S’il est vrai qu’écrire sur les tragédies que traverse le Liban est d’une triste banalité, il est en revanche vital d’esquisser les traits du dessin qui participe à faire rayonner les habitants du pays. Dans cet article, ce dessin prendra la forme d’une caravane. Une caravane qui déambule à la rencontre des laissés-pour-compte. Une roulotte qui vagabonde dans les endroits les plus reculés et meurtris du Liban dans l’espoir d’initier les enfants à l’art sous toutes ses formes.
Ce projet, c’est celui porté par la fondation «Al Caravan» qui fut initialement établie en Syrie, au début de 2008, par Kasem Hammad et Khaldoun Al Batal, deux amis armés d’une ambition sans précédent. Ils souhaitaient construire et conduire une caravane magique, remplie de marionnettes, de bouquins etc. dans les endroits dévastés par la guerre et la pauvreté pour divertir les enfants. Alors que Kasem Hammad est tué lors d’un raid aérien syrien, Khaldoun Al Batal décide de continuer le projet malgré tout. Al Caravan et son équipe, constituée d’une quinzaine de volontaires, se déplaceront ainsi dans toute la Syrie à la rencontre d’enfants et d’adolescents victimes de la guerre et des horreurs que cette dernière implique.
«Le conflit a chassé l’éducation, l’art, l’innocence des enfants, la liberté d’expression. Pour combattre les horreurs de la guerre, nous avons organisé des sessions de cinéma, des ateliers de théâtres de rue etc. Cela a permis de faire revivre, le temps de quelques heures, les enfants et les adolescents de Syrie. L’art est alors devenu un instrument de survie!»
Après de nombreuses années à barouder sur les routes minées de Syrie, la caravane et ses bénévoles ont dû renoncer à leurs ambitions en raison de l’intensité de la guerre. Il leur a fallu fuir. Fuir à la rencontre des exilés et des survivants qui ont trouvé refuge dans les pays voisins.
Alors que la fondation travaille avec les déplacés syriens vivant en Turquie, Khaldoun Al Batal se heurte à une brutale réalité. Celle de l’inégalité des chances entre les communautés rurales et urbaines. Une disparité particulièrement présente au Liban.
Dès lors, et conformément à la philosophie d’Al Caravan, il a fallu soulager cette plaie béante à travers l’expression artistique. Cette manière de réconcilier l’art avec la population participe en réalité à un projet plus grand: aider les enfants à se réapproprier leur histoire et leur futur.
«Personne ne regarde les habitants des villages comme des personnes capables de danser, dessiner etc. C’est pour cette raison que nous sommes là. Nous établissons des ponts entre l’art et les espaces ruraux pour apporter des opportunités à des enfants en qui personne ne croit. Ils ont tous un talent, il s’agit simplement de le déceler», explique Khaldoun.
Ainsi, après un long séjour en Turquie, Al Caravan dépose ses valises au Liban, dans la vallée de la Békaa. Alors que Khaldoun Al Batal menait ses activités dans les camps de réfugiés syriens situés à la frontière, son regard s’est posé sur un refuge pour animaux situé non loin de là. Suffisamment grand pour accueillir de nombreux enfants mais également implanté dans un décor rural défavorisé; l’endroit abandonné était idéal. En 2016, est lancée la conversion du refuge en une école ouverte à toutes et à tous. Le projet ambitieux d’une troupe artistique se transforme alors en un véritable effort collectif gagnant les cœurs des habitants de la Békaa.
Un an plus tard, la bâtisse ouvre ses portes à un projet d’une ampleur sans précédent qui consiste à peindre sur les murs des camps. Le programme s’empare de l’art pour le mettre au service des enfants résidant dans la Békaa. Al Caravan entame alors une collaboration avec Conexus Project, un collectif d’art nomade, ainsi que les Cosmic Boys, formés par Rimon Guimarães et Zéh Palito, un duo de graffeurs brésiliens.
