Bilan Macron: beaucoup d’agitation, peu de résultats au Liban
Emmanuel Macron a largement médiatisé l’intérêt qu’il portait au dossier du Liban. Mais les deux voyages à Beyrouth du président français, en août et septembre 2020, et les pressions permanentes qu’il a exercées sur la vie politique libanaise, notamment sur la place du Hezbollah, le mouvement chiite extrémiste, n’ont eu au final que peu d’effets sur le cours des événements.

Accueil chaleureux pour le président Macron dans les quartiers sinistrés de Beyrouth après l’explosion du 4 août 2020 Accueil chaleureux pour le président Macron dans les quartiers sinistrés de Beyrouth après l’explosion du 4 août 2020

« Je ne vous lâcherai pas », avait sorti le président français Emmanuel Macron à l’ambassadeur du Liban en France, Rami Adouane.

« Vers l’Orient compliqué, je m’envolais avec des idées simples ». Cette envolée du général De Gaulle lors de l’un de ses premiers voyages au Liban, s’applique à l’initiative d’Emmanuel Macron visant à aider le Liban à s’engager sur la voie d’une sortie de crise après l’explosion dramatique du Port qui avait dévasté les vieux quartiers chrétiens de Beyrouth.

Le président français tout comme son illustre prédécesseur a abordé le Liban avec des idées sans doute trop simples. Et il ten

Tournée du président Macron au port de Beyrouth, détruit par l’explosion du 4 août 2020. Tournée du président Macron au port de Beyrouth, détruit par l’explosion du 4 août 2020.

te un coup diplomatique spectaculaire en se rendant deux fois en trois semaines dans le pays du Cèdre ! Du jamais vu pour un président français !

Or vingt mois après ces deux voyages très médiatisés, chacun peut constater que les initiatives françaises ont très largement échoué. Les résistances rencontrées par Emmanuel Macron tiennent pour beaucoup à la complexité de la situation politique au Liban et à l’ampleur de la crise qui sévit dans le pays. Mais si Emmanuel Macron, peu au fait de la situation libanaise, n’avait pas pêché par orgueil, son échec aurait été moins cuisant.

Une anecdote pathétique illustre fort bien l’absence de réelle expertise des dirigeants français sur « l’Orient compliqué ». Lors de son plus récent voyage au Liban l’hiver dernier, Jean Yves Le Drian, le patron de la diplomatie française fort actif sur ce dossier, avait rendu visite au patron de la plus grande ONG libanaise, Kamel Mohana. Ce dernier expliqua au ministre français combien la présence de 600.000 Syriens qui avaient appris le maniement des armes lors de leur service militaire à Damas constituait une redoutable bombe à retardement. Le ministre français des Affaires étrangères trouvait seulement à répondre : «Nous aussi en France, nous connaissons la menace terroriste».

Comment oser une telle comparaison entre la France et le Liban ? « Quand vous avez un mort chez vous, répondit l’humanitaire au ministre, cela fait la une de la presse. Chez nous, nous avons des dizaines de milliers de disparitions et de déplacés que ce soit en Irak, au Yémen, en Palestine ou au Liban et il n’y a pas une ligne dans vos journaux ». Et le médecin libanais de conclure : « C’est ce que j’appelle le double standard entre vous à Paris et nous à Beyrouth »...

Le 10 mars 2022, le voyage éclair du ministre délégué aux Transports, Jean Baptiste Djebbari, qui a annoncé la livraison de quelques bus alors que la crise des transports publics est dramatique, résume à elle seule la réalité de l’aide de la France, puissance moyenne. Voici désormais le président français condamné à revoir ses ambitions.

Les promesses ne coutent rien

Le soir même de l’explosion du Port de Beyrouth, le président français décide de se rendre au Liban. Le 6 août 2020, soit deux jours plus tard, Emmanuel Macron arrive sur place et effectue la tournée des quartiers sinistrés, où il n’hésite pas à prendre à partie un responsable officiel présent. Les habitants, abandonnés par leurs propres élites politiques, lui réservent un accueil particulièrement chaleureux.

Cette rencontre entre Emmanuel Macron et une foule libanaise majoritairement chrétienne est très largement médiatisée. « Je ne vous lâcherai pas », avait sorti le président français à l’ambassadeur du Liban en France, Rami Adouane, fort proche du président Aoun.

