Lendemain amer d’élection: que faire?
Le Liban est trop dur. Je me suis temporairement réfugié à Paris, où la distance seule permet d’oublier les Tontons Macoutes qui nous gouvernent et une révolution à la dérive.

Au moins l’extrême droite a-t-elle été défaite dans la présidentielle française. Difficile d’imaginer le climat morose, dans mes milieux, si M. Macron avait été battu. En fait, si, on peut l’imaginer, il aurait été du même acabit que le lendemain de la victoire de Donald Trump en 2016. Des amis américains en avaient littéralement pleuré. Dans un climat délétère, vaguement raciste, peuplé de responsables incompétents, ballotté par une réaction de refus constant, hostile aux étrangers sans argent, proche des hommes forts russo-hongrois, épitaphe de l’Union européenne, voilà comment la France aurait tourné pendant cinq bonnes années. On ne déboulonne pas facilement un président élu.

Mais alors, quelle France se profile en ce lendemain un peu amer? Dans une tradition longtemps enseignée à mes étudiants, le mieux est de se mettre dans la peau du dirigeant et de dire ce que l’on ferait à sa place dans les circonstances particulières où l’histoire l’a placé(e). J’en avais fait l’exercice en Amérique dans un petit ouvrage publié en 2000. Je n’ai plus la force de faire l’effort pour la France de 2022, mais je conseille à la nouvelle génération de s’y essayer. C’est beaucoup plus enrichissant que de faire des analyses interminables, saturées de supputations fuyantes et étouffées de nuances.

Alors que faire si on est Emmanuel Micron, triomphant mais endolori surtout par la répétition lancinante d’accusation d’arrogance qui se retrouve dès qu’un analyste parle de lui? C’est un trait de caractère, l’arrogance, comme les stries du zèbre. Ça ne s’efface pas facilement. Il faut alors faire une politique qui le réduit, et cette politique est celle de l’ouverture efficace. Et cette ouverture, si elle est empruntée comme le président l’a promis (mais tous les présidents ne la promettent-ils pas au lendemain de leur élection?), sera avant tout guidée par deux avènements constitutionnels cadres: un nouveau gouvernement, très transitoire, et les élections législatives de juin.

Macron n’a pas besoin de changer d’équipe. Il peut garder Castex au pouvoir et se lancer dans la bataille législative. Ce serait une erreur, car il n’y aurait pas d’ouverture. S’il veut une ouverture, il devra la rendre spectaculaire dans le sillage du barrage républicain dont on parle souvent, mais qui reste bien creux. Pour la réaliser rapidement, M. Macron peut nommer une femme à la tête d’un gouvernement capable de se traduire en victoire électorale d’ouverture; une femme parce que les femmes ont été plutôt marginalisées sous son quinquennat, mais aussi une femme d’ouverture. Le choix se fera parmi ses ministres les plus accomplies et dynamiques, Mmes Bachelot, Borne, Parly? – qu’on me pardonne ma connaissance limitée des personnalités féminines du quinquennat. Ou alors, grande ouverture, et elle ne peut se faire qu’à gauche, parce que Macron, quoi qu’il en dise, est un homme de droite. Je vois en Ségolène Royal une candidate idéale, qui lui permettra alors d’inclure d’autres personnalités dans son gouvernement transitoire parmi ceux et celles qui ont voté pour lui, y compris Mmes Pécresse et Hidalgo, et certainement une figure de la mouvance écologique qui a fait un score respectable au premier tour.


Et Mélenchon? M. Mélenchon a joué un rôle important dans l’élection d’Emmanuel Macron. Ses «ne votez pas Mme le Pen» ont résonné de manière remarquable, et je regrette que Macron ne lui ait pas tendu la perche entre les deux tours. Mais M. Mélenchon semble être un homme difficile, qui pense, alors que c’est pratiquement impossible, qu’il peut s’imposer comme Premier ministre à l’issue des législatives. La pente est trop raide pour qu’il réussisse. En revanche, il pourrait s’essayer à amadouer la France par une ouverture sur Macron, qui n’a pas eu lieu au soir de la présidentielle, avec un poste de ministre, peut-être même de Premier ministre, qui sera issue des élections. Car il est faux de dire que Macron est le président «le plus mal élu» de l’histoire contemporaine, non seulement à cause d’un score impressionnant pour un homme qui sort de trois ans de crises interminables, mais surtout parce que Mélenchon aurait dû profiter de son propre appel à ses votants pour imputer la victoire de Macron à ses consignes et à son électorat.

Alors, que devrait faire M. Macron avec M. Mélenchon et son électorat quand même conséquent? Idéalement, et avec à la tête du gouvernement transitoire une femme de gauche du calibre de Ségolène Royal, des passerelles sérieuses vers le monde en colère de Mélenchon peuvent être lancées avant les législative. Le slogan: transformer le «barrage républicain»  en « gouvernance républicaine» avec des élections législatives qui amènent une grande mouvance française, de la droite traditionnelle jusqu’à la gauche mélenchonienne, sur un programme de changement qui peut se construire d’ici juin.

Encore faut-il que M. Mélenchon en soit convaincu. La dimension psychologique est une variante difficile de l’histoire. Mais c’est ce que je tenterais si j’étais à la place du président français en ce lendemain de victoire un peu amer.

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