La crise politico-économique qui frappe durablement le Liban a provoqué un véritable exode de population. Si certains sont contraints à l’exil, d’autres estiment qu’il est encore possible de résister – ou de survivre – dans cet environnement devenu hostile. Selon l’Observatoire de la crise au Liban de l’AUB, le pays est entré dans sa troisième grande vague d’émigration. Il s’agit de la vague la plus importante de l’histoire du pays après celle survenue entre la fin du XIXème siècle et la fin de la Première Guerre mondiale, et celle durant la guerre civile (1975-1990). Parallèlement, les prix des produits de première nécessité ont augmenté de 350% depuis début 2020, selon le récent rapport de l’AUB. Un contexte morose qui a jeté des milliers de libanais sur les routes de l’exil.
Le directeur générale de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, de passage au Liban à la fin du mois d’août, s’est fendu d’un communiqué alarmiste sur la situation au Liban : « La fuite des cerveaux s’opère à une vitesse vertigineuse, près de 40% des médecins et 30% des infirmiers ont quitté le pays de manière permanente ou temporaire ». Un constat partagé par le Dr Mario Njeim, cardiologue et fondateur du Cardiac Catether Ablation center de l’Hôtel-Dieu de France, qui poursuit désormais ses activités à Abou Dhabi. « Honnêtement, il faut qu’il y ait avant tout une solution politique pour réellement convaincre les médecins qui ont choisi de quitter le Liban de revenir s’y établir », assène-t-il. « J’ai passé neuf ans aux États-Unis à faire ma spécialité pour revenir ensuite au Liban pour ma sous-spécialité en rythmologie invasive à l’HDF. Malheureusement, avec la situation, j’ai dû me déplacer à nouveau ».
Selon l’agence onusienne, les pénuries de fuel forcent les hôpitaux à fonctionner à 50% de leur capacité, entrainant notamment des annulations d’opérations à cœur ouvert. Les traitements de base se font rares en raison de la crise du dollar, ce qui limite les importations en médicaments et en matériel médical.
Rester au Liban : « un suicide professionnel »
Pour le Dr Njeim, la dimension psychologique n’est pas à négliger : « On a ce sentiment de culpabilité d’avoir quitté le Liban au moment où le pays a besoin de nous. Cela me déchire. Mais en fin de compte c’est le Liban qui nous a mis à la porte ! C’est-à-dire les pompiers pyromanes qui dominent la classe politique libanaise. On est arrivé à un moment où on ne peut plus pratiquer notre profession de manière optimale, notre potentiel de développement est mis en standby. Le seul fait de rester au Liban serait un suicide professionnel ».
Un constat amère et en demi-teinte qui témoigne des nombreux départs à contrecœurs ces derniers mois. Johny Hajj, étudiant en médecine vétérinaire, a lui aussi fait le choix de quitter son pays pour la Lituanie. « J’ai manifesté lors de la thaoura en 2019 avec un grand espoir de changement. Jusqu’au moment où les forces de l’ordre ont commencé à nous brutaliser et que la situation économique se détériorait davantage. Je comprends les difficultés actuelles mais contrairement aux précédents conflits délimités dans le temps, nous ne savons pas quand cette crise prendra fin. Vivre dans cette incertitude est quelque chose d’angoissant. J’ai préféré partir », explique-t-il. Faisant écho aux propos du cardiologue, et malgré l’écart de génération, son constat est le même : « à la fin, on se rend compte qu’on a le choix entre perdre la tête et continuer à se battre pour sauver le pays, ou bien décider de ne pas gâcher son futur et partir. Mes parents et grands-parents ont renoncé à leurs rêves pour se battre pour le Liban et n’ont jusqu’à présent rien reçu en retour. Pourquoi devrai-je emprunter la même voie ? ».