Ce qu’on sait moins est que dès sa première tournée, le président français négocie discrètement quelques arrangements avec le monde politique libanais. Et cette négociation est précipitée et, semble-t-il, improvisée. Dans un livre fort bien documenté, les journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot en racontent les coulisses. Lorsqu’il reçoit les chefs des partis à la Résidence des pins, qui est celle de l’ambassadeur de France, le président français croise Mohamed Raad, le chef du groupe parlementaire du Hezbollah, le parti chiite proche de l’Iran, totalement clivant sur la scène politique libanaise. « Je compte sur vous pour nous aider et me faire réussir ma mission », lui confie Emmanuel Macron.

« Comment peut-on construire une stratégie de redressement du Liban sans parler des armes du Hezbollah », demandent au président français les leaders de l’opposition maronite, Samy Gemayel et Samir Geagea.

« Mais cela fait des années que vous parlez des armes du Hezbollah, est-ce que vous êtes arrivés à un résultat ? »,  leur répond le représentant de la France (1).

C’est qu’Emmanuel Macron s’était engagé auprès des dirigeants du mouvement chiite à aborder la question des armes. Et il aura tenu parole. Enfin, le président français, en guise d’adieu, devait ajouter à l’adresse de l’ensemble des responsables présents : « Tout le monde sait que vous avez tous touché. Mais on peut toujours corriger cela » (2).

La feuille de route de l’Élysée

Le 1er septembre, le chef de l’État français qui est retourné à Beyrouth, rencontre les chefs de file des principales formations politiques du pays, y compris un représentant haut placé du Hezbollah pro-iranien, le Hezbollah. Une feuille de route est soumise aux leaders présents. Les buts obtenus à l’arrachée en étaient très ambitieux, trop à l’évidence : formation d’un « gouvernement de mission » regroupant des ministres totalement indépendants des partis politiques ; mise en application d’une série de réformes structurelles, versement en échange de 11 milliards de dollars.

Emmanuel Macron ne faisait que reprendre les termes d’un accord imaginé lors d’une conférence sur le Liban qui s’était tenue à Paris en avril 2018. La négociation n’avait pas abouti en raison des résistances des partis politiques libanais à entamer la moindre réforme fondamentale d’un système économique pourtant gangrené. « On ne peut pas faire boire un âne qui n’a pas soif », avait conclu Pierre Duquesne, le diplomate français qui avait été la cheville ouvrière de la grand-messe de 2018.

Les mesures que les responsables officiels de 50 États n’avait pas pu imposer aux Libanais, Emmanuel Macon prétendait les faire accepter à ses interlocuteurs. Avec quelles cartes en main ? Très peu apparemment. L’arrogance du président français lui a fait confondre les paroles courtoises de ses hôtes libanais avec des engagements fermes et définitifs.


Moustapha Adib, un diplomate originaire de Tripoli au Liban-Nord, était le candidat à la fois de Merkel et de Macron, mais pas des Américains.

L’ambassadeur en Allemagne en piste !

La « feuille de route » française du 1er septembre 2020 s’articule sur l’engagement clair des chefs des partis politiques, y compris le Hezbollah, de se montrer loyaux. Dans la foulée, le président Macron propose même un nom pour diriger le « gouvernement de mission » qui lui a été soufflé par Angela Merkel. Le « Premier ministre désigné », tel qu’il pourrait être proposé aux forces politiques, pourrait être l’ambassadeur du Liban en Allemagne, Moustapha Adib, originaire de Tripoli au Liban-Nord, la capitale du sunnisme libanais et qui, cerise sur le gâteau, est diplômé en Sciences Po et de nationalité française.

Aucun chef de parti ne s’oppose à cette proposition. Le Hezbollah chiite, qui verrouille le système libanais et a tout à perdre à une recomposition politique, soutient l’initiative française, mais il le répète, à deux conditions : aucune discussion sur l’existence de son arsenal militaire, qui lui permet de posséder la milice la plus efficace du Liban ; pas d’enquête internationale sur l’explosion du 4 août.

Or le mouvement chiite est légalement responsable de la sécurité des frontières, qu’il s’agisse des installations portuaires ou des aéroports. Ce qui n’en fait pas forcément le coupable de l’explosion du Port de Beyrouth, mais au moins le responsable des défauts de surveillance. Autant d’oukases que le président français accepte sans même tenter de créer un rapport de force.

