C’est un peu comme plonger dans un bain. Un bain de sans
C’est un peu comme plonger dans un bain. C’est un peu, oui c’est peu. Pas grand-chose. On ne se sent pas grand. On ne ressort pas grand de ce bain. Et bien oui. Mais non. Non, on ne voudrait pas que ça se passe. On ne voudrait pas que ça manque. On ne voudrait pas avoir à se souvenir. On voudrait juste avoir à vivre. Vivre l’instant présent. On voudrait tellement des choses. Un peu comme des enfants. On trépigne. On sautille. Et puis un jour on saute dans le grand bain. Ou on nous y pousse. C’est, paraît-il, «le destin». Le destin on y croyait, on croyait que ça se dessine, le destin. De ses propres mains. De caresses, de toucher. Les autres. De modeler une vie. A son rythme. Le destin, non, c’est comme une musique qu’on joue sans en maîtriser l’instrument. On s’accroche à de l’immatériel et il nous manque de l’humain. Un jour ou un autre, on finit sans quelqu’un. Avec soi. En face dans la glace. Dans le bain. Gelé. Froid. Glacé. Dans cette pluie d’instants figés qui réapparaissent un peu comme et quand ils veulent.  Et c’est parti. Reparti. Pour une séance de souvenirs de ceux avec qui on est sans. De ceux dont le destin ne se dessine plus mais s’égare discrètement du cadre. C’est un peu comme plonger dans un grand bain de sans. Le sans ne s’enlève pas. Ne s’efface pas. Le sans ne se nettoie pas.  Il se conserve à l’intérieur de soi, le sans. Au hasard d’une seconde qui passe, on replonge. On plonge dans son grand bain de sans. On s’isole au milieu de tout le monde. On ne fait que se souvenir. Les sans remontent à la surface.  On y va, on plonge en plein dedans. On rouvre les blessures. On découd les plaies, machinalement. Machinalement on se laisse submerger par un océan de souvenirs. On se laisse dériver dans un bain de sans.  On se laisse. On s’abandonne à sa mémoire. A des lueurs de soirs d’enfance que l’on revit en noir et blanc, en accéléré, en douloureux cette fois.

Cette fois c’est un grand bain de sans. Un journal intime. Un album de photos-souvenirs. Le poids des maux. On plonge dedans d’un coup comme ça. Comme un électrochoc. On a parfois mal à ses souvenirs. On a parfois mal dans son bain de sans. On a parfois du mal à s'en sortir, de ce bain. On a parfois du mal à s’en sortir tout court. On a parfois du mal à vivre sans. Sans être en permanence dans son bain de sans. Comme dans un état second. Comme une vie à deux vitesses. La vie des jours sans et des jours avec. La vie des souvenirs. La vie de plongeons dans les bains de sans. La vie sans eux.  On s’y noierait. C’est si noir. C’est si noir parfois dans nos souvenirs. C’est si noir dans ce bain de sans. C’est à peine si on y voit quelque chose.
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