Au Metn, une bataille souverainiste impliquant deux binômes
C’est là, au Metn, qu'une bataille cruciale se joue, entre les deux listes souverainistes et les deux listes des partis et factions loyalistes. Le Hezbollah, presque absent de cette région, surveillera de très près le cours des événements. Entre le Metn (Mont-Liban II) et Jbeil-Kesrouan (Mont-Liban I), il y va de sa couverture chrétienne.

Parmi les six listes en lice aux élections de la circonscription du Metn (Mont-Liban II) le 15 mai prochain, quatre s’affronteront dans une bataille à caractère souverainiste. Il s’agit de deux coalitions de l’opposition face à deux autres affiliées au régime en place. Du côté souverainiste, la première liste, Metn-Liberté, allie les Forces libanaises, le Parti national libéral et des indépendants, tandis que la seconde, À bord du Changement, regroupe des indépendants autour du parti Kataëb.

Face à eux, deux autres listes représentent, l’une le régime actuel, l’autre des éléments qui lui sont proches ou alliés. La première, appelée Nous étions et nous resterons pour le Metn, est celle du Courant patriotique libre et inclut Elias Bou Saab, proche du Parti syrien national social (PSNS). La seconde, sous le nom de Ensemble plus forts, est conduite par Michel Elias Murr et le parti Tachnag, et comprend également un membre du PSNS, Antoine Khalil.

C’est là que la bataille cruciale se situe, entre les deux listes souverainistes et les deux listes des factions loyalistes. Le Hezbollah, presque absent de cette région, surveillera de très près le cours des événements. Entre le Metn (Mont-Liban II) et Jbeil-Kesrouan (Mont-Liban I), il y va de sa couverture chrétienne.

A côté de ces deux binômes qui s’affrontent dans un enjeu à envergure nationale, deux autres listes sont fortement présentes: Metniotes souverains, qui se situe à droite, et une autre à tendance clairement gauchiste, Vers l’État, composée par Madinati et Citoyennes et citoyens dans un État de Charbel Nahas, celui-là même qui avait refusé l’enquête internationale sur l’explosion du port de Beyrouth. La première liste comprend le candidat Alfred Riachi avec un programme fédéral, tandis que la seconde, conduite par Lucien Bourjeily, appelle vigoureusement à l’expropriation des biens de l’Église et à leur mise en vente.

Un enjeu national

Dans cette circonscription où 171.000 personnes sur les 183.000 inscrites sont chrétiennes, l’enjeu est crucial et hautement symbolique pour le CPL. Si certains sièges semblent, jusqu’à un certain degré, assurés, tels que ceux de Samy Gemayel et Elias Hankache pour les Kataeb, et ceux d’Ibrahim Kanaan et Elias Bou Saab du CPL, d’autres font déjà l’objet de batailles acharnées.

Ainsi, sur les 8 sièges de cette circonscription, dont 4 maronites, 2 grecs-orthodoxes, 1 grec-catholique et 1 arménien-orthodoxe, c’est le siège grec-catholique qui semble susciter le plus d’antagonisme. L’enjeu revêt un caractère hautement symbolique pour le CPL et le camp du 8 Mars qui ne peuvent perdre ce siège face au candidat souverainiste des FL, Melhem Riachi. Tout est mis en œuvre par les aounistes et leurs alliés afin de faire chuter l’ancien ministre des FL en donnant le maximum de chances à Edgar Maalouf du CPL.

Comparaison avec 2018

Les élections de 2018 avaient amené au Parlement Michel Murr et Elias Bou Saab, grecs-orthodoxes, Samy Gemayel, Elie Hankache, Ibrahim Kanaan et Eddy Abillamaa, maronites, Edgard Maalouf, grec-catholique, et Hagop Pakradounian, arménien-orthodoxe. Bien qu’on ne puisse pas faire confiance aux statistiques, étant donné la réputation des instituts de sondages au Liban, nous pouvons néanmoins tenter des prévisions approximatives concernant les coefficients électoraux. Les Kataeb pourraient obtenir entre 2 et 3 sièges, les FL entre 1 et 2, le CPL entre 2 et 3, et enfin 1 seul pour le Tachnag-Murr. Il faut noter qu’aujourd’hui, les indépendants sont plus nombreux qu’en 2018 et que la société civile est plus mobilisée.

L’émigration drastique qui a eu lieu depuis 2019, surtout après l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, a également transformé le paysage démographique. Ces changements peuvent être plus marqués par endroits, notamment dans le cas de Hagop Pakradounian, puisqu’un très grand nombre d’émigrés arméniens ne se sont pas inscrits sur les listes de vote à l’étranger.

Par ailleurs, on ne peut passer sous silence l’antagonisme qui se dessine au sein du CPL entre Gebran Bassil et Ibrahim Kanaan. Ainsi, si ce dernier n’assure pas le nombre suffisant de voix aounistes, il laisserait plus de chances à Paul Nacouzi de la liste des Metniotes souverains.