Durant sept jours, plus d’une centaine d’enfants syriens, libanais et palestiniens tremperont ainsi leurs pinceaux dans des bidons de peintures multicolores pour maquiller leurs écoles. Le projet connaît un énorme succès, tant sur le plan artistique qu’humain, comme le témoigne Khaldoun Al Batal. «Les habitants de la région parlaient tous de “l’école colorée”. Bien que placée au milieu d’un camp de réfugiés, l’école est devenue tellement connue que tout le monde voulait y venir.»
Autrefois abandonné, l’édifice devint ainsi un véritable refuge éducatif équipé d’ordinateurs, d’accès à Internet, initiant aux arts du cirque, au sport... Une collaboration avec des troupes de théâtre européennes, des producteurs et des artistes en tout genre permet d’offrir aux enfants une véritable diversité de disciplines artistiques. «On a réussi le pari de faciliter la transmission de différents arts à un public qui n’aurait jamais pu les approcher dans ses conditions de vie actuelles».
Malheureusement, le changement de propriétaire mettra fin à l’ère artistique du camp de réfugiés dispensée par l’école colorée. «Le nouveau propriétaire du terrain a d’abord chassé les occupants de la maison et l’a ensuite démolie, tuant ainsi tout espoir aux réfugiés de s’épanouir et de vivre dignement.»
Depuis cette destruction, Al Caravan fait face à de nombreuses difficultés. «Les enfants, tout comme les volontaires, sont moralement et physiquement exténués par la crise du Liban. Quand je collecte de l’argent, j’aide d’abord les gens à payer leurs loyers et les médicaments qui leur sont inaccessibles... Et ce n’est qu’après cela que je peux m’occuper d’art. La situation est réellement compliquée».
Malgré tout, Khaldoun Al Batal persévère et son envie de reconstruire des lieux de rassemblement ne le quitte pas. «En ce moment, je suis à la recherche de fonds pour ouvrir un centre pour la communauté ou construire une nouvelle caravane mobile. Une caravane est un véritable atout dès qu’il s’agit de se déplacer dans les endroits les plus reculés et défavorisés du pays. C’est nous qui allons à la rencontre des populations et non pas elles qui doivent se déplacer pour venir à notre rencontre. Cela fait une grosse différence. Nous voulons un endroit qui soit à nous pour continuer à amener l’art aux habitants les plus isolés autant humainement que géographiquement».
En plus des collectes de fonds, Al Caravan se démène pour continuer à faire rayonner l’art auprès des enfants. Pour perpétuer cette tradition, la fondation collabore désormais avec le théâtre libanais Tournesol pour créer des ateliers d’une durée de 2 mois dans la Békaa et à Tripoli. Ces ateliers, ouverts à tous les enfants, couvrent à la fois le dessin, le théâtre, le montage etc. afin d’inciter chaque enfant à trouver une forme d’expression qui lui corresponde.
«Lors d’un atelier dédié au dessin, un enfant d’une quinzaine d’années s’est découvert une véritable passion pour les dessins animés. Depuis, il ne s’arrête plus. Il a produit une collection de 200 dessins. J’espère qu’il ira dans une école d’art et qu’il en fera son métier».
Depuis peu, c’est un atelier de documentaires qui a vu le jour. Accompagnés par des producteurs et des cinéastes professionnels, les enfants, face caméra, retracent leurs histoires, leurs bouts de vie afin de mieux s’en approprier les contours.
«L’idée, c’est que les enfants et les adolescents fassent leurs propres films. Ce sont eux qui décident du sujet sur lequel ils souhaitent témoigner. Il y a beaucoup de thématiques qui sont évoquées pour refléter leurs conditions de vie, leurs espoirs à venir mais aussi leurs espoirs déchus. Nous les aidons ensuite pour filmer et monter la vidéo».
Alors que la pauvreté ne cesse de ronger les populations les plus vulnérables, Al Caravan ne se démonte pas. Déambulant en Syrie, en Turquie et désormais au Liban, la roulotte magique avance à la rencontre de l’humanité pour faire briller son avenir: la jeunesse. «C’est le droit de tout humain d’avoir des opportunités artistiques et c’est notre devoir de les leur fournir», conclut ainsi le co-fondateur d’Al Caravan.
