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Ce 15 avril est sorti enfin, sur les écrans français, le premier long métrage du Libanais Jimmy Keyrouz, "Le Dernier Piano", sélectionné pour le festival de Cannes de 2020 et candidat officiel du Liban aux Oscars 2021. Pour ce film de musique et de guerre, le réalisateur a sollicité son compatriote le célèbre compositeur Gabriel Yared.

Dans un fracas de bois, d’ébène et d’ivoire, la rafale du jihadiste en treillis noir arrache, à bout portant, un dernier accord au délicat instrument. À terre, dans ce vaste sous-sol où le voisinage cherche à s’abriter des combats et des inquisiteurs de Daech, le pianiste voit ses espoirs voler en éclat. Espoir de s’évader, le temps d’un concerto, de l’absurde horreur de la guerre civile, espoir d’exorciser par ses notes les peurs et les douleurs de ses proches, espoir de fuite et d’un avenir de concertiste international, car Karim allait vendre son piano pour s’acheter le passage en Europe. Il entreprend alors de reconstruire touche à touche l’objet de tous ses espoirs, jusqu’à aller chercher, dans un voyage au bout de l’enfer, un instrument rescapé pour en récupérer les pièces.

Émouvant, palpitant, percutant jusqu’à la chute, Le Dernier Piano, premier long métrage du jeune réalisateur libanais Jimmy Keyrouz, est un film d’action dans le sens existentiel qu’André Malraux entendait quand il écrivait «mourir est passivité, mais se tuer est acte». Au milieu des ombres qui ne cherchent qu’à survivre et le désapprouvent, Karim existe par la volonté parfois insensée de maintenir en vie ses espoirs contenus dans le piano martyrisé. «La vie sans espoir est étouffante», confiera-t-il plus tard. «Les interdits, la guerre, tout est contre lui. Mais il essaie de garder ses rêves vivants et de rappeler à ceux qui l’entourent qu’il reste de belles choses pour lesquelles se battre, et l’une des plus merveilleuses n’est-elle pas la musique?», explique Jimmy Keyrouz, pianiste lui-même.

L’interdiction de la musique par l’État islamique


Étudiant en réalisation de film à l’université new-yorkaise Columbia en 2014, le Libanais garde alors les yeux rivés sur la guerre de Syrie et voit dans l’interdiction de la musique par l’État islamique un symbole de sa sauvagerie et de son absurdité. Face aux sauvages, des musiciens résistent, instruments au poing, comme Aeham Ahmad, le pianiste de Yarmouk, et Karim Wasfi, le «Rostropovitch irakien», et lui inspirent un premier court métrage remarqué en 2016, Nocturne in Black, qui met déjà en scène un pianiste dans une ville contrôlée par Daech.

Quelques années plus tard, le réalisateur mélomane séduit son compatriote le compositeur Gabriel Yared, son aîné auteur des bandes originales de dizaines de classiques du cinéma international: «Nocturne in Black m’avait particulièrement frappé par la qualité de l’image, l’intelligence de la mise en scène et le sujet, et l’harmonie entre nous a été parfaite, ce qui est essentiel pour moi, se rappelle le compositeur. Le thème du Dernier Piano n’est pas tant la musique que son interdiction violente sur une terre livrée à la guerre: comment peut-on imaginer interdire la musique, cet art qui nous vient de l’éther et donne en retour des ailes à nos esprits?»

La réalisation, en pleine crise sanitaire, a exigé quelques aménagements technologiques, Yared composant à Paris, pour son orchestre à Londres, sur des scènes que lui envoyait Keyrouz de Beyrouth. Les images, tournées en décors réels au Liban mais aussi, pendant huit jours, dans Mossoul dévastée, reflètent en clair obscur l’ambiance apocalyptique des photos et des vidéos diffusées depuis l’Irak et la Syrie en guerre. Le bruit de bombes et des kalachs s'impose presque totalement quand le piano est réduit au silence. La musique de Yared, discrète, vient souligner les scènes les plus poignantes, comme les paroles des protagonistes sont rares, limitées aux mots justes quand rugit la guerre.

Autre révélation de ce premier long métrage, l’acteur Tarek Yaacoub incarne un Karim à la fois fragile et fort, calme et tendu, téméraire et pacifique qui se précipite vers les pires dangers pour mieux pouvoir les fuir. «Tant de gens sont dans la même situation que Karim et se battent pour garder le peu d'espoir qui leur reste, commente le réalisateur Jimmy Keyrouz. J’ai d’ailleurs laissé le flou sur le pays où se déroule cette histoire car elle aurait pu avoir lieu en Syrie comme en Irak, mais aussi en Afghanistan où les talibans de retour ont interdits la musique et le cinéma, et en Ukraine où la guerre est en train de détruire tant d’ambitions et de rêves.»
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