A trois semaines des élections législatives libanaises, les alliances entre les nouveaux partis politiques opposés au pouvoir en place traduisent-elles une volonté réelle d’unité?
Deux ans et demi après le soulèvement du 17 octobre 2019, qui avait suscité tant d’espoir parmi la population libanaise, de nombreux citoyens attendent avec impatience les élections législatives de mai 2022 pour traduire dans les urnes la volonté de changement qui s’était manifestée dans la rue.
Lors des manifestations et des sit-in qui ont marqué la thaoura, des milliers de Libanais se sont rencontrés, ont protesté ensemble, ont dénoncé la classe politique corrompue, et ont même conduit l’ancien Premier ministre Saad Hariri à démissionner. Des groupes se sont formés, et d’autres qui étaient apparus ces dernières années ont activement participé au mouvement de contestation.
Cette effervescence a été applaudie par la communauté internationale, et par les expatriés libanais partout dans le monde. La première y a vu une opportunité de changement de la classe dirigeante, en place depuis trop longtemps et incapable de mener la moindre réforme ou de garantir les droits les plus élémentaires des citoyens. Les seconds ont exprimé l'espoir qu’elle donnera naissance à de nouveaux dirigeants, moins corrompus et plus efficaces que ceux dont l’incompétence pour certains, et l’allégeance à des pays étrangers pour d’autres, les avaient poussés à émigrer en quête d’une vie plus digne.
Alors que la thaoura s’essoufflait, en raison notamment de la crise économique, du Covid, et de la répression menée par certaines parties au pouvoir, les observateurs relevaient et critiquaient la non-émergence d’un leadership politique du mouvement de contestation et la dispersion des groupes et nouveaux partis.
Beaucoup de citoyens ont néanmoins continué d’y croire, s’attendant à ce que les élections législatives consacrent l’unité de l’opposition au pouvoir en place, et lui permettent de remporter assez de sièges pour changer le système.
Étude de 14 partis
Aujourd’hui, à deux semaines du vote des expatriés libanais les 6 et 8 mai, et à trois semaines du scrutin au Liban le 15 mai, ce pari est-il près d’être remporté? Les partis alternatifs mènent-ils bataille ensemble contre les partis traditionnels?
Cela n’est pas vraiment le cas. Les forces du changement ont bel et bien réussi quelques fois, grâce à des efforts louables, à s’unir contre la classe politique en place. Mais si elles ont formé des alliances dans certaines circonscriptions, elles sont souvent en compétition dans d’autres, ce qui risque de réduire les chances d'effectuer des percées dans les listes des partis traditionnels, beaucoup plus expérimentés et aguerris.
Cette impression d’éparpillement est confirmée par une étude menée par le centre de recherche libanais «The Policy Initiative», lancé il y a un an et dirigé par Sami Atallah.
La recherche sur les alliances entre les partis alternatifs menée par Georgia Dagher démontre, graphes à l’appui, une absence d’unité, avec quelques exceptions, entre 14 de ces groupes, qui présentent des candidats aux élections.
L’étude porte précisément sur des groupes actifs durant la contestation, et auparavant. Georgia Dagher explique que la recherche ne prend pas en compte les partis ou groupes politiques qui ont participé à la vie politique, et avec lesquels des groupes alternatifs sont alliés, comme les Kataëb, le Mouvement de l’indépendance de Michel Moawad, Project Watan de Nehmat Frem ou l’Organisation populaire nassérienne d’Oussama Saad.
Le Parti du dialogue national de Fouad Makhzoumi et le parti Sawa soutenu par Baha' Hariri n’ont pas non plus été pris en compte, contrairement au Bloc national et au Parti communiste libanais, qui sont alliés avec les forces du changement dans plusieurs régions.
Manque de cohérence
S’ils sont mieux organisés et plus connus qu’en 2018, lorsque certains d’entre eux avaient participé aux législatives, ces nouveaux partis se répartissent en deux catégories: ceux qui ont des programmes clairs et ceux qui présentent juste des candidats.
Georgia Dagher souligne que la recherche a démontré que les partis alternatifs ne sont pas vraiment unifiés, ce qui risque de disperser les voix des électeurs qui souhaitent le changement sur plus d’une liste, et réduire les chances de percer. Surtout que ce qui les sépare n’est pas toujours le programme, mais souvent la volonté d’avoir le plus grand nombre de candidats.
