L’immobilier, autrefois pilier de l’économie libanaise, a fini par s’effondrer comme tous les autres secteurs au Liban. Il a emporté dans sa chute les locataires qui n’ont plus les moyens de payer leurs quittances.
«Nous ne sommes pas à New York ou à Paris pour que les loyers soient aussi élevés», s’exclame Mohammed, comptable. Célibataire vivant à Beyrouth, cet homme de 37 ans est à la recherche d’un nouvel appartement, son contrat ayant pris fin en février 2022. «Je louais un appartement à 500 dollars, soit 750.000 livres, confie-t-il à Ici Beyrouth. Le propriétaire a refusé de renouveler mon contrat même en dollars frais, car il souhaite vendre tout l’immeuble. Une solution bien plus rentable pour lui que de continuer à louer sans y gagner.»
Pendant cinq mois, Mohammad était à la recherche, sur différents groupes Facebook, d’un logement standard avec une chambre à coucher. «Il faut compter entre 250 et 500 dollars pour ce type de logement selon le quartier, explique-t-il. Sans oublier les charges de l’immeuble qui coûtent au moins 300 000 livres, auxquels s’ajoutent deux autres millions de livres pour le générateur. Les propriétaires sont en train de demander 6 mois de loyer en avance. C’est beaucoup. J’ai donc abandonné mes recherches et je suis allé vivre chez mon frère.»
Pour lui, le gouvernement reste l’unique responsable de cette situation. «Tout est de la faute des mafieux qui nous gouvernent et qui n’ont pas su protéger ni les droits des locataires ni ceux des propriétaires, s’insurge Mohammad. Il faut également se mettre à la place des propriétaires. Ils ne vont pas non plus louer à perte». Il estime que l’État devrait assurer en priorité un logement aux citoyens libanais. «Les Irakiens et les Syriens vivant dans le quartier de Hamra ont contribué à l'augmentation des prix des loyers. Les étrangers peuvent payer les loyers six mois en avance et en dollars frais, contrairement aux Libanais», constate-t-il. Et Mohammad de poursuivre: «Au Liban, on nous fait tout payer, même les secondes de sommeil. Comment voulez-vous qu’on puisse aimer et défendre ce pays quand dormir nous coûte aussi cher?».
L’explosion de la bulle immobilière
Avec la dévaluation de la livre libanaise, se loger devient un luxe que de nombreux citoyens ne peuvent plus se permettre. De fait, l’immobilier au Liban a longtemps bénéficié d’une bulle, et pour cause: de nombreux étrangers venus du Golfe investissaient à Beyrouth et dans ses environs. Après des années d’instabilité économique et politique, la bulle a fini par éclater. Depuis le début de la crise financière, les Libanais ont vu leur pouvoir d’achat dramatiquement réduit et font face à une grande difficulté pour se loger. Ils se retrouvent à valser entre un salaire en livres libanaises qui ne vaut plus rien et un loyer en dollars frais, certes revu à la baisse mais toujours aussi élevé par rapport à leur faible rémunération salariale.
Jeanine, mère de deux enfants, se retrouve dans une situation similaire. «Mon mari est militaire, raconte-t-elle. Il gagne 2,5 millions de livres. Nous vivons à Mansourieh et notre loyer est de 600 dollars soit 900.000 livres au taux de change de 1.500 livres. Le contrat se termine fin juin et nous cherchons depuis trois mois une alternative, mais nous ne trouvons pas de loyer en dessous de 200 dollars frais soit le double de ce que gagne mon mari.»
Jeanine ne travaillant pas, elle n’a d’autre choix que d’aller vivre avec les siens chez sa belle-famille. Mais malgré cela, elle comprend que les propriétaires souhaitent augmenter les loyers, car le coût de la vie est devenu trop cher. Malheureusement les salaires des locataires ne suivent pas toujours. «Certains propriétaires essaient d’aider du mieux qu’ils peuvent, mais la situation est difficile pour tout le monde», dit-elle.
Propriétaires et locataires, un même combat
«Le problème, c’est qu’il n’y a plus d’appartement décent. Soit on tombe dans le luxe, soit on trouve des taudis», dit Karim, un entrepreneur. «J’ai loué pendant un an un appartement meublé d’environ 90 mètres carrés à Ras Beyrouth pour 1.200 dollars. Au départ, le propriétaire demandait tout le montant en dollars frais. Nous avons trouvé un accord en faisant moitié dollars, moitié lollars (dollar bancaire au taux de 8.000 livres). Mais tous les mois, il essayait d’augmenter le loyer, jusqu’à ce que je paie 800 dollars frais, charges comprises. J’avais l’impression de payer beaucoup trop pour un appartement dans lequel je passais très peu de temps», poursuit-il.
