Itinéraire d’un ministre lambda
Le gouvernement rentre donc à partir de la semaine prochaine dans la phase ‘gestion des affaires courantes’, pour une période inconnue. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, c’est un temps béni pour les ministres. Face aux habituelles revendications, ils n’auront pas à prendre des décisions: ‘’Désolés, c’est la Constitution’’. Alors ils chôment car les ‘affaires courantes’ ne seront pas si courantes en fin de compte, selon leur interprétation de la Constitution.

Il est alors temps de faire le bilan des ministres sortants. Car il faut bien commencer à insuffler un vent nouveau après les élections législatives, et habituer les responsables à une pratique typiquement démocratique basée sur la redevabilité et la performance. On va bien sûr entendre chaque ministre discourir sur les prétendues réalisations de son département. Mais il y a une façon plus simple de faire le bilan, en posant la question élémentaire qui constitue le seul vrai critère de réussite ou d’échec : est-ce que la pitoyable vie des Libanais s’est améliorée depuis septembre dernier? La réponse est évidente.

Pour tenter donc d’expliquer ce phénomène épuisant de surplace, qui ne date d’ailleurs pas d’hier, il suffit de suivre de près l’itinéraire-type d’un ministre lambda. Très sérieusement.

Dès son accession au pouvoir, le ministre lambda déclare innocemment: ‘’Mais laissez-moi le temps de prendre connaissance des dossiers’’, ce qui est légitime. Sauf qu’on a l’impression qu’il vient de débarquer d’une autre galaxie tellement il est ignorant.

Deuxième étape, la rengaine devient: ‘’Il y a beaucoup à faire; j’ai hérité de 30 ans de mauvaise gouvernance, et je n’ai pas de baguette magique pour tout résoudre en deux jours’’.


Troisième étape: ‘’Je vais lancer une étude exhaustive sur le secteur’’. C’est la plus courante des initiatives, car la plus simple. Il passe un contrat avec un bureau spécialisé qui fera l’étude. Mais comme il y a des dizaines de rapports qui croupissent dans les tiroirs, le bureau charge un stagiaire d’en faire une petite synthèse, que personne ne lira. Mais le ministre va quand même pavoiser: ‘’C’est la première fois qu’on réalise un tel plan stratégique!’’ parfois appelé ‘feuille de route’ pour faire moderne.

Quatrième étape, il entame des tournées dans les régions, pour donner l’impression qu’il s’active ou pour lancer des promesses sur des projets qui ne seront jamais réalisés.

Cinquième étape, il participe fréquemment à des congrès et des voyages à l’étranger. Il se donne ainsi gratuitement une stature internationale. Durant ces tournées, son service presse fait état tous les jours de ses activités: ‘’Il a eu un entretien fructueux avec le sous-secrétaire d’État à la pêche de Trinidad et Tobago, puis il a discuté de la conjoncture internationale à la lumière des conflits frontaliers en Asie centrale.’’ Et, nouvellement, il tente de mendier quelques aides au passage.

Entre-temps, il laisse périodiquement s’installer une crise spécifique (pénurie de carburant, de blé, de médicaments…) avant de venir en sauveur la résoudre ponctuellement.

Vers la fin de son mandat, il se met à débiter les causes de son échec: ‘’Suite à des obstacles politiques que tout le monde connait (?!), je n’ai pas pu réaliser tous mes projets.’’ Il annonce ceci au cours de la cérémonie de passation de pouvoir au nouveau ministre – qui, lui, va déclarer à cette occasion face aux journalistes: ‘’Mais laissez-moi le temps de prendre connaissance des dossiers…’’
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