«On attendait mieux de leur part», estime la chercheuse, qui note que «ceux qui partagent les mêmes idées auraient pu s’allier».
En outre, alors que les partis traditionnels avaient mené la bataille de façon inconsistante en 2018, en s’alliant dans une région et en s’opposant dans d’autres, cette fois les alliances sont pratiquement les mêmes partout. C’est d’ailleurs ce qui ressort d’une autre étude menée par «The Policy initiative», dont les graphes sont plus difficiles à reproduire, et qui peut être consultée sur le compte Twitter de ce think tank. A quelques rares exceptions près, les alliances entre les partis traditionnels semblent cette fois plus claires et cohérentes que celles entre les partis alternatifs.
Autre constatation, note Georgia Dagher, «certains groupes ont plus d’amis que d’ennemis, alors que d’autre sont en rivalité avec presque tous les groupes».
L’appétit de CCDE
Le premier graphe reflète l’appétit de chaque groupe. Il apparait clairement qu’alors que la plupart d’entre eux présentent des candidats dans une à cinq circonscriptions, le parti «Citoyens et citoyennes dans un État» (CCDE, dirigé par Charbel Nahas) est le seul à participer à la course dans les 15 circonscriptions. Il fait d’ailleurs cavalier seul partout, sauf à Sud III (Marjeyoun-Hasbaya, Nabatiyé et Bint Jbeil) , Sud II ((Tyr et Zahrani), Mont-Liban II (Metn) et Nord I (Akkar).
Sud III est d’ailleurs la seule circonscription où l’opposition présente une liste unifiée face à celle du pouvoir en place, sachant que celui-ci est représenté ici par Amal et le Hezbollah. Il convient de noter qu’une liste réduite de cinq candidats indépendants est également en lice dans cette circonscription.
CCDE s’est également allié avec des candidats de la contestation à Sud II, mais une liste réduite anti-pouvoir, et une autre soutenue par les Forces libanaises, sont dans la course dans cette circonscription.
Au Metn et au Akkar, les listes auxquelles participe CCDE font face à plusieurs autres, ce qui réduit considérablement les possibilités de succès. Alors qu’au Metn, les autres listes sont celles des partis traditionnels (sachant que celle des Kataeb regroupe également des représentants des forces du changement), au Akkar les listes avec lesquelles le parti de Charbel Nahas croise le fer sont notamment formées de candidats indépendants ou de la société civile.
Ces alliances montrent que CCDE veut se présenter comme un parti ayant une envergure nationale, souligne Georgia Dagher. «Cela est mal perçu par les autres groupes, car cette stratégie réduit les chances des forces du changement» ajoute-t-elle.
Les alliances
Le second graphe montre les alliances entre les groupes. Il est intéressant de noter lesquels sont alliés, lesquels sont en compétition, et lesquels sont alliés dans une circonscription et adversaires dans une autre.
Le groupe qui se présente contre le plus grand nombre d’autres groupes est « Citoyens et citoyennes dans un État ».
Malgré le fait que le vert, couleur de l’alliance, domine, aucun groupe n’échappe au rouge, couleur de la rivalité, sachant que cette rivalité est le plus souvent de mise avec le parti de Charbel Nahas, ensuite avec Madinati.
Le troisième graphe confirme cela en précisant le nombre de circonscriptions où les groupes sont rivaux. «Citoyens et citoyennes dans un État» est par exemple en rivalité avec tous les autres, mais allié avec le Parti communiste dans 4 circonscriptions.
Certains groupes ont peu de rivaux. Tahalof Watani par exemple est allié avec plusieurs groupes de la contestation, dans une à deux circonscriptions, et ne mène bataille que contre CCDE et Madinati.
Le fait que tous ces groupes alternatifs ne soient pas unis partout dans une même liste réduit certainement le nombre de sièges qu’ils pourront obtenir. Mais certains notent que cette multitude de partis et de listes reflète la diversité de la société civile, et montre l’ampleur de la contestation. En outre, plusieurs indépendants mènent la bataille, souvent en alliance avec ces partis alternatifs.
Quoi qu’il en soit, les élections législatives de mai seront pour les partis traditionnels comme pour les partis alternatifs l’occasion de tester leurs stratégies. A condition que les électeurs soient au rendez-vous.
