La série ‘décennie de la gabegie’ continue avec ce deuxième volet. Après avoir relaté en bref les hics qui ont jalonné le plan du ministre Gebrane Bassil et de ses successeurs (épisode 1), on raconte ici l’histoire du gaz comme carburant alternatif pour nos centrales. Encore un fiasco retentissant.
L’idée d’utiliser le gaz comme carburant pour nos centrales électriques a toujours été de tous les discours des ministres de l’Énergie. Car il est réputé moins cher que le fuel et moins polluant. Surtout que plusieurs centrales ont été conçues à l’origine pour fonctionner au gaz.
Historiquement, les Qataris avaient proposé à l'ancien Premier ministre feu Rafic Hariri de fournir du gaz en quantité suffisante au Liban pour alimenter nos centrales et notre industrie. Mais les Syriens s'étaient opposés à ce projet. Plus tard, en 2009, la centrale de Deir Ammar avait bénéficié de quelques mois de gaz via le gazoduc terrestre venant d’Égypte à travers la Syrie. Mais l’alimentation s’était arrêté avec la dégradation de la situation régionale.
La rengaine des pertes
Depuis, chaque ministre de l’Énergie prenait beaucoup de plaisir à rappeler à chaque occasion l’économie que le pays aurait pu réaliser si le gaz avait été utilisé, d'autant que la perte annuelle se chiffrait en centaines de millions de dollars. Ce plaisir augmentait lorsque les ministres successifs annonçaient que leur plan prévoyait donc cette composante essentielle, avec le gaz acheminé par voie de mer.
Gebrane Bassil l’a effectivement inclus dans son plan de 2010, ainsi que ses successeurs, toujours du même bord politique. Aucun ne l’a effectivement réalisé. Le plan Bassil prévoyait la mise en place de trois unités flottantes de stockage et de transformation de gaz liquéfié (Floating Storage and Regazification Unit, FSRU). Ces unités devaient donc remettre sous forme de gaz le carburant amené par tankers sous forme liquide. Installées à Selaata, Zahrani et Deir Ammar, elles sont supposées être ensuite reliées par des gazoducs aux centrales les plus proches.
Déjà, il s'agit d'une première anomalie, relevée par les détracteurs du chef du CPL mais aussi par des experts neutres : pourquoi aurait-on besoin de trois FSRU si un gazoduc est construit et s'il permet donc d’acheminer le gaz vers toutes les centrales. Une seule usine suffirait. Aucune réponse convaincante du ministre.
Pratiquement, bien que le plan Bassil ait été adopté en 2010, le dernier appel d’offres en date pour la fourniture de trois FSRU sera lancé en mai 2018. César Abi Khalil, ministre à cette époque et lieutenant de Gebrane Bassil, promettait alors une issue rapide: ‘’Les trois centrales devraient être équipées des FSRU dès 2020.’’ Le ministre jure aussi que cette fois, c’est la bonne.
Car il y eu un précédent ! En 2014, ‘’un premier appel d’offres a bien été lancé: trente consortiums avaient candidaté et treize d’entre eux avaient été jugés éligibles’’, avait rappelé M. Abi Khalil, imperturbable. Le processus, selon lui, avait été interrompu par la formation d’un nouveau gouvernement. Mais il n’a pas précisé pourquoi un processus devait s’arrêter rien que parce qu’un nouvel Exécutif est aux commandes, surtout que ce sont les mêmes forces politiques qui se succèdent à elles-mêmes. Des indiscrétions de presse laissaient supposer que les décideurs ne se sont pas mis d’accord sur le partage du gâteau, surtout qu’il n’y avait pas de contrôle international sur le projet.
