Quand Mikati se fait l'écho d'une culture misogyne
Encore une nouvelle sortie ambiguë sur les femmes de la bouche de nos « respectables » politiciens libanais : « Si une femme avait respecté avant son divorce son contrat de mariage, elle n’aurait pas divorcé. »

C’est au tour cette fois du Premier ministre libanais, Nagib Mikati, de créer la polémique à l'issue de la réunion tripartite avec le président de la République Michel Aoun et le chef du Parlement Nabih Berry le 22 novembre, jour de la commémoration de l'indépendance, au palais de Baabda.

M. Mikati a osé une analogie sensationnelle entre le contrat oral du Pacte national et celui du mariage - comme si la condition des femmes divorcées ou veuves au Liban n'était pas déjà suffisamment difficile et qu'il fallait aussi leur reprocher d’avoir quitté leurs maris. Comme si les femmes devaient assumer à elles seules la responsabilité de l’échec du couple.

Le chef de l’Exécutif a peut-être tenté d’imiter ses ministres « technocrates », qui avaient inauguré leurs missions respectives par différents proverbes animaliers ou par de sombres anecdotes analogiques... Mais sa boutade pose cependant un véritable problème de fond concernant la vision que nos représentants ont de la femme, même s’ils se défendent d’être irrespectueux envers elle.

« Les hommes politiques ont malheureusement une vision intrinsèque de la femme qu’il faut changer à tout prix, parce qu’ils ne peuvent plus nous dire que ça provient à la base d’un bon sentiment », affirme à *Ici Beyrouth* Nada Anid, fondatrice et présidente de l’ONG Madaniyat, qui œuvre pour une politique inclusive et une participation paritaire d’hommes, de femmes et de jeunes dans la vie politique.

Les hommes politiques du terroir n’éprouvent en effet aucune gêne à montrer que, dans leur optique, la femme n'est envisagée que comme un complément de l’homme, duquel elle ne saurait être dissociée. Répondant ainsi aux critiques sur la réduction du passage de la déclaration ministérielle relatif aux femmes à une seule phrase à peine lors de son discours devant le Parlement en septembre dernier, après la formation de son gouvernement, le Premier ministre s’était lancé dans une envolée lyrique digne de La Pléiade. La femme est « la vie, une sœur, une épouse, une fille, une petite-fille.. », avait-il dit, comme si les femmes ne pouvaient être que définies qu'en fonction d'une relation à un homme.

Misogynie dans le monde politique

Le combat féministe contre le machisme en politique et dans la vie de tous les jours n’est pas nouveau et n’est certes pas circonscrit au Liban: en France, les gouvernements ont encore malheureusement des ministères chargés de renforcer les droits des femmes. Au Liban, non seulement la représentation féminine est minime au sein des institutions – 6 femmes élues sur 128 sièges aux dernières législatives de 2018 et une seule ministre sur 24 actuellement – mais les propos misogynes lancés à tout-va sans réaction officielle, en toute impunité et sans grande conséquence ne cessent de foisonner.

Ces deux dernières années ont ainsi été marquées par plusieurs épisodes sexistes mémorables. Il est, par exemple, difficile d'oublier la réponse peu ragoutante du vice-président de la Chambre Élie Ferzli à l’ancienne ministre de la Justice Marie-Claude Najm lors d’une séance au Parlement. Dans le cadre d'un échange relatif au transfert d'une phrase d'un paragraphe à l'autre, la ministre lui avait demandé où il fallait la placer. « Enlevez-la d’en haut et mettez-la en bas», lui avait répondu M. Ferzli, dans un langage de charretier.

L’ancien ministre de l’Intérieur Mohammad Fahmi s’était lui aussi distingué par ses clichés à différentes reprises sur des plateaux-télés, estimant qu’une femme ne pouvait être Premier ministre au Liban dans les circonstances actuelles dans la mesure où elle est « douce et timide » par définition.