Firas*, la trentaine, était manager dans un grande entreprise libanaise. Récemment exilé aux Pays-Bas, il est reparti de zéro. « Au Liban tout est politisé, surtout dans mon milieu, je ne pouvais plus évoluer librement dans mon parcours professionnel. Il y a eu une succession de frustrations et d’obstacles. On m’a volé ma voiture et les autorités n’ont rien fait pour la récupérer malgré leurs informations. Puis il y a eu la terrible explosion du 4 août, à proximité de mon lieu de travail… ». Son nouveau pays hôte lui offre également des droits inexistants au Liban. « En ce qui concerne ma liberté, les Pays-Bas n’ont évidemment rien à voir avec le Liban. Je peux vivre ma vie de couple avec mon partenaire sans le moindre problème », ajoute-t-il.
Un effondrement inévitable
L’impact des départs massifs n’est pas visible qu’au niveau individuel, mais collectif, les secteurs étant fragilisés en leur sein. « Chaque médecin qui quitte, ce n’est pas juste un médecin de plus : c’est parfois toute une sous-spécialité qui disparait du Liban. C’est toute une équipe qui perd son expertise, ce sont des années de travail réduites à néant. Il faudra dix à vingt ans pour remettre sur pied ce type de spécialité médicale », constate le docteur.
Le cardiologue rappelle également un point important justifiant les départs actuels, et ce afin d’éviter le déclassement de l’élite libanaise au long terme : « Il serait néfaste pour le Liban que la jeunesse fraichement diplômée reste au pays. Car la science et la médecine requièrent une formation continue, une pratique des nouvelles technologies, ce que le Liban n’est plus en mesure d’offrir. Quitter le Liban, ce n’est pas seulement pour envoyer des donations au pays de l’extérieur, mais aussi pour continuer son développement personnel et revenir par la suite si l’occasion se présente ». Même son de cloche du côté de l’étudiant en médecine vétérinaire, pour qui « l’effort de la diaspora est essentiel pour le Liban. Mais que peut-elle faire contre les leaders actuels ? Faire des donations n’est pas une solution à long terme », fait remarquer Johny Hajj, ajoutant que « la situation actuelle trouve ses racines dans les personnes qui continuent à approuver les décideurs actuels ».
Selon le Dr Njeim, « il n’y aura pas de solution à long terme tant que la situation politico-économique restera défavorable. On espère que le nouveau gouvernement procurera quelques gestes palliatifs… », conclut le cardiologue. Pour l’heure, l’OMS s’est engagée à « continuer son travail immédiat de sauvetage au Liban, tout en planifiant aussi des stratégies sanitaires pour le long terme », a assuré M. Adhanom. « Ce n’est pas juste un exil mais une vie qui repart de zéro ici aux Pays-Bas, conclut Firas, comme un éternel recommencement ».
Le directeur générale de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, de passage au Liban à la fin du mois d’août, s’est fendu d’un communiqué alarmiste sur la situation au Liban : « La fuite des cerveaux s’opère à une vitesse vertigineuse, près de 40% des médecins et 30% des infirmiers ont quitté le pays de manière permanente ou temporaire ». Un constat partagé par le Dr Mario Njeim, cardiologue et fondateur du Cardiac Catether Ablation center de l’Hôtel-Dieu de France, qui poursuit désormais ses activités à Abou Dhabi. « Honnêtement, il faut qu’il y ait avant tout une solution politique pour réellement convaincre les médecins qui ont choisi de quitter le Liban de revenir s’y établir », assène-t-il. « J’ai passé neuf ans aux États-Unis à faire ma spécialité pour revenir ensuite au Liban pour ma sous-spécialité en rythmologie invasive à l’HDF. Malheureusement, avec la situation, j’ai dû me déplacer à nouveau ».
Selon l’agence onusienne, les pénuries de fuel forcent les hôpitaux à fonctionner à 50% de leur capacité, entrainant notamment des annulations d’opérations à cœur ouvert. Les traitements de base se font rares en raison de la crise du dollar, ce qui limite les importations en médicaments et en matériel médical.
Rester au Liban : « un suicide professionnel »
Pour le Dr Njeim, la dimension psychologique n’est pas à négliger : « On a ce sentiment de culpabilité d’avoir quitté le Liban au moment où le pays a besoin de nous. Cela me déchire. Mais en fin de compte c’est le Liban qui nous a mis à la porte ! C’est-à-dire les pompiers pyromanes qui dominent la classe politique libanaise. On est arrivé à un moment où on ne peut plus pratiquer notre profession de manière optimale, notre potentiel de développement est mis en standby. Le seul fait de rester au Liban serait un suicide professionnel ».
