©La candidate RN s'entraîne avec une sorte de clone de Macron avant le match retour du 20 avril, explique N. Baygert. (Photo : AFP)
L’expert en communication politique Nicolas Baygert (ULB/Sciences Po Paris) a répondu aux questions d’Ici Beyrouth relatives à l’entre-deux tours de l’élection présidentielle française qui aura lieu ce mercredi 20 avril. Selon l’analyste, «Marine Le Pen a eu une bonne inspiration en choisissant très tôt le thème du pouvoir d’achat».
Avant le débat du second tour qui aura lieu ce mercredi soir, selon vous quels sont les points forts et les points faibles de chacun des candidats ?
Nicolas Baygert : Du côté d’Emmanuel Macron, on s’attend à une autre opposante que la Marine Le Pen de 2017. Elle s’est retirée depuis 48 heures pour se mettre au vert. Elle a choisi d’utiliser ce qu’on appelle en boxe un sparring partner, une sorte de clone de Macron pour s’entraîner face à une personne qui comporte des traits qui lui ressemblent.
Pour la première fois, Le Pen arrive dans le débat avec un avantage considérable ; on sait que les sondages sont plus serrés qu’il y a cinq ans, mais aussi tout le processus de dédiabolisation qui a abouti à la surprise du chef, qui était Éric Zemmour : cela lui a permis de se normaliser encore davantage.
Elle va probablement vouloir présenter Emmanuel Macron comme le représentant du chaos, comme celui qui sème la discorde et insister sur son bilan, des Gilets jaunes au Covid. Elle est donc mieux armée. Elle n’a plus un candidat frais avec un projet politique totalement innovant, elle est face à un président en exercice.
Ce débat à venir me fait penser à celui de Valery Giscard d’Estaing et de François Mitterrand, lorsqu’ils se trouvaient face-à-face pour la seconde fois, d’un côté Mitterrand était présenté comme l’homme du passé, et Mitterrand lui répondit «vous êtes l’homme du passif». Quelqu’un qui sort d’un mandat compliqué a davantage de points faibles.
Quant à Emmanuel Macron, il a l’opposante qu’il voulait. Son rêve était d’avoir un match retour face à une Marine Le Pen qui s’était totalement effondrée en direct. C’est une Le Pen qui vient de l’extrême droite, Macron peut jouer cette carte-là. D’ailleurs, on le voit avec cette stratégie de la rediabolisation de l’entre-deux tours alors que pendant des années on l’avait épargnée, on ne l’avait pas attaquée sur son ancrage idéologique. En quinze jours ce pari est risqué. Macron a l’avantage d’être sorti favori du premier tour, là aussi il y a un degré de légitimité qui le place devant Le Pen. Elle devra prendre des risques et attaquer.
En termes de communication politique, Marine Le Pen s’inspire-t-elle de la campagne de Donald Trump de 2016 ?
Il y a des points communs dans la communication de Marine Le Pen et celle de Donald Trump. C’est, d’une part, l’hostilité des médias qui va être instrumentalisée par la candidate du RN, en disant «l’ensemble du système médiatico-politique est contre moi, je suis l’unique alternative, j’incarne une candidature de rupture». Cela peut avoir un impact, y compris à gauche dans les soutiens de Jean-Luc Mélenchon qui veulent cette rupture.
Ce qui les distingue, c’est que Donald Trump avait le Parti républicain derrière lui, qui n’est pas un parti d’extrême droite, c’est un parti institutionnalisé. Il y avait cette légitimité d’avoir une famille politique respectable qui soutenait sa candidature.
Marine Le Pen ne peut pas profiter de cette assise, le RN est simplement le nouveau vernis mis sur le FN, avec une série de départs de poids lourds du parti au profit d’Éric Zemmour.
Trump était une sorte d’ovni politique avec une candidature populiste. Marine Le Pen se revendique du peuple, elle ne fait pas campagne à gauche ou à droite. Ces éléments font penser à la campagne de Donald Trump de 2016.
Que pensez-vous des codes utilisés lors de cette campagne présidentielle ?
La France a en quelque sorte raté le rendez-vous de sa campagne présidentielle. On n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Ce qui m’a marqué, ce sont les dispositifs de médiatisation des candidats, c’est-à-dire que contrairement à ce qui fait partie du folklore républicain, il n’y avait pas ces grands débats qui opposaient les candidats.
On a vu des productions d’infotainment, je pense notamment à l’émission de Cyril Hanouna, qui ont permis de connaître les candidats et de les faire sortir de leur zone de confort. Il y a eu une succession de séquences de stand-up sur TF1 et France 2, avec des candidats qui n’étaient pas dérangés par les questions des journalistes. C’est une campagne à fleurets mouchetés.
Il y a un appauvrissement du débat public. On le voit dans les slogans, le « Nous tous » de Macron, on ne comprend pas bien ce que ça veut dire, de même que le « Pour tous les Français » de Marine Le Pen, cette volonté de rassembler ne nous dit pas grand-chose.