Interrogé quelques jours auparavant sur les restrictions totales de mouvements les dimanches lors du second confinement dû à la COVID-19, le même ministre avait demandé que l’on « laisse les femmes cuisiner un peu », une réponse insultante et misogyne qui circonscrit le rôle des femmes aux tâches ménagères.


« Ce discours machiste contre les femmes vient de la misogynie de notre société. Ces politiciens, qui représentent le peuple et qui en sont issus, ne défendent pas les femmes », note Hayat Mirshad, journaliste, cofondatrice et codirectrice de l’ONG Fe-Male, mouvement féministe civil pour l’élimination des injustices envers les filles et les femmes. « Toute une génération de politiques montre qu'elle possède une idée obsolète des femmes. Le problème, c’est qu’ils ne savent pas s’adresser à tout un public de citoyennes qui ne veulent plus de ce machisme », souligne Nada Anid.

Plus affligeant encore est le fait que certaines femmes elles-mêmes partagent et légitiment cette vision condescendante de ces politiques envers leur genre : l’épouse de l’ancien Premier ministre Hassane Diab n'avait-elle pas trouvé le remède miracle à la crise économique en invitant « les Libanaise à s’occuper elles-mêmes des tâches domestiques » et de se dispenser des services désormais trop coûteux des employées de maison étrangères ?

L'ancienne ministre May Chidiac relativise cependant : « La déclaration de M. Mikati était malheureuse. Mais je ne pense pas qu'il est misogyne. Il voulait seulement montrer qu’il est proche du peuple et de ce qui se dit en société ».

Mais pour Nada Anid, même si la phrase provenait d’un bon sentiment, elle reste inacceptable. « Dans l’ignorance, foutez-la paix aux femmes », dit-elle.

Le manque de réactivité des médias

Le combat contre le machisme en politique n’est pas uniquement l’apanage des femmes politiques, mais également du contre-pouvoir médiatique. Le caractère sexiste de la phrase de M. Mikati a ainsi été relevée hier par certains médias traditionnels dans leur bulletin d'informations, consolidant quelque peu la réaction antimachiste exprimée sur les réseaux sociaux.

Mais pour le grand public, il faut aussi des chocs positifs pour repousser les lignes de la société patriarcale. En 2015, lorsque la journaliste Rima Karaki fait taire un cheikh islamiste insultant et sexiste, la scène fait le tour du monde et le monde entier applaudit.

Mais cela est loin d’être la règle et la tendance générale dans les médias reste la banalisation, voire la normalisation de cet état des choses. Pire encore, certains journalistes en rigolent ou alimentent la polémique : en mars dernier, alors qu'une députée démissionnaire se faisait insulter avec des connotations sexuelles par un député aouniste dans le cadre d'un talk-show sur une chaîne de télévision locale , l'animateur s’était esclaffé à l’antenne au lieu de directement défendre son invitée et ex-consœur.

Pour Widad Jabrouh, journaliste et coordinatrice de projet au sein de la Fonfation SKeyes, « les journalistes doivent répondent directement à ce genre de propos contre les femmes, que ce soit lors de la conférence de presse de M. Mikati ou sur un plateau télé. » Même son de cloche chez Nada Anid : « Il faut que les journalistes réagissent et que les femmes se solidarisent par-delà leur appartenance politique ».

« Avec Fe-Male, nous travaillons énormément pour former les journalistes et les médias à la sensibilisation sur les questions de genre », indique Hayat Mirshad. « Il est essentiel que les journalistes sachent comment réagir et répondre à ce genre de propos, et que les médias établissent des protocoles pour prévenir ce genre de situation », dit-elle. « Les journalistes doivent réagir, il ne faut pas se laisser faire », souligne May Chidiac.

La condition des femmes est certes meilleure en 2021 qu’au siècle dernier ou que dans certains pays-voisins. Mais elle ne pourra pas évoluer tant que ses représentants restent figés dans l’archaïsme et le passé. La société et ses représentant doivent évoluer et se moderniser de sorte que les femmes, et avec elles d'autres catégories sociales puissent s’émanciper et prendre part de plain-pied au débat public. La naissance d'un nouveau Liban démocratique en est certainement tributaire.
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