Rappelons que la circonscription du Metn (Mont-Liban II) comprend 183.441 inscrits. Ils se répartissent entre plus de 171.000 chrétiens (dont 82.000 maronites), 5.713 chiites, 3.896 sunnites, et 2.566 druzes. Notons aussi que 13.594 personnes de ce total de 183.441 sont inscrites à l’étranger.

Présentation des listes

Metn-Liberté est formée par les FL, le PNL et des indépendants.


Elle présente pour le siège grec-catholique Melhem Riachi, ancien ministre de l’Information; pour les sièges maronites, Razi el-Hage président du Mouvement des Indépendants, Rachid Abou Jaoudé représentant du PNL au Metn, Farid Zeinoun et Selim el-Jalkh. La coalition comprend également Hani Saliba, financier d’Afrique grec-orthodoxe, et Ara Bardakjian, médecin arménien-orthodoxe.

À bord du changement est formée par les Kataeb et des indépendants.

Elle présente pour les sièges maronites Samy Gemayel et Elias Hankache, tous deux députés Kataëb démissionnaires, le journaliste Simon Abou Fadel, rédacteur en chef du site d’information Alkalima Online, et Mona Sukkar, journaliste. La coalition comprend également Rima Njeim, grec-catholique, présentatrice à Sawt El Ghad, Samir Saliba, grec-orthodoxe, activiste au sein de ACT, et Krikor Mardikian, arménien-orthodoxe.

Nous étions et nous resterons pour le Metn est formée par le CPL.

Cette liste présente pour les sièges maronites Ibrahim Kanaan, député actuel, et Nasri Lahoud, fils de l’ancien président du tribunal militaire. Le siège grec-orthodoxe est brigué par Elias Bou Saab, proche du PSNS et ex-ministre de l’Éducation et de la Défense. Pour le poste grec-catholique, la liste propose Edgard Maalouf, neveu du général homonyme. Enfin Ricardo Malakian est le candidat arménien-orthodoxe.

Ensemble plus forts est formée par le Tachnag et Michel Elias Murr.

Michel Elias Murr, fils de l’ancien ministre de la Défense Elias Murr, brigue le siège grec-orthodoxe, alors que Hagop Pakradounian, secrétaire général du parti Tachnag, se présente pour le siège arménien-orthodoxe. Pour les sièges maronites, nous retrouvons Antoine Khalil du PSNS, Randa Abboud, notaire, Maroun Abou Diwan et Maroun Rizkallah. La liste comprend également Joyce Jammal, grecque-orthodoxe, et Léa Bou Chaaya, grecque-catholique.

Metniotes souverains est formée d’indépendants. 

Elle présente pour les sièges maronites Romanos Raad, ambassadeur au Liban de la Commission internationale des droits de l’homme, Paul Nacouzi, ex-Kataeb qui était proche de feu Pierre Amine Gemayel, et Wael Sakr.  Les autres candidats sont Chadi Bechara, grec-orthodoxe, Alfred Riachi, grec-catholique, secrétaire général du Congrès permanent pour le Fédéralisme, et Shant Sarafian, arménien-orthodoxe. Charbel Abou Jaoudé, architecte maronite, porteur d’un projet pour la reconstruction du port de Beyrouth, a été rajouté à cette liste après le délai légal par un décret spécial ratifié par le Conseil d’État le 6 avril 2022.

Vers l’État est formée par Citoyennes et Citoyens dans un État, Madinati et des indépendants.

Elle est menée par le grec-catholique Lucien Bourjeily, ancien aouniste et révolutionnaire de gauche. Elle présente pour les sièges maronites, Jad Ghosn ex-présentateur de OTV et New TV, Myriam Jabre et Verena Amil. La candidate grecque-orthodoxe est Shaden Maalouf.

Une bataille décisive

L’importance de ces élections est soulignée par Charles Jabbour, responsable de la communication du parti des FL, qui rappelle l’avertissement prémonitoire du patriarche Sfeir en 2009. À l’époque, le chef de l’Église maronite avait prévenu que «si le poids principal venait à basculer du camp du 14 Mars à celui du 8 Mars, le Liban courrait de grands dangers et endurerait des catastrophes». C’est effectivement ce qui s’est passé avec le bouleversement opéré par Michel Aoun, précisément au Metn et au Kesrouan, et qui a précipité le Liban dans la situation infernale dont nous souffrons aujourd’hui.

La bataille du Metn, comme celle de tout le Mont-Liban, s’avère donc décisive, rappelle Charles Jabbour, puisqu’il faudra corriger le basculement que craignait le patriarche Sfeir et ramener l’électorat vers les valeurs et principes du 14 Mars, que sont la liberté, la souveraineté, l’indépendance réelle et la neutralité qui est au cœur du programme du candidat Melhem Riachi. Ces élections feront donc office d’une sorte de référendum autour de l’identité du Liban ouvert sur le monde contemporain ou étouffé dans l’axe fondamentaliste, totalitaire et impérial iranien.
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