L’une des significations du titre que j’ai choisi pour mon livre, La vie augmentée, concerne directement le plan des affects: il s’agit d’augmenter la qualité des émotions, d’améliorer l’état affectif d’une personne, afin de l’amener à sortir des zones de souffrance et se porter vers des ressentis heureux.
En effet, quand une personne demeure dans un état affectif pénible, qu’elle se sent angoissée, apeurée, découragée, abattue, impuissante, indigne, coupable, triste ou désespérée, non seulement elle souffre, mais elle se trouve comme coupée d’elle-même, de sa source de mouvement, de création et de joie.
«Un affect, c’est littéralement ce qui affecte un sujet, ce qui le touche. Ce qui le touche peut être de l’ordre du plaisir ou du déplaisir, concerner sa vie psychique (émotions, sentiments, humeurs, bonnes ou mauvaises nouvelles, mots doux, blessants, ou même silences, pensées, symptômes psychiques) ou sa vie physique (bien-être, caresses, malaise, douleur, violences, symptômes somatiques). Dans tous les cas, le corps est concerné».
Du fait de la vie affective, le corps humain est sans cesse mobilisé par des sensations, agréables ou pénibles, puisqu’il a pour propriété la jouissance (l’aptitude au plaisir), mais peut aussi subir des perturbations, voire tomber malade.
Il est souvent reproché à la psychanalyse de négliger les affects du sujet et leurs répercussions sur le corps, au profit du langage, de l’histoire, de la mémoire, en un mot de l’intellect. N’ignorant ni les mauvaises expériences antérieures de certains de mes patients, ni les préjugés, parfois fondés, envers les psychanalystes, je ne peux me prononcer ici au nom de toute la profession. Je peux affirmer, en revanche, que, dans ma pratique, il n’existe aucune opposition entre la clinique du signifiant (du mot) et celle de l’affect, entre l’intellectuel et le vécu. L’expérience quotidienne nous révèle que des mots peuvent bouleverser ou transporter une personne corps et âme (la fameuse «phrase assassine» ou, à l’inverse, la poésie par exemple), et que, réciproquement, aucun ressenti humain ne se manifeste sans éléments de langage ou ensemble de pensées venant le déterminer. La sphère du langage et celle des affects sont indissociables; c’est pour cela que la parole – pas n’importe quelle parole, bien sûr – guérit.
Ce que sait intuitivement toute personne venant demander l’aide du psychanalyste peut se formuler ainsi: pour améliorer, «élever» l’état de ses propres affects, il faut d’abord les interroger.
Il existe, en effet, un paradoxe de l’affect. A la fois il constitue l’évidence même, tant il est criant pour la personne qui le ressent, et reste pourtant difficile à identifier. Si l’expression commune souligne que l’on «essaie d’exprimer ses sentiments», c’est précisément parce que ceux-ci ont quelque chose d’insaisissable, d’indicible et de très singulier en outre. Mettre en mots un affect, c’est déjà le travailler, dans une sorte d’opération de mise au point, presqu’au sens photographique du terme. L’effet ne se fait d’ailleurs pas attendre: qu’on nomme un ressenti, et on s’en trouve toujours soulagé.
Là où la psychanalyse va plus loin, où elle dépasse le plan du pur témoignage pour le patient et de la simple écoute pour le praticien, tient à son saut au plan des causes. La personne en analyse interroge ses affects et appelle une réponse qui dise pourquoi. Elle appelle cette réponse car elle vise, non pas seulement un soulagement immédiat qu’elle sait éphémère, mais la mutation durable de son état affectif vers la paix intérieure, le sentiment de savoir, de bonheur et de liberté.
Ici intervient le savoir propre à la psychanalyse. «L’efficacité, révolutionnaire, de la psychanalyse s’enracine en cette lucidité fondamentale: l’affect est un effet. L’affect se ressent, se dit, mais ne se déchiffre pas. Ce qui doit se déchiffrer, c’est sa cause (…) Nous le savons depuis Freud: le producteur des affects humains, c’est l’inconscient».