Deux ans et demi après le soulèvement du 17 octobre 2019, qui avait suscité tant d’espoir parmi la population libanaise, de nombreux citoyens attendent avec impatience les élections législatives de mai 2022 pour traduire dans les urnes la volonté de changement qui s’était manifestée dans la rue.
Lors des manifestations et des sit-in qui ont marqué la thaoura, des milliers de Libanais se sont rencontrés, ont protesté ensemble, ont dénoncé la classe politique corrompue, et ont même conduit l’ancien Premier ministre Saad Hariri à démissionner. Des groupes se sont formés, et d’autres qui étaient apparus ces dernières années ont activement participé au mouvement de contestation.
Cette effervescence a été applaudie par la communauté internationale, et par les expatriés libanais partout dans le monde. La première y a vu une opportunité de changement de la classe dirigeante, en place depuis trop longtemps et incapable de mener la moindre réforme ou de garantir les droits les plus élémentaires des citoyens. Les seconds ont exprimé l'espoir qu’elle donnera naissance à de nouveaux dirigeants, moins corrompus et plus efficaces que ceux dont l’incompétence pour certains, et l’allégeance à des pays étrangers pour d’autres, les avaient poussés à émigrer en quête d’une vie plus digne.
Alors que la thaoura s’essoufflait, en raison notamment de la crise économique, du Covid, et de la répression menée par certaines parties au pouvoir, les observateurs relevaient et critiquaient la non-émergence d’un leadership politique du mouvement de contestation et la dispersion des groupes et nouveaux partis.
Beaucoup de citoyens ont néanmoins continué d’y croire, s’attendant à ce que les élections législatives consacrent l’unité de l’opposition au pouvoir en place, et lui permettent de remporter assez de sièges pour changer le système.
Étude de 14 partis
Aujourd’hui, à deux semaines du vote des expatriés libanais les 6 et 8 mai, et à trois semaines du scrutin au Liban le 15 mai, ce pari est-il près d’être remporté? Les partis alternatifs mènent-ils bataille ensemble contre les partis traditionnels?
Cela n’est pas vraiment le cas. Les forces du changement ont bel et bien réussi quelques fois, grâce à des efforts louables, à s’unir contre la classe politique en place. Mais si elles ont formé des alliances dans certaines circonscriptions, elles sont souvent en compétition dans d’autres, ce qui risque de réduire les chances d'effectuer des percées dans les listes des partis traditionnels, beaucoup plus expérimentés et aguerris.
Cette impression d’éparpillement est confirmée par une étude menée par le centre de recherche libanais «The Policy Initiative», lancé il y a un an et dirigé par Sami Atallah.
La recherche sur les alliances entre les partis alternatifs menée par Georgia Dagher démontre, graphes à l’appui, une absence d’unité, avec quelques exceptions, entre 14 de ces groupes, qui présentent des candidats aux élections.
L’étude porte précisément sur des groupes actifs durant la contestation, et auparavant. Georgia Dagher explique que la recherche ne prend pas en compte les partis ou groupes politiques qui ont participé à la vie politique, et avec lesquels des groupes alternatifs sont alliés, comme les Kataëb, le Mouvement de l’indépendance de Michel Moawad, Project Watan de Nehmat Frem ou l’Organisation populaire nassérienne d’Oussama Saad.
Le Parti du dialogue national de Fouad Makhzoumi et le parti Sawa soutenu par Baha' Hariri n’ont pas non plus été pris en compte, contrairement au Bloc national et au Parti communiste libanais, qui sont alliés avec les forces du changement dans plusieurs régions.
Manque de cohérence
S’ils sont mieux organisés et plus connus qu’en 2018, lorsque certains d’entre eux avaient participé aux législatives, ces nouveaux partis se répartissent en deux catégories: ceux qui ont des programmes clairs et ceux qui présentent juste des candidats.
Georgia Dagher souligne que la recherche a démontré que les partis alternatifs ne sont pas vraiment unifiés, ce qui risque de disperser les voix des électeurs qui souhaitent le changement sur plus d’une liste, et réduire les chances de percer. Surtout que ce qui les sépare n’est pas toujours le programme, mais souvent la volonté d’avoir le plus grand nombre de candidats.