La présidence avant tout
Le contexte politique s’est chargé du reste : le pays était bloqué durant 30 mois sans président de la République, jusqu’à ce que le Hezbollah ait réussi à imposer Michel Aoun à la tête de l'État. Le camp aouniste voulait en fait inscrire cette réalisation au crédit du nouveau mandat, au même titre que l’exploration maritime, reportée elle aussi depuis 2013. Pour eux, le sacrifice en valait la peine, et tant pis pour les milliards de dollars de pertes, causées par le retard dans la réalisation du projet gazier. Une information utile pour ceux qui se demandent encore comment on en est arrivé au ‘trou’ financier actuel – que les déposants et les banques sont supposés combler, selon la vision du gouvernement actuel.
Il n’en reste pas moins qu’en novembre 2018, sur les 13 consortiums ayant été agréés par le ministère de l’Énergie, six candidats seront retenus après les multiples filtrages. Mais l’évaluation des dossiers traîne en longueur jusqu’en septembre 2019. Puis plus rien. Rien n’a été officiellement annoncé au niveau des résultats, mais des informations ont circulé donnant gagnants trois consortiums: Qatar Petroleum/Eni, Total/ZR, Butec/Almabani/Rosneft et associés.
Tout s’arrête de nouveau. Il est vrai que la crise financière pointait du nez à cette date. Pourtant, on a tendance à penser qu’au contraire cela aurait dû encourager le pouvoir à privilégier cette solution économiquement rentable. Mais rien n’est fait. Et le processus est définitivement arrêté.
Même le ministre actuel, Walid Fayad, semble vouloir ignorer une proposition d’EDF, faite lors d’une récente visite en France. Le PDG lui a assuré qu’une FSRU, appartement à EDF, est disponible pour être utilisée, fournissant une quantité suffisante de gaz aux centrales du pays. Mais le ministre s’entête à vouloir recourir au gaz égypto-syrien, selon un processus tellement alambiqué qu’il finira encore une fois en queue de poisson. Le ministre rejette la responsabilité sur la Banque mondiale, alors que le gouvernement n’a présenté aucune garantie de bonne foi sur ses intentions de réforme.
Voilà donc encore un projet lancé en grande pompe par ce ministère chasse-gardée de Gebrane Bassil, qui finit en s’effilochant en chemin. Un chemin qui a amené le pays au black-out total.
L’idée d’utiliser le gaz comme carburant pour nos centrales électriques a toujours été de tous les discours des ministres de l’Énergie. Car il est réputé moins cher que le fuel et moins polluant. Surtout que plusieurs centrales ont été conçues à l’origine pour fonctionner au gaz.
Historiquement, les Qataris avaient proposé à l'ancien Premier ministre feu Rafic Hariri de fournir du gaz en quantité suffisante au Liban pour alimenter nos centrales et notre industrie. Mais les Syriens s'étaient opposés à ce projet. Plus tard, en 2009, la centrale de Deir Ammar avait bénéficié de quelques mois de gaz via le gazoduc terrestre venant d’Égypte à travers la Syrie. Mais l’alimentation s’était arrêté avec la dégradation de la situation régionale.
La rengaine des pertes
Depuis, chaque ministre de l’Énergie prenait beaucoup de plaisir à rappeler à chaque occasion l’économie que le pays aurait pu réaliser si le gaz avait été utilisé, d'autant que la perte annuelle se chiffrait en centaines de millions de dollars. Ce plaisir augmentait lorsque les ministres successifs annonçaient que leur plan prévoyait donc cette composante essentielle, avec le gaz acheminé par voie de mer.
Gebrane Bassil l’a effectivement inclus dans son plan de 2010, ainsi que ses successeurs, toujours du même bord politique. Aucun ne l’a effectivement réalisé. Le plan Bassil prévoyait la mise en place de trois unités flottantes de stockage et de transformation de gaz liquéfié (Floating Storage and Regazification Unit, FSRU). Ces unités devaient donc remettre sous forme de gaz le carburant amené par tankers sous forme liquide. Installées à Selaata, Zahrani et Deir Ammar, elles sont supposées être ensuite reliées par des gazoducs aux centrales les plus proches.