À savoir
Instagram:
Article rédigé par Margaux Seigneur
https://www.agendaculturel.com/article/sarmer-dart-contre-le-conflit-et-la-pauvrete
Ce projet, c’est celui porté par la fondation «Al Caravan» qui fut initialement établie en Syrie, au début de 2008, par Kasem Hammad et Khaldoun Al Batal, deux amis armés d’une ambition sans précédent. Ils souhaitaient construire et conduire une caravane magique, remplie de marionnettes, de bouquins etc. dans les endroits dévastés par la guerre et la pauvreté pour divertir les enfants. Alors que Kasem Hammad est tué lors d’un raid aérien syrien, Khaldoun Al Batal décide de continuer le projet malgré tout. Al Caravan et son équipe, constituée d’une quinzaine de volontaires, se déplaceront ainsi dans toute la Syrie à la rencontre d’enfants et d’adolescents victimes de la guerre et des horreurs que cette dernière implique.
«Le conflit a chassé l’éducation, l’art, l’innocence des enfants, la liberté d’expression. Pour combattre les horreurs de la guerre, nous avons organisé des sessions de cinéma, des ateliers de théâtres de rue etc. Cela a permis de faire revivre, le temps de quelques heures, les enfants et les adolescents de Syrie. L’art est alors devenu un instrument de survie!»
Après de nombreuses années à barouder sur les routes minées de Syrie, la caravane et ses bénévoles ont dû renoncer à leurs ambitions en raison de l’intensité de la guerre. Il leur a fallu fuir. Fuir à la rencontre des exilés et des survivants qui ont trouvé refuge dans les pays voisins.
Alors que la fondation travaille avec les déplacés syriens vivant en Turquie, Khaldoun Al Batal se heurte à une brutale réalité. Celle de l’inégalité des chances entre les communautés rurales et urbaines. Une disparité particulièrement présente au Liban.
Dès lors, et conformément à la philosophie d’Al Caravan, il a fallu soulager cette plaie béante à travers l’expression artistique. Cette manière de réconcilier l’art avec la population participe en réalité à un projet plus grand: aider les enfants à se réapproprier leur histoire et leur futur.
«Personne ne regarde les habitants des villages comme des personnes capables de danser, dessiner etc. C’est pour cette raison que nous sommes là. Nous établissons des ponts entre l’art et les espaces ruraux pour apporter des opportunités à des enfants en qui personne ne croit. Ils ont tous un talent, il s’agit simplement de le déceler», explique Khaldoun.
Ainsi, après un long séjour en Turquie, Al Caravan dépose ses valises au Liban, dans la vallée de la Békaa. Alors que Khaldoun Al Batal menait ses activités dans les camps de réfugiés syriens situés à la frontière, son regard s’est posé sur un refuge pour animaux situé non loin de là. Suffisamment grand pour accueillir de nombreux enfants mais également implanté dans un décor rural défavorisé; l’endroit abandonné était idéal. En 2016, est lancée la conversion du refuge en une école ouverte à toutes et à tous. Le projet ambitieux d’une troupe artistique se transforme alors en un véritable effort collectif gagnant les cœurs des habitants de la Békaa.
Un an plus tard, la bâtisse ouvre ses portes à un projet d’une ampleur sans précédent qui consiste à peindre sur les murs des camps. Le programme s’empare de l’art pour le mettre au service des enfants résidant dans la Békaa. Al Caravan entame alors une collaboration avec Conexus Project, un collectif d’art nomade, ainsi que les Cosmic Boys, formés par Rimon Guimarães et Zéh Palito, un duo de graffeurs brésiliens.
Durant sept jours, plus d’une centaine d’enfants syriens, libanais et palestiniens tremperont ainsi leurs pinceaux dans des bidons de peintures multicolores pour maquiller leurs écoles. Le projet connaît un énorme succès, tant sur le plan artistique qu’humain, comme le témoigne Khaldoun Al Batal. «Les habitants de la région parlaient tous de “l’école colorée”. Bien que placée au milieu d’un camp de réfugiés, l’école est devenue tellement connue que tout le monde voulait y venir.»