Karim a décidé alors de retourner à la maison de ses parents. Mais il continue de chercher, puisqu’il souhaite préserver son indépendance. «Je sais qu’actuellement le propriétaire loue l’appartement à 1.800 dollars frais. Les propriétaires préfèrent attendre et trouver quelqu’un qui est prêt à payer le prix fort. Ce type d’appartement meublé est souvent demandé par les ONG, les diplomates et les personnes travaillant à l’ONU», dit-il. Pour Karim, cette niche a détruit le marché de l’immobilier avec des prix beaucoup trop extravagants par rapport aux services offerts par les propriétaires.
Même constat du côté des propriétaires. «En 2019, j’ai loué mon appartement de 100 mètres carrés pour 12.000 dollars par an, explique Chadi, 50 ans, commerçant. Depuis 2020, je percevais le loyer en lollars. Le contrat s’est terminé en 2022 et j’ai fini par le louer à 5.000 dollars l’année. Si j’augmente le prix, personne ne le louera.»
Pour lui, le prix de l’immobilier à Beyrouth a toujours été surévalué, 20% au-dessus de la valeur réelle du marché. «Depuis la crise, les prix ont considérablement chuté. Je loue moi-même un entrepôt à 4.000 dollars frais par an, contre 20.000 dollars il y a deux ans. Il n’y aucune loi pour réglementer le secteur», constate-t-il.
Chadi estime que tout le monde est perdant dans cette situation. «Certains propriétaires sont encore en train de rembourser des prêts à la banque à un taux de change de 1.500 livres et d’autres louent des appartements sous un ancien contrat», fait-il remarquer.
La loi de la jungle
«Il n’y a pas de régulation pour le marché de l’immobilier au Liban, c’est la loi de l’offre et de la demande», souligne Karim Ghazzaoui, avocat à la cour. Il rappelle qu’il y a deux types de loyers, ceux datant d’avant 1992 qu’on appelle les anciens loyers et ceux effectués après cette date.
«En 1992, il y a eu une prorogation légale des loyers par la loi 160/92, explique-t-il. À la fin de la guerre civile, le législateur a trouvé injuste d’expulser les locataires qui ont perdu leur argent ou n’avaient plus les moyens de payer.»
En temps de crise économique, la loi sur les anciens loyers pose un grave problème pour les propriétaires qui continuent à percevoir les réglements en livres libanaises. «En 2014, une nouvelle loi a prorogé l’application de l’ancienne loi sur les anciens loyers, jusqu’en 2018 pour les locations commerciales et jusqu’à 2023 pour les logements résidentiels, rappelle Karim Ghazzaoui. Si le propriétaire souhaite rompre le contrat, il peut soit négocier à l’amiable avec le locataire soit intenter un procès et c’est le tribunal qui décidera du montant des dédommagements.»
La loi de 2014 est entrée en vigueur en 2015 et a permis une augmentation annuelle et graduelle du loyer au profit du propriétaire. Mais avec la récente inflation, le propriétaire reste perdant puisque selon l’article 142 du code des obligations et des contrats, il n’est pas en droit de modifier le montant du loyer pendant toute la durée du contrat, et selon le code de la monnaie et du crédit, il ne peut pas refuser un paiement en livres libanaises même si le contrat est en dollars. Pourtant, depuis le début de la crise, de nombreux propriétaires imposent un paiement en dollars frais alors que les locataires perçoivent un salaire en livres.
Pour Me Ghazzaoui, la loi de l’offre et de la demande nuit gravement aux deux parties et devrait être réformée au plus vite. «Le loyer devrait être estimé selon de nombreux critères, comme celui de l’état de l’immeuble, le nombre d’années depuis sa construction, et le quartier dans lequel il se trouve. Il est urgent d’amender cette loi», avance-t-il.
La crise économique qui sévit depuis trois ans au Liban a fait remonter à la surface tous les maux et les illusions de la société. Si la loi sur les loyers n’est pas réformée rapidement, de nombreux Libanais risquent de se retrouver à la rue notamment à l’approche de 2023, date à laquelle la loi sur les anciens loyers ne sera plus applicable.
