La procureure Ghada Aoun fait l'éloge, en public, de l'action qu'elle affirme mener contre la corruption.
Les termes « éthique », « déontologie » et « respect des procédures judiciaires » les plus élémentaires, ont-ils encore un sens au Liban ? Pour nombre de Libanais, la réponse ne fait plus, malheureusement, l’ombre d’un doute, mais elle a été confirmée, une fois de plus, par les circonstances déplorables qui ont entouré la participation de la procureure Ghada Aoun à un colloque au sénat français sur le thème de la corruption.
La première question, restée sans réponse, qui vient à l’esprit est de savoir si la procureure avait obtenu l’autorisation de quitter le pays. Interrogé sur ce point par Ici Beyrouth, l’ancien ministre de la Justice, Ibrahim Najjar, confirme qu’un magistrat n’a pas le droit de se rendre à l’étranger sans une autorisation écrite du ministre de la Justice. A-t-elle été octroyée ? Jusqu’à mercredi soir, le ministre de la Justice, Henry Khoury, n’avait pas réagi à nos sollicitations pour répondre à cette question. « Je présume que le ministre de la Justice en exercice lui a probablement accordé cette autorisation puisqu’ils sont, tous les deux, du même camp politique », relève Ibrahim Najjar.
Il reste que pour en revenir aux faits, qui remontent à lundi dernier 4 avril, ils soulèvent des interrogations à plus d’un niveau. Au plan de l’éthique, d’abord, Ghada Aoun s’est affichée en public avec un richissime homme d’affaires libano-français, Omar Harfouche, candidat aux élections législatives du 15 mai prochain et qui affirme sans détour que Madame la procureure était son « invitée » à Paris, mais que cela ne signifie nullement qu’il est « aouniste » !
Compte tenu du passé particulièrement sulfureux et troublant de l’homme d’affaires en question, il est permis de se demander comment (et pourquoi) Ghada Aoun, qui se veut le porte-étendard de la lutte contre la corruption, a pu accepter cette invitation, si tant est qu’elle se confirme (jusqu’à mercredi soir, elle n’avait pas été démentie).
D’une manière générale, convient-il de noter dans ce cadre, un fonctionnaire n’est pas autorisé, de par la loi, à adhérer à un parti, à se livrer à une activité politique ou même à assister, à titre personnel, à une rencontre politique. A fortiori, comment un procureur en exercice peut-il donc s’afficher publiquement avec un candidat aux élections législatives à moins de deux mois du scrutin ?
Plus grave encore est la présence à ce colloque, aux côtés de Ghada Aoun, de William Bourdon, fondateur de l’ONG Sherpa, qui avait déposé une plainte à Paris contre le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé. En clair, la procureure en charge du dossier des plaintes contre Riad Salamé s’affiche publiquement avec l’une des parties prenantes dans cette affaire, faisant fi ainsi d’une des règles de procédures judiciaires les plus élémentaires.
Le point de vue du CSM
Une source autorisée au sein du Conseil supérieur de la Magistrature (CSM) souligne sur ce plan, en réponse aux questions d’Ici Beyrouth, que lorsqu’un magistrat enfreint aux procédures prévues par la réglementation en vigueur, le CSM peut prendre des mesures disciplinaires à l’encontre du magistrat frondeur et le déférer devant l’Inspection judiciaire. Cette procédure revêt un caractère interne, en ce sens qu’elle demeure secrète.
Quant à la présence, aux côtés de Ghada Aoun, d’une personne partie prenante dans une affaire traitée par la procureure, la source du CSM indique que si ce fait s’avère vraie (en l’occurrence la présence de William Bourdon au colloque) la partie adverse peut alors réclamer que des mesures disciplinaires soient prises contre la procureure. Or dans un échange de messages WhatsApp, mercredi soir, entre une personnalité libanaise de haut rang et le fondateur de l’ONG Sherpa, celui-ci confirme explicitement, lui-même, sa présence, allant même jusqu’à souligner qu’il avait été « plutôt » convaincu par l’exposé de Ghada Aoun. Omar Harfouche avait déjà indiqué mardi que William Bourdon était présent à la rencontre avec la procureure.
Récupération électorale ?
Reste deux questions essentielles qui se posent encore dans cette affaire : quel intérêt avait Ghada Aoun à s’afficher publiquement de la sorte avec Omar Harfouche et William Bourdon ? Et pourquoi le sénat français s’est-il livré à ce jeu alors que le comportement de la procureure au Liban est sujet à controverse ?
Concernant la seconde question, une source autorisée à la présidence du sénat français a indiqué, en réponse aux questions d’Ici Beyrouth, qu’il n’y pas de procédure déterminée qui devrait être suivie en amont pour inviter un intervenant étranger à prendre la parole au sénat. « Il suffit qu’un sénateur décide d’organiser une causerie ou une intervention pour que cela soit possible, précise la source à la présidence du sénat. Il n’y a pas, parallèlement, de critères fixant le profil nécessaire de l’invité ou la teneur de l’exposé qui serait présenté par l’invité du sénateur ».
Reste la thèse de la récupération politicienne à quelques semaines des élections législatives. Cette hypothèse est accréditée par la tenue mardi 5 avril à Paris d’une rencontre (à l’évidence partisane) organisée par le « Collectif des victimes des pratiques frauduleuses et criminelles au Liban » en l’honneur de Ghada Aoun. L’occasion pour la procureure de faire l’éloge (publique) de l’action qu’elle a menée, avec « succès » selon elle, contre la corruption en diverses circonstances.