Déjà, il s'agit d'une première anomalie, relevée par les détracteurs du chef du CPL mais aussi par des experts neutres : pourquoi aurait-on besoin de trois FSRU si un gazoduc est construit et s'il permet donc d’acheminer le gaz vers toutes les centrales. Une seule usine suffirait. Aucune réponse convaincante du ministre.
Pratiquement, bien que le plan Bassil ait été adopté en 2010, le dernier appel d’offres en date pour la fourniture de trois FSRU sera lancé en mai 2018. César Abi Khalil, ministre à cette époque et lieutenant de Gebrane Bassil, promettait alors une issue rapide: ‘’Les trois centrales devraient être équipées des FSRU dès 2020.’’ Le ministre jure aussi que cette fois, c’est la bonne.
Car il y eu un précédent ! En 2014, ‘’un premier appel d’offres a bien été lancé: trente consortiums avaient candidaté et treize d’entre eux avaient été jugés éligibles’’, avait rappelé M. Abi Khalil, imperturbable. Le processus, selon lui, avait été interrompu par la formation d’un nouveau gouvernement. Mais il n’a pas précisé pourquoi un processus devait s’arrêter rien que parce qu’un nouvel Exécutif est aux commandes, surtout que ce sont les mêmes forces politiques qui se succèdent à elles-mêmes. Des indiscrétions de presse laissaient supposer que les décideurs ne se sont pas mis d’accord sur le partage du gâteau, surtout qu’il n’y avait pas de contrôle international sur le projet.
La présidence avant tout
Le contexte politique s’est chargé du reste : le pays était bloqué durant 30 mois sans président de la République, jusqu’à ce que le Hezbollah ait réussi à imposer Michel Aoun à la tête de l'État. Le camp aouniste voulait en fait inscrire cette réalisation au crédit du nouveau mandat, au même titre que l’exploration maritime, reportée elle aussi depuis 2013. Pour eux, le sacrifice en valait la peine, et tant pis pour les milliards de dollars de pertes, causées par le retard dans la réalisation du projet gazier. Une information utile pour ceux qui se demandent encore comment on en est arrivé au ‘trou’ financier actuel – que les déposants et les banques sont supposés combler, selon la vision du gouvernement actuel.
Il n’en reste pas moins qu’en novembre 2018, sur les 13 consortiums ayant été agréés par le ministère de l’Énergie, six candidats seront retenus après les multiples filtrages. Mais l’évaluation des dossiers traîne en longueur jusqu’en septembre 2019. Puis plus rien. Rien n’a été officiellement annoncé au niveau des résultats, mais des informations ont circulé donnant gagnants trois consortiums: Qatar Petroleum/Eni, Total/ZR, Butec/Almabani/Rosneft et associés.
Tout s’arrête de nouveau. Il est vrai que la crise financière pointait du nez à cette date. Pourtant, on a tendance à penser qu’au contraire cela aurait dû encourager le pouvoir à privilégier cette solution économiquement rentable. Mais rien n’est fait. Et le processus est définitivement arrêté.
Même le ministre actuel, Walid Fayad, semble vouloir ignorer une proposition d’EDF, faite lors d’une récente visite en France. Le PDG lui a assuré qu’une FSRU, appartement à EDF, est disponible pour être utilisée, fournissant une quantité suffisante de gaz aux centrales du pays. Mais le ministre s’entête à vouloir recourir au gaz égypto-syrien, selon un processus tellement alambiqué qu’il finira encore une fois en queue de poisson. Le ministre rejette la responsabilité sur la Banque mondiale, alors que le gouvernement n’a présenté aucune garantie de bonne foi sur ses intentions de réforme.
Voilà donc encore un projet lancé en grande pompe par ce ministère chasse-gardée de Gebrane Bassil, qui finit en s’effilochant en chemin. Un chemin qui a amené le pays au black-out total.
Lire aussi
Commentaires