«Nous ne sommes pas à New York ou à Paris pour que les loyers soient aussi élevés», s’exclame Mohammed, comptable. Célibataire vivant à Beyrouth, cet homme de 37 ans est à la recherche d’un nouvel appartement, son contrat ayant pris fin en février 2022. «Je louais un appartement à 500 dollars, soit 750.000 livres, confie-t-il à Ici Beyrouth. Le propriétaire a refusé de renouveler mon contrat même en dollars frais, car il souhaite vendre tout l’immeuble. Une solution bien plus rentable pour lui que de continuer à louer sans y gagner.»
Pendant cinq mois, Mohammad était à la recherche, sur différents groupes Facebook, d’un logement standard avec une chambre à coucher. «Il faut compter entre 250 et 500 dollars pour ce type de logement selon le quartier, explique-t-il. Sans oublier les charges de l’immeuble qui coûtent au moins 300 000 livres, auxquels s’ajoutent deux autres millions de livres pour le générateur. Les propriétaires sont en train de demander 6 mois de loyer en avance. C’est beaucoup. J’ai donc abandonné mes recherches et je suis allé vivre chez mon frère.»
Pour lui, le gouvernement reste l’unique responsable de cette situation. «Tout est de la faute des mafieux qui nous gouvernent et qui n’ont pas su protéger ni les droits des locataires ni ceux des propriétaires, s’insurge Mohammad. Il faut également se mettre à la place des propriétaires. Ils ne vont pas non plus louer à perte». Il estime que l’État devrait assurer en priorité un logement aux citoyens libanais. «Les Irakiens et les Syriens vivant dans le quartier de Hamra ont contribué à l'augmentation des prix des loyers. Les étrangers peuvent payer les loyers six mois en avance et en dollars frais, contrairement aux Libanais», constate-t-il. Et Mohammad de poursuivre: «Au Liban, on nous fait tout payer, même les secondes de sommeil. Comment voulez-vous qu’on puisse aimer et défendre ce pays quand dormir nous coûte aussi cher?».
L’explosion de la bulle immobilière
Avec la dévaluation de la livre libanaise, se loger devient un luxe que de nombreux citoyens ne peuvent plus se permettre. De fait, l’immobilier au Liban a longtemps bénéficié d’une bulle, et pour cause: de nombreux étrangers venus du Golfe investissaient à Beyrouth et dans ses environs. Après des années d’instabilité économique et politique, la bulle a fini par éclater. Depuis le début de la crise financière, les Libanais ont vu leur pouvoir d’achat dramatiquement réduit et font face à une grande difficulté pour se loger. Ils se retrouvent à valser entre un salaire en livres libanaises qui ne vaut plus rien et un loyer en dollars frais, certes revu à la baisse mais toujours aussi élevé par rapport à leur faible rémunération salariale.
Jeanine, mère de deux enfants, se retrouve dans une situation similaire. «Mon mari est militaire, raconte-t-elle. Il gagne 2,5 millions de livres. Nous vivons à Mansourieh et notre loyer est de 600 dollars soit 900.000 livres au taux de change de 1.500 livres. Le contrat se termine fin juin et nous cherchons depuis trois mois une alternative, mais nous ne trouvons pas de loyer en dessous de 200 dollars frais soit le double de ce que gagne mon mari.»
Jeanine ne travaillant pas, elle n’a d’autre choix que d’aller vivre avec les siens chez sa belle-famille. Mais malgré cela, elle comprend que les propriétaires souhaitent augmenter les loyers, car le coût de la vie est devenu trop cher. Malheureusement les salaires des locataires ne suivent pas toujours. «Certains propriétaires essaient d’aider du mieux qu’ils peuvent, mais la situation est difficile pour tout le monde», dit-elle.
Propriétaires et locataires, un même combat
«Le problème, c’est qu’il n’y a plus d’appartement décent. Soit on tombe dans le luxe, soit on trouve des taudis», dit Karim, un entrepreneur. «J’ai loué pendant un an un appartement meublé d’environ 90 mètres carrés à Ras Beyrouth pour 1.200 dollars. Au départ, le propriétaire demandait tout le montant en dollars frais. Nous avons trouvé un accord en faisant moitié dollars, moitié lollars (dollar bancaire au taux de 8.000 livres). Mais tous les mois, il essayait d’augmenter le loyer, jusqu’à ce que je paie 800 dollars frais, charges comprises. J’avais l’impression de payer beaucoup trop pour un appartement dans lequel je passais très peu de temps», poursuit-il.