Lorsqu’on est à la veille d’un scrutin législatif crucial, il faut, effectivement, faire feu de tout bois … Et tant pis pour l’éthique, la déontologie et le devoir de réserve d’un magistrat…
Les termes « éthique », « déontologie » et « respect des procédures judiciaires » les plus élémentaires, ont-ils encore un sens au Liban ? Pour nombre de Libanais, la réponse ne fait plus, malheureusement, l’ombre d’un doute, mais elle a été confirmée, une fois de plus, par les circonstances déplorables qui ont entouré la participation de la procureure Ghada Aoun à un colloque au sénat français sur le thème de la corruption.
La première question, restée sans réponse, qui vient à l’esprit est de savoir si la procureure avait obtenu l’autorisation de quitter le pays. Interrogé sur ce point par Ici Beyrouth, l’ancien ministre de la Justice, Ibrahim Najjar, confirme qu’un magistrat n’a pas le droit de se rendre à l’étranger sans une autorisation écrite du ministre de la Justice. A-t-elle été octroyée ? Jusqu’à mercredi soir, le ministre de la Justice, Henry Khoury, n’avait pas réagi à nos sollicitations pour répondre à cette question. « Je présume que le ministre de la Justice en exercice lui a probablement accordé cette autorisation puisqu’ils sont, tous les deux, du même camp politique », relève Ibrahim Najjar.
Il reste que pour en revenir aux faits, qui remontent à lundi dernier 4 avril, ils soulèvent des interrogations à plus d’un niveau. Au plan de l’éthique, d’abord, Ghada Aoun s’est affichée en public avec un richissime homme d’affaires libano-français, Omar Harfouche, candidat aux élections législatives du 15 mai prochain et qui affirme sans détour que Madame la procureure était son « invitée » à Paris, mais que cela ne signifie nullement qu’il est « aouniste » !
Compte tenu du passé particulièrement sulfureux et troublant de l’homme d’affaires en question, il est permis de se demander comment (et pourquoi) Ghada Aoun, qui se veut le porte-étendard de la lutte contre la corruption, a pu accepter cette invitation, si tant est qu’elle se confirme (jusqu’à mercredi soir, elle n’avait pas été démentie).
D’une manière générale, convient-il de noter dans ce cadre, un fonctionnaire n’est pas autorisé, de par la loi, à adhérer à un parti, à se livrer à une activité politique ou même à assister, à titre personnel, à une rencontre politique. A fortiori, comment un procureur en exercice peut-il donc s’afficher publiquement avec un candidat aux élections législatives à moins de deux mois du scrutin ?
Plus grave encore est la présence à ce colloque, aux côtés de Ghada Aoun, de William Bourdon, fondateur de l’ONG Sherpa, qui avait déposé une plainte à Paris contre le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé. En clair, la procureure en charge du dossier des plaintes contre Riad Salamé s’affiche publiquement avec l’une des parties prenantes dans cette affaire, faisant fi ainsi d’une des règles de procédures judiciaires les plus élémentaires.
Le point de vue du CSM
Une source autorisée au sein du Conseil supérieur de la Magistrature (CSM) souligne sur ce plan, en réponse aux questions d’Ici Beyrouth, que lorsqu’un magistrat enfreint aux procédures prévues par la réglementation en vigueur, le CSM peut prendre des mesures disciplinaires à l’encontre du magistrat frondeur et le déférer devant l’Inspection judiciaire. Cette procédure revêt un caractère interne, en ce sens qu’elle demeure secrète.
Quant à la présence, aux côtés de Ghada Aoun, d’une personne partie prenante dans une affaire traitée par la procureure, la source du CSM indique que si ce fait s’avère vraie (en l’occurrence la présence de William Bourdon au colloque) la partie adverse peut alors réclamer que des mesures disciplinaires soient prises contre la procureure. Or dans un échange de messages WhatsApp, mercredi soir, entre une personnalité libanaise de haut rang et le fondateur de l’ONG Sherpa, celui-ci confirme explicitement, lui-même, sa présence, allant même jusqu’à souligner qu’il avait été « plutôt » convaincu par l’exposé de Ghada Aoun. Omar Harfouche avait déjà indiqué mardi que William Bourdon était présent à la rencontre avec la procureure.
Récupération électorale ?
Reste deux questions essentielles qui se posent encore dans cette affaire : quel intérêt avait Ghada Aoun à s’afficher publiquement de la sorte avec Omar Harfouche et William Bourdon ? Et pourquoi le sénat français s’est-il livré à ce jeu alors que le comportement de la procureure au Liban est sujet à controverse ?
Concernant la seconde question, une source autorisée à la présidence du sénat français a indiqué, en réponse aux questions d’Ici Beyrouth, qu’il n’y pas de procédure déterminée qui devrait être suivie en amont pour inviter un intervenant étranger à prendre la parole au sénat. « Il suffit qu’un sénateur décide d’organiser une causerie ou une intervention pour que cela soit possible, précise la source à la présidence du sénat. Il n’y a pas, parallèlement, de critères fixant le profil nécessaire de l’invité ou la teneur de l’exposé qui serait présenté par l’invité du sénateur ».
Reste la thèse de la récupération politicienne à quelques semaines des élections législatives. Cette hypothèse est accréditée par la tenue mardi 5 avril à Paris d’une rencontre (à l’évidence partisane) organisée par le « Collectif des victimes des pratiques frauduleuses et criminelles au Liban » en l’honneur de Ghada Aoun. L’occasion pour la procureure de faire l’éloge (publique) de l’action qu’elle a menée, avec « succès » selon elle, contre la corruption en diverses circonstances.
Lorsqu’on est à la veille d’un scrutin législatif crucial, il faut, effectivement, faire feu de tout bois … Et tant pis pour l’éthique, la déontologie et le devoir de réserve d’un magistrat…
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