On sait qu’il faut imposer un thème dans une campagne et là, Marine Le Pen a eu une bonne inspiration en choisissant le pouvoir d’achat très tôt, il y a une forme de légitimité, contrairement aux thèmes traditionnels de l’extrême droite que sont l’immigration et l’insécurité.
Le président a, lui, choisi d’entrer en campagne très tardivement, en jouant jusqu’au bout sa stature présidentielle qu’il a voulue préserver. C’est maintenant qu’on le voit aller au contact des Français et se mettre en difficulté en allant rencontrer un électorat plutôt favorable à Marine Le Pen.
En termes de codes, il y a, d’une part, la campagne sur les réseaux sociaux, où des candidats comme Eric Zemmour ou Jean-Luc Mélenchon ont vraiment bien compris cet écosystème numérique en touchant un public jeune dépolitisé, et cela a plutôt bien fonctionné. En période post-Covid, on a vu que les meetings ont permis à certains candidats de s’affirmer et à d’autres de totalement sombrer, je pense notamment à Valérie Pécresse.
Anne-Sophie Lapix a été écartée de la présentation du débat de l’entre-deux-tours par Marine Le Pen et Emmanuel Macron, cette pratique est-elle habituelle ?
Le choix des présentateurs relève toujours d’une négociation. Vous avez les équipes de campagne des deux finalistes qui vont mettre leurs conditions sur la table, qui vont imposer ou exclure des noms. Il n’y a rien de neuf là-dedans. Cela était déjà le cas auparavant. Il y a quelques éléments qui ont fuité, notamment le cas d’Anne-Sophie Lapix rejetée par l’équipe de Marine Le Pen, qui estimait qu’elle n’était pas capable de montrer une forme d’impartialité à l’écran, sa communication non verbale allait jouer en défaveur de la candidature du RN.
Le choix du réalisateur est assez étonnant puisqu’il s’agit d’un réalisateur d’émissions de variété, notamment pour l’animateur Arthur sur TF1. Quant au duo d’animateurs, aussi bien Marine Le Pen qu’Emmanuel Macron ont l’habitude de faire face à Gilles Bouleau et Léa Salamé ; il y a des réflexes et une routine qui ont pu se mettre en place au fil des ans.
La durée, on la connait aussi, elle sera d’environ 2 heures et ils seront probablement assis. Tout cela est négocié, y compris la température. Il y a des personnalités qui préfèrent des plateaux frais pour éviter de transpirer ; on sait que cela a été fatal au président Nixon qui faisait face à John Kennedy. Tous ces petits détails sont murement réfléchis et font l’objet d’une âpre discussion.
Avant le débat du second tour qui aura lieu ce mercredi soir, selon vous quels sont les points forts et les points faibles de chacun des candidats ?
Nicolas Baygert : Du côté d’Emmanuel Macron, on s’attend à une autre opposante que la Marine Le Pen de 2017. Elle s’est retirée depuis 48 heures pour se mettre au vert. Elle a choisi d’utiliser ce qu’on appelle en boxe un sparring partner, une sorte de clone de Macron pour s’entraîner face à une personne qui comporte des traits qui lui ressemblent.
Pour la première fois, Le Pen arrive dans le débat avec un avantage considérable ; on sait que les sondages sont plus serrés qu’il y a cinq ans, mais aussi tout le processus de dédiabolisation qui a abouti à la surprise du chef, qui était Éric Zemmour : cela lui a permis de se normaliser encore davantage.
Elle va probablement vouloir présenter Emmanuel Macron comme le représentant du chaos, comme celui qui sème la discorde et insister sur son bilan, des Gilets jaunes au Covid. Elle est donc mieux armée. Elle n’a plus un candidat frais avec un projet politique totalement innovant, elle est face à un président en exercice.
Ce débat à venir me fait penser à celui de Valery Giscard d’Estaing et de François Mitterrand, lorsqu’ils se trouvaient face-à-face pour la seconde fois, d’un côté Mitterrand était présenté comme l’homme du passé, et Mitterrand lui répondit «vous êtes l’homme du passif». Quelqu’un qui sort d’un mandat compliqué a davantage de points faibles.
Quant à Emmanuel Macron, il a l’opposante qu’il voulait. Son rêve était d’avoir un match retour face à une Marine Le Pen qui s’était totalement effondrée en direct. C’est une Le Pen qui vient de l’extrême droite, Macron peut jouer cette carte-là. D’ailleurs, on le voit avec cette stratégie de la rediabolisation de l’entre-deux tours alors que pendant des années on l’avait épargnée, on ne l’avait pas attaquée sur son ancrage idéologique. En quinze jours ce pari est risqué. Macron a l’avantage d’être sorti favori du premier tour, là aussi il y a un degré de légitimité qui le place devant Le Pen. Elle devra prendre des risques et attaquer.