Un constat amère et en demi-teinte qui témoigne des nombreux départs à contrecœurs ces derniers mois. Johny Hajj, étudiant en médecine vétérinaire, a lui aussi fait le choix de quitter son pays pour la Lituanie. « J’ai manifesté lors de la thaoura en 2019 avec un grand espoir de changement. Jusqu’au moment où les forces de l’ordre ont commencé à nous brutaliser et que la situation économique se détériorait davantage. Je comprends les difficultés actuelles mais contrairement aux précédents conflits délimités dans le temps, nous ne savons pas quand cette crise prendra fin. Vivre dans cette incertitude est quelque chose d’angoissant. J’ai préféré partir », explique-t-il. Faisant écho aux propos du cardiologue, et malgré l’écart de génération, son constat est le même : « à la fin, on se rend compte qu’on a le choix entre perdre la tête et continuer à se battre pour sauver le pays, ou bien décider de ne pas gâcher son futur et partir. Mes parents et grands-parents ont renoncé à leurs rêves pour se battre pour le Liban et n’ont jusqu’à présent rien reçu en retour. Pourquoi devrai-je emprunter la même voie ? ».
Firas*, la trentaine, était manager dans un grande entreprise libanaise. Récemment exilé aux Pays-Bas, il est reparti de zéro. « Au Liban tout est politisé, surtout dans mon milieu, je ne pouvais plus évoluer librement dans mon parcours professionnel. Il y a eu une succession de frustrations et d’obstacles. On m’a volé ma voiture et les autorités n’ont rien fait pour la récupérer malgré leurs informations. Puis il y a eu la terrible explosion du 4 août, à proximité de mon lieu de travail… ». Son nouveau pays hôte lui offre également des droits inexistants au Liban. « En ce qui concerne ma liberté, les Pays-Bas n’ont évidemment rien à voir avec le Liban. Je peux vivre ma vie de couple avec mon partenaire sans le moindre problème », ajoute-t-il.
Un effondrement inévitable
L’impact des départs massifs n’est pas visible qu’au niveau individuel, mais collectif, les secteurs étant fragilisés en leur sein. « Chaque médecin qui quitte, ce n’est pas juste un médecin de plus : c’est parfois toute une sous-spécialité qui disparait du Liban. C’est toute une équipe qui perd son expertise, ce sont des années de travail réduites à néant. Il faudra dix à vingt ans pour remettre sur pied ce type de spécialité médicale », constate le docteur.
Le cardiologue rappelle également un point important justifiant les départs actuels, et ce afin d’éviter le déclassement de l’élite libanaise au long terme : « Il serait néfaste pour le Liban que la jeunesse fraichement diplômée reste au pays. Car la science et la médecine requièrent une formation continue, une pratique des nouvelles technologies, ce que le Liban n’est plus en mesure d’offrir. Quitter le Liban, ce n’est pas seulement pour envoyer des donations au pays de l’extérieur, mais aussi pour continuer son développement personnel et revenir par la suite si l’occasion se présente ». Même son de cloche du côté de l’étudiant en médecine vétérinaire, pour qui « l’effort de la diaspora est essentiel pour le Liban. Mais que peut-elle faire contre les leaders actuels ? Faire des donations n’est pas une solution à long terme », fait remarquer Johny Hajj, ajoutant que « la situation actuelle trouve ses racines dans les personnes qui continuent à approuver les décideurs actuels ».
Selon le Dr Njeim, « il n’y aura pas de solution à long terme tant que la situation politico-économique restera défavorable. On espère que le nouveau gouvernement procurera quelques gestes palliatifs… », conclut le cardiologue. Pour l’heure, l’OMS s’est engagée à « continuer son travail immédiat de sauvetage au Liban, tout en planifiant aussi des stratégies sanitaires pour le long terme », a assuré M. Adhanom. « Ce n’est pas juste un exil mais une vie qui repart de zéro ici aux Pays-Bas, conclut Firas, comme un éternel recommencement ».
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