Freud a lumineusement élaboré la série des pulsions dont dérivent les passions humaines et articulé leur rapport au monde des mots, allant jusqu’à concevoir une «grammaire des pulsions». Lacan a inlassablement prolongé la piste de la cause langagière des affects.
À partir d’exemples divers, j’explique pas à pas dans mon livre comment une psychanalyse amène une personne à parcourir son histoire d’une manière inédite, à se déplacer au regard du douloureux et de l’inadéquat survenus en cette histoire, à renverser ce qui a pu faire destin (et particulièrement destin d’échec) dans une perspective positive nouvelle. L’état affectif de la personne est au cœur de cette transformation: là où l’amour déçu ou trahi peut avoir laissé en elle la marque profonde de l’insécurité ou de l’indignité, là où les échecs, vécus dans l’humiliation, ont souvent inscrit un sentiment permanent d’impuissance ou de désespoir, adviennent alors progressivement pour elle, en transitant parfois par la colère ou le blâme salutaires, une confiance définitive en ses propres ressources et la joie de s’éprouver comme créatrice de sa vie.
Pour ceux dont la sensibilité ne les porte pas à la psychanalyse, je tenais à ajouter ceci, qui touche chacun de nous dès lors que nous parlons: toute parole, authentique, énoncée a des effets émotionnels et influe sur notre état d’être: plaisir produit par l’émergence du mot juste ou inouï, apaisement porté par la formulation d’une vérité enfin trouvée, agrément précieux lié à la seule évocation de ce que aimons dans le monde... Ces effets de la parole ne datent pas de la psychanalyse et ne lui appartiennent pas en propre, même si elle a su en révéler la logique. Parler du cœur de nous-même, c’est oser faire vibrer notre fibre la plus intime: nos intérêts les plus singuliers, nos préférences de goût, nos vœux pour notre devenir. Parler du meilleur lieu affectif qui soit, celui de l’enthousiasme inhérent au désir, de la conscience délicieuse de nouveaux possibles, de l’élan frais et généreux lié à notre propre expansion, c’est oser Nous créer.
En référence à la psychanalyse, mais aussi au-delà d’elle, j’ai souhaité faire passer ce souffle, éternelle propriété de l’humain, dans La vie Augmentée.
@sabinecallegari
En effet, quand une personne demeure dans un état affectif pénible, qu’elle se sent angoissée, apeurée, découragée, abattue, impuissante, indigne, coupable, triste ou désespérée, non seulement elle souffre, mais elle se trouve comme coupée d’elle-même, de sa source de mouvement, de création et de joie.
«Un affect, c’est littéralement ce qui affecte un sujet, ce qui le touche. Ce qui le touche peut être de l’ordre du plaisir ou du déplaisir, concerner sa vie psychique (émotions, sentiments, humeurs, bonnes ou mauvaises nouvelles, mots doux, blessants, ou même silences, pensées, symptômes psychiques) ou sa vie physique (bien-être, caresses, malaise, douleur, violences, symptômes somatiques). Dans tous les cas, le corps est concerné».
Du fait de la vie affective, le corps humain est sans cesse mobilisé par des sensations, agréables ou pénibles, puisqu’il a pour propriété la jouissance (l’aptitude au plaisir), mais peut aussi subir des perturbations, voire tomber malade.
Il est souvent reproché à la psychanalyse de négliger les affects du sujet et leurs répercussions sur le corps, au profit du langage, de l’histoire, de la mémoire, en un mot de l’intellect. N’ignorant ni les mauvaises expériences antérieures de certains de mes patients, ni les préjugés, parfois fondés, envers les psychanalystes, je ne peux me prononcer ici au nom de toute la profession. Je peux affirmer, en revanche, que, dans ma pratique, il n’existe aucune opposition entre la clinique du signifiant (du mot) et celle de l’affect, entre l’intellectuel et le vécu. L’expérience quotidienne nous révèle que des mots peuvent bouleverser ou transporter une personne corps et âme (la fameuse «phrase assassine» ou, à l’inverse, la poésie par exemple), et que, réciproquement, aucun ressenti humain ne se manifeste sans éléments de langage ou ensemble de pensées venant le déterminer. La sphère du langage et celle des affects sont indissociables; c’est pour cela que la parole – pas n’importe quelle parole, bien sûr – guérit.
