C’est une femme qui est « née pour partir », répète-t-elle souvent. Et même si elle est « partie sans se retourner », une dernière et ultime fois, c’est le Liban qui a toujours nourri sa nostalgie, peut-être même qu'il continuera de le faire dans cet ailleurs dont on ne revient jamais...
Etel Adnan a vécu plusieurs vies dans une vie. De ses origines, elle retient surtout les quinze premières années : « Nos impressions les plus fortes se situent dans l’enfance, il suffit d’imaginer la première orange qu’on a mangée, le premier jasmin qu’on a senti, la première gronderie subie ou le premier arbre qu’on a vu. C’est extraordinaire d’être un enfant : c’est une découverte ininterrompue… La patrie c’est aussi ça. Je voudrais ajouter qu’il est très cruel d’être méchant à l’égard des étrangers qui sont nés et ont vécu dans le même pays que nous, parce que quelque part ils sont comme nous et là, sans rentrer dans la politique, je mentionne les Palestiniens qui sont parqués comme des animaux…. Il faut leur donner un statut spécial d’émigrés qui leur permette de vivre normalement… »
Et si elle devait revivre sa vie, qu’aurait-elle changé ?
« Je crois que tout ce que j’ai fait, je n’aurais pas pu le faire autrement. Heureusement et malheureusement. Ce que je regrette, c’est ce que je j’aurais pu moi-même contrôler, par exemple certains voyages que j’ai ratés (le Guatemala et le Machu Picchu au Pérou) et je le regrette amèrement. Les séquelles d’un accident de voiture, subi il y a vingt ans, m’interdisent les hauteurs. Bien sûr, il y a également des erreurs à n’en plus finir que j’ai faites… surtout d’avoir laissé passer une passion qui m’avait aveuglée par sa force… » Etel Adnan dénonce un monde qui privilégie la sexualité à l’amour : « On ne parle plus d’amour, le sentiment amoureux se perd au profit du sexe et de corps ». Et en parlant d’amour, elle inclut toutes les formes d’amour : « Si on aime vraiment un arbre, cet arbre vous parle. J’ai écrit des poèmes sur des tilleuls que j’avais dans ma cour à Paris ; j’ai fini par avoir une relation intense avec eux. Une fois alors que j’arrivais, le vent a soufflé les feuilles juste devant moi. C’est comme si ces feuilles me faisaient une fête. J’ai aimé (et j’aime toujours) passionnément une montagne que je vois depuis ma fenêtre… » Bien sûr les relations avec les gens sont beaucoup plus compliquées : « On est deux, voire parfois trois quand il y a des conflits, alors que la montagne est toujours là, même si elle m’échappe, elle ne me brise pas le cœur… » Quel est le mode d’expression - entre peinture et écriture - dans lequel elle se sent le mieux ? « Je ne peux pas répondre, car si je n’avais pas besoin des deux, je ne l’aurais pas fait… Il y a des périodes dans ma vie où j’ai peint plus que je n’ai écrit et inversement… »
« La philosophie du pouvoir »
Un des cours qu’Etel Adnan a enseignés lorsqu’elle était professeur avait pour titre « la philosophie du pouvoir ». Au bout du semestre et au terme de discussions avec ses élèves, ils se sont rendu compte que « le pouvoir était indispensable à la vie. Être un arbre qui pousse, c’est une violence affirmée. Le pouvoir est une chose incontournable et positive. Autrement, c’est la mort ! Mais gare aux abus et à la bêtise dans la façon de gérer ce pouvoir. Ce dernier est deux énergies (comme l’électricité qui souffle le chaud ou le froid) et cette énergie, c’est la vie, le monde. Le soleil, la lune, les fleurs… en somme tout ce qui est vivant a du pouvoir. Mais la paix n’est ni nécessairement la défaite, ni l’absence de pouvoir, c’est la sagesse et l’intelligence et l’affirmation de la vie… »
De la francophonie et autres misères…
« On se demande souvent pourquoi les Libanais quittent leur pays ? C’est la francophonie qui les fait partir, du moins en ce qui concerne ma génération qui a fait ses études chez les religieuses qui prônaient la France et la langue française comme modèle absolu. Il est évident que l’on finit par se sentir étranger dans son propre pays dont on ne connaît même pas l’histoire et à peine la langue qu’on nous a fait mépriser (parler l’arabe était sanctionné à l’école). Toutes nos références étaient (et sont) françaises. Comment ne pas quitter le Liban que nous vivons comme une menace culturelle !? Je ne suis pas contre le fait que, dans un pays, il faut parler deux ou trois langues, mais nous sommes le seul pays au monde où les gens ne parlent pas leur langue… Le dénominateur commun d’un pays est son histoire, sa prédominance religieuse et sa langue. Au Liban ces trois éléments ne font pas l’unanimité et on se demande encore pourquoi les Libanais ne s’entendent pas ?! »
Etel Adnan est poète dans l’âme. C’est une femme qui est « née pour partir », répète-t-elle souvent. Et même si elle est « partie sans se retourner », une dernière et ultime fois, c’est le Liban qui a toujours nourri sa nostalgie, peut-être même qu'il continuera de le faire dans cet ailleurs dont on ne revient jamais...
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