De Colombo à Beyrouth, entre rationnement et révolte généralisée
Pénurie d’essence, coupures de courant drastiques, fonte des réserves en devises... Le Sri Lanka emprunte le même chemin tortueux que le Liban. La maison de l’ex-Premier ministre a été réduite en cendres, tandis qu’un parlementaire est mort lynché par la foule.

Crise économique, révolte généralisée contre la classe dirigeante corrompue, rationnement d’électricité drastique. Si ces quelques lignes décrivent la situation dans laquelle se trouve le Liban depuis deux ans, le Sri Lanka emprunte désormais la même descente aux enfers. La petite île située au sud du géant indien fait face à sa pire crise depuis des décennies. Le clan au pouvoir a dilapidé les réserves du pays, déjà fortement impacté par la pandémie de Covid-19, tarissant l’apport en devises étrangères générées par le tourisme. Le pays de 22 millions d’habitants n’a jamais connu pareille situation depuis son indépendance en 1948. L’inflation a atteint des records. Un couvre-feu nocturne est depuis peu en vigueur sur toute l'île.

Fin 2021, les réserves en devises du Sri Lanka s'élevaient à seulement 2,7 milliards de dollars, contre 7,5 milliards à l'arrivée au pouvoir des frères Rajapaksa deux ans plus tôt. Les denrées alimentaires d'importation ont commencé à disparaître des rayons, obligeant les commerces à les rationner. Puis le pétrole, l'essence et le kérosène se sont à leur tour raréfié. De longues files d'attente sont désormais routinières dans tout le pays, pour s'approvisionner en produits de première nécessité (alimentation, médicaments, carburants). Les coupures d'électricité maintiennent une grande partie de la capitale Colombo dans l'obscurité chaque nuit.

(Photo by ISHARA S. KODIKARA / AFP)

Déchainement de la rue


Les similitudes entre le pays du Cèdre et le Sri Lanka sont frappantes à plus d’un titre, comme si les mêmes malversations d’un régime prévaricateur engendraient les mêmes maux. La thawra (révolte) du 17 octobre 2019 a fait jaillir un vent d’espoir dans l’ensemble du Liban, pour tenter de mettre fin à l’hégémonie de la classe dirigeante accusée de corruption généralisée, responsable selon les manifestants et le peuple libanais dans sa très large majorité, de l’effondrement économique du pays. Même constat de déliquescence du pays, et même résultat au sein de la population libanaise et sri-lankaise, excédée par le pouvoir en place.

Mais contrairement au Liban, où la caste à la tête du système politico-financier semble manifestement inébranlable et protégée, après deux ans de chaos économique et de troubles sociaux, le peuple sri sankais semble, lui, déterminé à faire tomber le pouvoir en place, ou du moins à l’effrayer, y compris en ayant recours à la violence physique. Un député sri-lankais qui avait abattu un manifestant antigouvernemental cette semaine a ensuite été lynché par la foule en colère, a révélé vendredi un rapport médico-légal, contredisant un rapport de police concluant qu'il s'était suicidé. Amarakeerthi Athukorala a ouvert le feu lundi sur des personnes qui bloquaient le passage de sa voiture dans la ville de Nittambuwa, après que le Sri Lanka eut plongé dans la violence lorsqu'une bande de partisans du gouvernement a attaqué des manifestants pacifiques.

Quant à la maison ancestrale des Rajapaksa (le clan au pouvoir), elle a été incendiée par un groupe de manifestants antigouvernementaux, quelques heures après que Mahinda Rajapaksa, le patriarche du puissant clan a démissionné en réponse à la demande croissante pour son éviction en tant que Premier ministre du Sri Lanka. Quelques jours plus tard, un tribunal sri-lankais a interdit le 12 mai à l'ex-Premier ministre Mahinda Rajapaksa, à son fils Namal et à 15 de ses alliés de partir à l'étranger en raison des actes de violence commis contre des manifestants anti-gouvernementaux. Cet enchaînement d’événements violents et de mesures coercitives à l’encontre du pouvoir en place montre peut-être la différence principale avec le Liban, où l’immobilisme et la protection acharnée des dirigeants en place se perpétuent depuis des décennies. Malgré ces développements rapides, le Sri Lanka continue de s’enfoncer sans perspectives d’avenir.

Au total, neuf personnes ont été tuées dans des incidents liés aux troubles, tandis qu'au moins 225 ont été blessées et hospitalisées.  Le gouverneur de la Banque centrale a prévenu mercredi que l'économie risquait de « s'effondrer de manière irrémédiable » sans un gouvernement d'ici deux jours pour rétablir la stabilité politique nécessaire aux affaires.

Le président libanais Michel Aoun s’était vu offrir une tonne et demie de thé sri-lankais, réputé pour sa grande finesse, par l’ambassadrice du Sri Lanka, peu après l’explosion du port de Beyrouth, en août 2020. Ce geste bienveillant n’aura hélas pas porté chance au petit pays insulaire qui suit désormais la même funeste trajectoire libanaise…
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