En Irak, année de vache maigre pour les agriculteurs
©Cette année, l'Irak ne produira que 2,5 à 3 millions de tonnes de blé, alors que la consommation nationale s'élève à 5 millions de tonnes. (AFP)
Face à la sècheresse et la guerre en Ukraine, la production de blé s'effondre en Irak, les zones cultivées étant réduites de moitié en raison du manque d'eau. L'augmentation du prix des intrants, carburants et semences plonge les agriculteurs dans la précarité, mettant de même en péril la récolte de l'année prochaine. De nombreux agriculteurs pensent à rejoindre la ville, en l'absence de revenus issus de leur récolte. L'Irak se verra contraint d'importer près de la moitié de sa consommation en blé en 2022, une situation qui laisse craindre une augmentation exponentielle de l'inflation, et donc de la pauvreté dans le pays. 

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Les épis de blé dorés de Kamel Hamed ondulent langoureusement dans le vent. Mais devant ce paysage bucolique du centre de l'Irak, l'agriculteur ne cache pas son angoisse : entre la sécheresse et les pénuries d'eau, sa récolte a été divisée par deux.

"La sécheresse est incroyable en ce moment. Même dans les puits, l'eau ne peut pas être utilisée. C'est de l'eau salée", lâche M. Hamed, en dishdasha blanche, la tête couverte par un keffieh. Et depuis février, les répercussions de la guerre en Ukraine se font sentir jusque dans ses champs proches du village de Jaliha : les prix du carburant, des engrais et des graines ont fortement augmenté. De quoi faire exploser ses coûts de production.

Comme tous les agriculteurs d'Irak, Kamel Hamed suit les directives des autorités, qui achètent ses céréales. Ce sont elles qui déterminent les surfaces plantées et le niveau d'irrigation, en fonction des réserves en eau et des pluies. Cette année, pour cause de pénurie d'eau, l'Irak a réduit de moitié les zones cultivées. Mécaniquement, les récoltes ont chuté.

M. Hamed a planté un quart de ses 100 donums (10 hectares). Dans ses champs, la moissonneuse-batteuse fait des aller-retours méthodiques pour couper les épis mûrs. Les grains sont projetés dans la benne d'un camion. "Cette année, un seul donum ne nous a même pas fourni 500 kilos de blé", déplore l'agriculteur de 53 ans. Lors des saisons précédentes, il en était à une tonne par donum.

La guerre en Ukraine a fait "grimper le prix des huiles pour moteur et des graines à haut rendement". "Encore un fardeau financier pour les agriculteurs", soupire-t-il. "Je ne sais pas comment faire vivre ma famille", ajoute M. Hamed. "Pas de salaire, pas d'emploi, ou puis-je aller ?".

Le spectre de l'exode rural plane sur les campagnes 

Mais le facteur incontournable, c'est l'eau. Un enjeu ultra-sensible pour l'Irak et ses 41 millions d'habitants, qui ressentent au quotidien l'impact du changement climatique : désertification, tempêtes de sable à répétition, chute des précipitations et baisse du niveau des fleuves.


C'est aussi un enjeu géostratégique capital. L'Irak partage les eaux de plusieurs fleuves, notamment celles du Tigre et de l'Euphrate, avec la Turquie et la Syrie, mais aussi l'Iran. Bagdad est vent debout contre la construction de barrages en amont chez ses voisins, qui réduisent le débit des cours d'eau à leur arrivée en Irak.

Irriguée par l'Euphrate, la province de Diwaniya, où se trouve Jaliha, reçoit normalement 180 mètres cubes d'eau par seconde. Cette année, le niveau oscille entre "80 et 90 mètres cubes", déplore Hani Chaër, qui dirige un collectif d'agriculteurs chargé de répartir l'eau.  En témoignent les eaux stagnantes du principal canal d'irrigation de Tharima, desservant les 200.000 donums de terres environnantes. Certaines rigoles sont totalement asséchées.

Il dénonce aussi le manque de soutien des autorités. D'après lui, le ministère de l'Agriculture n'a fourni cette saison que 5 kilos d'engrais, contre 40 kilos les années précédentes. "Le paysan va partir, abandonner la terre pour aller en ville chercher n'importe quel travail", regrette-t-il.

Une agriculture dévastée 

Le porte-parole du ministère de l'Agriculture, Hamid al-Nayef, se justifie en évoquant la décision d'augmenter le prix d'achat pour payer les producteurs environ 500 dollars la tonne.

En 2019 et en 2020, les récoltes de blé ont atteint les cinq millions de tonnes, de quoi garantir "l'autosuffisance" à l'Irak, indique-t-il à l'AFP. Cette saison, le pays devrait avoir entre 2,5 et 3 millions de tonnes de blé. "Trois millions de tonnes ne suffisent pas pour une année entière pour les Irakiens", reconnaît le porte-parole. "Il faudra importer".

L'Irak sera confronté aux aléas du marché mondial et des prix tirés vers le haut, en raison du conflit en Ukraine, même si Bagdad importe ses céréales surtout du Canada, d'Australie et des États-Unis. "Avec le jeu de l'offre et de la demande, les prix augmentent même aux États-Unis ou dans les autres pays", reconnaît M. Nayef.

Dans son champ à Jaliha, Ahmed Al-Jelhawi en est à remettre en question ses choix de vie. "J'ai abandonné les études pour me consacrer à l'agriculture", déplore le trentenaire. "Mais cette année, l'agriculture, c'est zéro". Il récoltait autrefois 500 tonnes de blé. Cette année, ce sera entre 50 et 75 tonnes, dit-il. "Entre la faible production et la hausse des prix, il est probable que nous ne puissions pas planter pour l'année prochaine".

Avec AFP
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