Karim a décidé alors de retourner à la maison de ses parents. Mais il continue de chercher, puisqu’il souhaite préserver son indépendance. «Je sais qu’actuellement le propriétaire loue l’appartement à 1.800 dollars frais. Les propriétaires préfèrent attendre et trouver quelqu’un qui est prêt à payer le prix fort. Ce type d’appartement meublé est souvent demandé par les ONG, les diplomates et les personnes travaillant à l’ONU», dit-il. Pour Karim, cette niche a détruit le marché de l’immobilier avec des prix beaucoup trop extravagants par rapport aux services offerts par les propriétaires.
Même constat du côté des propriétaires. «En 2019, j’ai loué mon appartement de 100 mètres carrés pour 12.000 dollars par an, explique Chadi, 50 ans, commerçant. Depuis 2020, je percevais le loyer en lollars. Le contrat s’est terminé en 2022 et j’ai fini par le louer à 5.000 dollars l’année. Si j’augmente le prix, personne ne le louera.»
Pour lui, le prix de l’immobilier à Beyrouth a toujours été surévalué, 20% au-dessus de la valeur réelle du marché. «Depuis la crise, les prix ont considérablement chuté. Je loue moi-même un entrepôt à 4.000 dollars frais par an, contre 20.000 dollars il y a deux ans. Il n’y aucune loi pour réglementer le secteur», constate-t-il.
Chadi estime que tout le monde est perdant dans cette situation. «Certains propriétaires sont encore en train de rembourser des prêts à la banque à un taux de change de 1.500 livres et d’autres louent des appartements sous un ancien contrat», fait-il remarquer.
La loi de la jungle
«Il n’y a pas de régulation pour le marché de l’immobilier au Liban, c’est la loi de l’offre et de la demande», souligne Karim Ghazzaoui, avocat à la cour. Il rappelle qu’il y a deux types de loyers, ceux datant d’avant 1992 qu’on appelle les anciens loyers et ceux effectués après cette date.
«En 1992, il y a eu une prorogation légale des loyers par la loi 160/92, explique-t-il. À la fin de la guerre civile, le législateur a trouvé injuste d’expulser les locataires qui ont perdu leur argent ou n’avaient plus les moyens de payer.»
En temps de crise économique, la loi sur les anciens loyers pose un grave problème pour les propriétaires qui continuent à percevoir les réglements en livres libanaises. «En 2014, une nouvelle loi a prorogé l’application de l’ancienne loi sur les anciens loyers, jusqu’en 2018 pour les locations commerciales et jusqu’à 2023 pour les logements résidentiels, rappelle Karim Ghazzaoui. Si le propriétaire souhaite rompre le contrat, il peut soit négocier à l’amiable avec le locataire soit intenter un procès et c’est le tribunal qui décidera du montant des dédommagements.»
La loi de 2014 est entrée en vigueur en 2015 et a permis une augmentation annuelle et graduelle du loyer au profit du propriétaire. Mais avec la récente inflation, le propriétaire reste perdant puisque selon l’article 142 du code des obligations et des contrats, il n’est pas en droit de modifier le montant du loyer pendant toute la durée du contrat, et selon le code de la monnaie et du crédit, il ne peut pas refuser un paiement en livres libanaises même si le contrat est en dollars. Pourtant, depuis le début de la crise, de nombreux propriétaires imposent un paiement en dollars frais alors que les locataires perçoivent un salaire en livres.
Pour Me Ghazzaoui, la loi de l’offre et de la demande nuit gravement aux deux parties et devrait être réformée au plus vite. «Le loyer devrait être estimé selon de nombreux critères, comme celui de l’état de l’immeuble, le nombre d’années depuis sa construction, et le quartier dans lequel il se trouve. Il est urgent d’amender cette loi», avance-t-il.
La crise économique qui sévit depuis trois ans au Liban a fait remonter à la surface tous les maux et les illusions de la société. Si la loi sur les loyers n’est pas réformée rapidement, de nombreux Libanais risquent de se retrouver à la rue notamment à l’approche de 2023, date à laquelle la loi sur les anciens loyers ne sera plus applicable.
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