Quand on casse les codes du commerce…
On a assisté ces dernières semaines à l’annonce de mesures à caractère commercial qui ont fait l’unanimité ou presque. Une première mesure est annoncée par les ministres de l’Industrie et de la Santé. Ils projettent de multiplier les subventions à l’industrie locale des médicaments, de deux millions de dollars mensuels actuellement à six millions. Cette annonce intervient après une mesure incluse dans le projet de budget de 2022, qui consiste en une taxe exceptionnelle de 10% sur les produits importés qui ont un équivalent local, et de 3% sur l’ensemble des importations.

Du coup, les points d’exclamation admiratifs pleuvent : ‘’Quelle idée merveilleuse !’’ ; ‘’Enfin, on a compris qu’il fallait protéger la production locale!’’ ; ‘’Exit l’économie de rente qui a prévalu pendant des années et place aux secteurs productifs!’’ Et ainsi de suite dans une ambiance de liesse qui a envahi partis, syndicats, associations, et simples citoyens.

Rupture avec le passé

Une fois le calme revenu, on peut scruter d’un peu plus près ces entorses à l’économie libérale et aux lois du marché, deux attributs historiques du Liban, comme pour d’autres pays au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont le Liban ne fait toujours pas partie, alors qu’elle regroupe 164 pays.

D’abord, de telles mesures enfreignent les dispositions des accords de libre-échange que le Liban a déjà signés avec ses partenaires arabes et européens. Lesquels accords ne permettent ni les subventions, ni les nouvelles taxes douanières, sauf dérogations ponctuelles suite à des négociations. Si nos partenaires commerciaux n’ont pas encore réagi alors qu’ils en ont tous les droits, c’est probablement par compassion pour ce pays qui s’enlise dans ses crises, ou par lassitude devant cet État qui ne sait rien faire comme les autres, et ces responsables qui ne savent pas lire un texte d’accord.

Les risques du dérapage


Il reste qu’on devra s’attendre tôt ou tard à des réactions. Prenons d’abord l’industrie des médicaments qui fournit le marché local mais aussi d’autres marchés d’exportation. Nos subventions vont faire baisser leurs coûts de façon artificielle. Or cela a un nom commercial : c’est le dumping, interdit dans tous les accords commerciaux et pratiquement par tous les pays – y compris par le Liban.

Dans l’histoire récente, et suite à des plaintes de nos industriels, diverses mesures de protection ont d’ailleurs été menées par nos autorités contre des actions de dumping venues de l’extérieur : des produits vendus moins chers que le coût normal de production suite, par exemple, à des subventions de leurs États respectifs. Donc normalement, on doit s’attendre à des ripostes similaires des pays concernés, et on aura du mal à développer ou même à conserver nos marchés extérieurs.

D’autres réactions de même genre vont être appliquées rien que parce que nous allons imposer cette taxe de 10% sur les produits importés. Il n’y a pas de raison que nos partenaires commerciaux ne fassent pas de même. Les mesures de rétorsion sont monnaie courante dans le commerce international.

Un exemple de 2018-2019 la montre : le gouvernement libanais de l’époque, aussi intelligent que l’actuel, a décidé d’interdire les confiseries turques car elles concurrençaient les équivalents locaux. Un mois plus tard, la Turquie a interdit l’importation de nos produits métalliques (en fait de la ferraille), alors qu’elle absorbait presque l’essentiel de cette matière, jusqu’à 250 millions de dollars par an, qui faisait vivre des milliers de familles. Par comparaison, les wafers turcs ne représentaient pas le quart de ce montant. Depuis, cette mesure a été annulée après que les responsables en ont constaté les ravages.

Bref, tout est bon dans le pays de l’arbitraire pour ériger le populisme en raison d’État: On sanctionne quelqu’un pour satisfaire l’autre, puis vice versa.
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