Les Américains font de la résistance

Courant septembre, Moustaha Adib est donc désigné par le président Aoun pour former le gouvernement. Les négociations commencent. Un de ses principaux interlocuteurs du « Premier ministre désigné » est le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, principal conseiller du président du Parlement Nabih Berry, chef du deuxième parti chiite, et par ailleurs, proche du Hezbollah.«Une semaine plus tard, c’est le coup de tonnerre, explique-t-on au Quai d’Orsay. Les Américains sortent un dossier contre le ministre des Finances (sanctionné pour corruption), ce qui rend impossible à l’avenir qu’il soit le représentant du pays face au FMI. Le Hezbollah, sans en avertir Moustapha Adib, refuse de poursuivre la négociation ».

Le parti chiite aurait-il utilisé ce prétexte pour faire échec à la formation du gouvernement ? Ou les Américains auraient-ils voulu saborder l’initiative française qui pouvait parasiter les négociations avec l’Iran ? «Avec la nomination de Moustapha Adib, qui n’était pas marqué politiquement au Liban, le dossier libanais est au-dessus de la pile, veut croire un diplomate français. Ce que l’administration américaine ne voulait sans doute pas».

Les Français haussent le ton

La mission de Moustapha Adib s’avère plus difficile que prévu. Confronté à d’innombrables obstacles, le Premier ministre désigné envisage sérieusement de jeter l’éponge. Mais alors qu’il s’apprête à informer le président Aoun de sa décision, il reçoit un appel téléphonique du président Macron : «Reste encore ! Nous allons y arriver, je vais mettre toutes mes forces dans la balance ». On reconnait bien là la méthode Macron plus proche de l’entêtement que de l’obstination !

Le diplomate libanais accepte de tenter encore une dernière chance. Mais le blocage persiste. «Moustapha Adib dont le parcours était irréprochable et la compétence reconnue, n’avait pas d’adversaire connu, souligne à Mondafrique une source proche du Quai d’Orsay, mais personne dans la classe politique libanaise ne souhaitait son succès ».

Suite à ce désistement, et confronté à la complexité des réalités libanaises, le président Macron se déchaine, depuis l’Élysée, contre les partis libanais, notamment le Hezbollah dont il connait désormais la responsabilité dans l’échec de son « protégé ».

Rancœurs françaises

Fin octobre, Saad Hariri est désigné pour former le gouvernement. Mais ses efforts demeurent vains. Face à la persistance de la crise ministérielle et politique, les critiques sévères des dirigeants français, notamment du chef du Quai d’Orsay, Jean-Yves Le Drian, se multiplieront au fil des semaines.

Jean Yves Le Drian mettra en garde à plusieurs reprises contre «la disparition du Liban» (en tant qu’entité indépendante) si la crise persistait. Il ira même jusqu’à accuser certains responsables politiques de « non-assistance à pays en danger».

Au début du mois de mai 2021, le chef de la diplomatie française effectue une courte visite à Beyrouth qui marquera un changement de cap. Les nouveaux éléments de langage, entre intrusion dans la vie politique libanaise et mépris des codes diplomatiques habituels, les voici: Paris désespère du système politique dominant; trois brèves réunions d’une vingtaine de minutes chacune se tiendront avec le président de la République, le président du Parlement et le (nouveau) Premier ministre désigné, Saad Hariri; des sanctions – des « mesures nationales restrictives » – seront prises contre ceux qui font obstruction à la formation d’un nouveau gouvernement. Parallèlement, le ministre français tient une longue réunion de près de deux heures à la résidence de l’ambassadeur de France avec des représentants de certaines formations qu’il exhorte à unifier leurs rangs dans la perspective des élections législatives qui devraient avoir lieu en mai 2022.

Si ce n’est pas une intrusion dans la vie politique d’un pays étranger, cela y ressemble fort.

(1) Cité dans « le  déclassement français », Georges Malbrunot et Christian Chesnot.(Edition Michel Lafon)

(2)  idem

https://mondafrique.com/bilan-macron-2-beaucoup-dagitation-mais-peu-de-resultats-au-liban/

 
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