«On attendait mieux de leur part», estime la chercheuse, qui note que «ceux qui partagent les mêmes idées auraient pu s’allier».
En outre, alors que les partis traditionnels avaient mené la bataille de façon inconsistante en 2018, en s’alliant dans une région et en s’opposant dans d’autres, cette fois les alliances sont pratiquement les mêmes partout. C’est d’ailleurs ce qui ressort d’une autre étude menée par «The Policy initiative», dont les graphes sont plus difficiles à reproduire, et qui peut être consultée sur le compte Twitter de ce think tank. A quelques rares exceptions près, les alliances entre les partis traditionnels semblent cette fois plus claires et cohérentes que celles entre les partis alternatifs.
Autre constatation, note Georgia Dagher, «certains groupes ont plus d’amis que d’ennemis, alors que d’autre sont en rivalité avec presque tous les groupes».
L’appétit de CCDE
Le premier graphe reflète l’appétit de chaque groupe. Il apparait clairement qu’alors que la plupart d’entre eux présentent des candidats dans une à cinq circonscriptions, le parti «Citoyens et citoyennes dans un État» (CCDE, dirigé par Charbel Nahas) est le seul à participer à la course dans les 15 circonscriptions. Il fait d’ailleurs cavalier seul partout, sauf à Sud III (Marjeyoun-Hasbaya, Nabatiyé et Bint Jbeil) , Sud II ((Tyr et Zahrani), Mont-Liban II (Metn) et Nord I (Akkar).
Sud III est d’ailleurs la seule circonscription où l’opposition présente une liste unifiée face à celle du pouvoir en place, sachant que celui-ci est représenté ici par Amal et le Hezbollah. Il convient de noter qu’une liste réduite de cinq candidats indépendants est également en lice dans cette circonscription.
CCDE s’est également allié avec des candidats de la contestation à Sud II, mais une liste réduite anti-pouvoir, et une autre soutenue par les Forces libanaises, sont dans la course dans cette circonscription.
Au Metn et au Akkar, les listes auxquelles participe CCDE font face à plusieurs autres, ce qui réduit considérablement les possibilités de succès. Alors qu’au Metn, les autres listes sont celles des partis traditionnels (sachant que celle des Kataeb regroupe également des représentants des forces du changement), au Akkar les listes avec lesquelles le parti de Charbel Nahas croise le fer sont notamment formées de candidats indépendants ou de la société civile.
Ces alliances montrent que CCDE veut se présenter comme un parti ayant une envergure nationale, souligne Georgia Dagher. «Cela est mal perçu par les autres groupes, car cette stratégie réduit les chances des forces du changement» ajoute-t-elle.
Les alliances
Le second graphe montre les alliances entre les groupes. Il est intéressant de noter lesquels sont alliés, lesquels sont en compétition, et lesquels sont alliés dans une circonscription et adversaires dans une autre.
Le groupe qui se présente contre le plus grand nombre d’autres groupes est « Citoyens et citoyennes dans un État ».
Malgré le fait que le vert, couleur de l’alliance, domine, aucun groupe n’échappe au rouge, couleur de la rivalité, sachant que cette rivalité est le plus souvent de mise avec le parti de Charbel Nahas, ensuite avec Madinati.
Le troisième graphe confirme cela en précisant le nombre de circonscriptions où les groupes sont rivaux. «Citoyens et citoyennes dans un État» est par exemple en rivalité avec tous les autres, mais allié avec le Parti communiste dans 4 circonscriptions.
Certains groupes ont peu de rivaux. Tahalof Watani par exemple est allié avec plusieurs groupes de la contestation, dans une à deux circonscriptions, et ne mène bataille que contre CCDE et Madinati.
Le fait que tous ces groupes alternatifs ne soient pas unis partout dans une même liste réduit certainement le nombre de sièges qu’ils pourront obtenir. Mais certains notent que cette multitude de partis et de listes reflète la diversité de la société civile, et montre l’ampleur de la contestation. En outre, plusieurs indépendants mènent la bataille, souvent en alliance avec ces partis alternatifs.
Quoi qu’il en soit, les élections législatives de mai seront pour les partis traditionnels comme pour les partis alternatifs l’occasion de tester leurs stratégies. A condition que les électeurs soient au rendez-vous.
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