Ce que sait intuitivement toute personne venant demander l’aide du psychanalyste peut se formuler ainsi: pour améliorer, «élever» l’état de ses propres affects, il faut d’abord les interroger.
Il existe, en effet, un paradoxe de l’affect. A la fois il constitue l’évidence même, tant il est criant pour la personne qui le ressent, et reste pourtant difficile à identifier. Si l’expression commune souligne que l’on «essaie d’exprimer ses sentiments», c’est précisément parce que ceux-ci ont quelque chose d’insaisissable, d’indicible et de très singulier en outre. Mettre en mots un affect, c’est déjà le travailler, dans une sorte d’opération de mise au point, presqu’au sens photographique du terme. L’effet ne se fait d’ailleurs pas attendre: qu’on nomme un ressenti, et on s’en trouve toujours soulagé.
Là où la psychanalyse va plus loin, où elle dépasse le plan du pur témoignage pour le patient et de la simple écoute pour le praticien, tient à son saut au plan des causes. La personne en analyse interroge ses affects et appelle une réponse qui dise pourquoi. Elle appelle cette réponse car elle vise, non pas seulement un soulagement immédiat qu’elle sait éphémère, mais la mutation durable de son état affectif vers la paix intérieure, le sentiment de savoir, de bonheur et de liberté.
Ici intervient le savoir propre à la psychanalyse. «L’efficacité, révolutionnaire, de la psychanalyse s’enracine en cette lucidité fondamentale: l’affect est un effet. L’affect se ressent, se dit, mais ne se déchiffre pas. Ce qui doit se déchiffrer, c’est sa cause (…) Nous le savons depuis Freud: le producteur des affects humains, c’est l’inconscient».
Freud a lumineusement élaboré la série des pulsions dont dérivent les passions humaines et articulé leur rapport au monde des mots, allant jusqu’à concevoir une «grammaire des pulsions». Lacan a inlassablement prolongé la piste de la cause langagière des affects.
À partir d’exemples divers, j’explique pas à pas dans mon livre comment une psychanalyse amène une personne à parcourir son histoire d’une manière inédite, à se déplacer au regard du douloureux et de l’inadéquat survenus en cette histoire, à renverser ce qui a pu faire destin (et particulièrement destin d’échec) dans une perspective positive nouvelle. L’état affectif de la personne est au cœur de cette transformation: là où l’amour déçu ou trahi peut avoir laissé en elle la marque profonde de l’insécurité ou de l’indignité, là où les échecs, vécus dans l’humiliation, ont souvent inscrit un sentiment permanent d’impuissance ou de désespoir, adviennent alors progressivement pour elle, en transitant parfois par la colère ou le blâme salutaires, une confiance définitive en ses propres ressources et la joie de s’éprouver comme créatrice de sa vie.
Pour ceux dont la sensibilité ne les porte pas à la psychanalyse, je tenais à ajouter ceci, qui touche chacun de nous dès lors que nous parlons: toute parole, authentique, énoncée a des effets émotionnels et influe sur notre état d’être: plaisir produit par l’émergence du mot juste ou inouï, apaisement porté par la formulation d’une vérité enfin trouvée, agrément précieux lié à la seule évocation de ce que aimons dans le monde... Ces effets de la parole ne datent pas de la psychanalyse et ne lui appartiennent pas en propre, même si elle a su en révéler la logique. Parler du cœur de nous-même, c’est oser faire vibrer notre fibre la plus intime: nos intérêts les plus singuliers, nos préférences de goût, nos vœux pour notre devenir. Parler du meilleur lieu affectif qui soit, celui de l’enthousiasme inhérent au désir, de la conscience délicieuse de nouveaux possibles, de l’élan frais et généreux lié à notre propre expansion, c’est oser Nous créer.
En référence à la psychanalyse, mais aussi au-delà d’elle, j’ai souhaité faire passer ce souffle, éternelle propriété de l’humain, dans La vie Augmentée.
@sabinecallegari
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