Autrefois abandonné, l’édifice devint ainsi un véritable refuge éducatif équipé d’ordinateurs, d’accès à Internet, initiant aux arts du cirque, au sport... Une collaboration avec des troupes de théâtre européennes, des producteurs et des artistes en tout genre permet d’offrir aux enfants une véritable diversité de disciplines artistiques. «On a réussi le pari de faciliter la transmission de différents arts à un public qui n’aurait jamais pu les approcher dans ses conditions de vie actuelles».
Malheureusement, le changement de propriétaire mettra fin à l’ère artistique du camp de réfugiés dispensée par l’école colorée. «Le nouveau propriétaire du terrain a d’abord chassé les occupants de la maison et l’a ensuite démolie, tuant ainsi tout espoir aux réfugiés de s’épanouir et de vivre dignement.»
Depuis cette destruction, Al Caravan fait face à de nombreuses difficultés. «Les enfants, tout comme les volontaires, sont moralement et physiquement exténués par la crise du Liban. Quand je collecte de l’argent, j’aide d’abord les gens à payer leurs loyers et les médicaments qui leur sont inaccessibles... Et ce n’est qu’après cela que je peux m’occuper d’art. La situation est réellement compliquée».
Malgré tout, Khaldoun Al Batal persévère et son envie de reconstruire des lieux de rassemblement ne le quitte pas. «En ce moment, je suis à la recherche de fonds pour ouvrir un centre pour la communauté ou construire une nouvelle caravane mobile. Une caravane est un véritable atout dès qu’il s’agit de se déplacer dans les endroits les plus reculés et défavorisés du pays. C’est nous qui allons à la rencontre des populations et non pas elles qui doivent se déplacer pour venir à notre rencontre. Cela fait une grosse différence. Nous voulons un endroit qui soit à nous pour continuer à amener l’art aux habitants les plus isolés autant humainement que géographiquement».
En plus des collectes de fonds, Al Caravan se démène pour continuer à faire rayonner l’art auprès des enfants. Pour perpétuer cette tradition, la fondation collabore désormais avec le théâtre libanais Tournesol pour créer des ateliers d’une durée de 2 mois dans la Békaa et à Tripoli. Ces ateliers, ouverts à tous les enfants, couvrent à la fois le dessin, le théâtre, le montage etc. afin d’inciter chaque enfant à trouver une forme d’expression qui lui corresponde.
«Lors d’un atelier dédié au dessin, un enfant d’une quinzaine d’années s’est découvert une véritable passion pour les dessins animés. Depuis, il ne s’arrête plus. Il a produit une collection de 200 dessins. J’espère qu’il ira dans une école d’art et qu’il en fera son métier».
Depuis peu, c’est un atelier de documentaires qui a vu le jour. Accompagnés par des producteurs et des cinéastes professionnels, les enfants, face caméra, retracent leurs histoires, leurs bouts de vie afin de mieux s’en approprier les contours.
«L’idée, c’est que les enfants et les adolescents fassent leurs propres films. Ce sont eux qui décident du sujet sur lequel ils souhaitent témoigner. Il y a beaucoup de thématiques qui sont évoquées pour refléter leurs conditions de vie, leurs espoirs à venir mais aussi leurs espoirs déchus. Nous les aidons ensuite pour filmer et monter la vidéo».
Alors que la pauvreté ne cesse de ronger les populations les plus vulnérables, Al Caravan ne se démonte pas. Déambulant en Syrie, en Turquie et désormais au Liban, la roulotte magique avance à la rencontre de l’humanité pour faire briller son avenir: la jeunesse. «C’est le droit de tout humain d’avoir des opportunités artistiques et c’est notre devoir de les leur fournir», conclut ainsi le co-fondateur d’Al Caravan.
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Article rédigé par Margaux Seigneur
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