En termes de communication politique, Marine Le Pen s’inspire-t-elle de la campagne de Donald Trump de 2016 ?
Il y a des points communs dans la communication de Marine Le Pen et celle de Donald Trump. C’est, d’une part, l’hostilité des médias qui va être instrumentalisée par la candidate du RN, en disant «l’ensemble du système médiatico-politique est contre moi, je suis l’unique alternative, j’incarne une candidature de rupture». Cela peut avoir un impact, y compris à gauche dans les soutiens de Jean-Luc Mélenchon qui veulent cette rupture.
Ce qui les distingue, c’est que Donald Trump avait le Parti républicain derrière lui, qui n’est pas un parti d’extrême droite, c’est un parti institutionnalisé. Il y avait cette légitimité d’avoir une famille politique respectable qui soutenait sa candidature.
Marine Le Pen ne peut pas profiter de cette assise, le RN est simplement le nouveau vernis mis sur le FN, avec une série de départs de poids lourds du parti au profit d’Éric Zemmour.
Trump était une sorte d’ovni politique avec une candidature populiste. Marine Le Pen se revendique du peuple, elle ne fait pas campagne à gauche ou à droite. Ces éléments font penser à la campagne de Donald Trump de 2016.
Que pensez-vous des codes utilisés lors de cette campagne présidentielle ?
La France a en quelque sorte raté le rendez-vous de sa campagne présidentielle. On n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Ce qui m’a marqué, ce sont les dispositifs de médiatisation des candidats, c’est-à-dire que contrairement à ce qui fait partie du folklore républicain, il n’y avait pas ces grands débats qui opposaient les candidats.
On a vu des productions d’infotainment, je pense notamment à l’émission de Cyril Hanouna, qui ont permis de connaître les candidats et de les faire sortir de leur zone de confort. Il y a eu une succession de séquences de stand-up sur TF1 et France 2, avec des candidats qui n’étaient pas dérangés par les questions des journalistes. C’est une campagne à fleurets mouchetés.
Il y a un appauvrissement du débat public. On le voit dans les slogans, le « Nous tous » de Macron, on ne comprend pas bien ce que ça veut dire, de même que le « Pour tous les Français » de Marine Le Pen, cette volonté de rassembler ne nous dit pas grand-chose.
On sait qu’il faut imposer un thème dans une campagne et là, Marine Le Pen a eu une bonne inspiration en choisissant le pouvoir d’achat très tôt, il y a une forme de légitimité, contrairement aux thèmes traditionnels de l’extrême droite que sont l’immigration et l’insécurité.
Le président a, lui, choisi d’entrer en campagne très tardivement, en jouant jusqu’au bout sa stature présidentielle qu’il a voulue préserver. C’est maintenant qu’on le voit aller au contact des Français et se mettre en difficulté en allant rencontrer un électorat plutôt favorable à Marine Le Pen.
En termes de codes, il y a, d’une part, la campagne sur les réseaux sociaux, où des candidats comme Eric Zemmour ou Jean-Luc Mélenchon ont vraiment bien compris cet écosystème numérique en touchant un public jeune dépolitisé, et cela a plutôt bien fonctionné. En période post-Covid, on a vu que les meetings ont permis à certains candidats de s’affirmer et à d’autres de totalement sombrer, je pense notamment à Valérie Pécresse.
Anne-Sophie Lapix a été écartée de la présentation du débat de l’entre-deux-tours par Marine Le Pen et Emmanuel Macron, cette pratique est-elle habituelle ?
Le choix des présentateurs relève toujours d’une négociation. Vous avez les équipes de campagne des deux finalistes qui vont mettre leurs conditions sur la table, qui vont imposer ou exclure des noms. Il n’y a rien de neuf là-dedans. Cela était déjà le cas auparavant. Il y a quelques éléments qui ont fuité, notamment le cas d’Anne-Sophie Lapix rejetée par l’équipe de Marine Le Pen, qui estimait qu’elle n’était pas capable de montrer une forme d’impartialité à l’écran, sa communication non verbale allait jouer en défaveur de la candidature du RN.
Le choix du réalisateur est assez étonnant puisqu’il s’agit d’un réalisateur d’émissions de variété, notamment pour l’animateur Arthur sur TF1. Quant au duo d’animateurs, aussi bien Marine Le Pen qu’Emmanuel Macron ont l’habitude de faire face à Gilles Bouleau et Léa Salamé ; il y a des réflexes et une routine qui ont pu se mettre en place au fil des ans.
La durée, on la connait aussi, elle sera d’environ 2 heures et ils seront probablement assis. Tout cela est négocié, y compris la température. Il y a des personnalités qui préfèrent des plateaux frais pour éviter de transpirer ; on sait que cela a été fatal au président Nixon qui faisait face à John Kennedy. Tous ces petits détails sont murement réfléchis et font l’objet d’une âpre discussion.
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