Dans ce château du Périgord, Joséphine Baker a caché des armes pour la Résistance, reçu la Légion d’honneur et élevé une « tribu arc-en-ciel » de douze enfants adoptés partout dans le monde : lieu de tous ses espoirs, les Milandes sont maintenant lieu de mémoire. Son petit Panthéon.
Photos Philippe LOPEZ/AFP
« C’est là que ma mère a passé la plus longue partie de sa vie, près de 30 ans », explique à l’AFP Brian Bouillon-Baker devant ce château de la fin du XVe siècle, en surplomb de la Dordogne, à Castelnaud-la-Chapelle. Plus qu’aux États-Unis, qui l’ont vu naître, qu’à Paris, son « amour » de toujours, et Monaco, où l’accueillit la princesse Grace.
Dans les années 50 et 60, l’ancienne star des années folles fait s’épanouir aux Milandes une drôle de famille, douze enfants de religions et de cultures différentes adoptés très jeunes avec son quatrième -et dernier- mari, le chef d’orchestre Jo Bouillon, épousé dans la chapelle du château en 1947.
« Elle les a élevés dans l’idée qu’il n’y a qu’une seule race, la race humaine », dans la droite ligne du combat de sa vie contre le racisme, nourri de son enfance de Noire américaine, résume la propriétaire des lieux, Angélique de Labarre, qui a transformé la grande bâtisse de pierres blondes et tuiles plates en musée Joséphine Baker.
« Maman a réussi à fédérer ces 12 petites entités qui n’étaient pas destinées à vivre ensemble en une famille soudée, malgré nos différences », souligne l’aîné de la tribu Akio Bouillon, 70 ans, adopté au Japon en 1954.
Avec Brian, 65 ans, adopté en Algérie, ils décrivent une mère « protectrice », « attentionnée et ferme ». « Elle ne voulait pas qu’on grimpe dans les magnolias, qu’on coure après les paons ou qu’on joue avec des arcs et des flèches », souffle Brian en montrant les longues branches des arbres majestueux. « Même le vélo, c’était dangereux ».
Une « mère poule » qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, avait eu le cran de traverser le désert en jeep avec les Forces françaises libres, entre Maroc et Libye, ou de faire passer des messages secrets à destination du contre-espionnage allié.
Une « mamma à l’italienne » se souvient aussi Brian en déambulant dans la cuisine du château. « Tous les dimanches soirs, elle préparait une grande marmite de spaghettis à la bolognaise. C’était le seul jour où elle cuisinait ».
« Des ours, des singes »
Dans ce coin de Périgord, la tribu arc-en-ciel était « une curiosité », confie Brian, auteur de +Joséphine Baker l’universelle+ (Éditions du Rocher). « Une famille nombreuse, multiethnique, vivant dans un château, on a vite compris que c’était spécial. Mais à l’école, on s’est fondu dans la masse », assure Akio.
« Quand leur mère revenait de déplacement, les enfants avaient des gadgets, des cadeaux, des choses qu’on n’avait pas l’habitude de voir ici », se rappelle l’actuel maire de Castelnaud Daniel Dejean, qui a fréquenté les bancs de la communale avec certains petits Bouillon-Baker.
La tribu n’était pas la seule attraction locale, car Joséphine et Jo, avant leur séparation, ont fait éclore autour du château une sorte de complexe de loisirs avant l’heure.
Une piscine (en J, comme Joséphine et Jo), un hôtel, un restaurant, un mini-golf, une animalerie, une ferme de 300 hectares, énumère Mme de Labarre. Jusqu’à 120 personnes y ont travaillé, selon elle.
« Grâce à elle, dans ce bourg de 150 habitants, il y avait un jardin avec des ours, des singes, des plantes... une salle de spectacle qui existe encore et a vu passer Bécaud, Brialy... et même une station-service ! », se remémore Germinal Peiro, président (PS) du Conseil départemental originaire du village voisin, Beynac.
« Après-guerre, Joséphine a contribué à faire connaître le Périgord au plan touristique, à l’instar de Lascaux. On venait de toute la France pour la voir », poursuit M. Peiro, évoquant une femme qui « dégageait quelque chose d’extraordinaire ». « Gamins, on était très impressionnés quand on la voyait. C’était une star mondiale ». Mais le « village du monde » voulu par cette femme hors norme n’a pas vécu.
« Certains ont abusé d’elle, triché sur les factures... Tout le monde le sait ici. C’était une artiste, pas une gestionnaire », assure Germinal Peiro. D’après Mme de Labarre, elle payait les factures d’eau et d’électricité de presque tout le village, sans le savoir.
En 1964, Brigitte Bardot lance un appel télévisé et signe un gros chèque qui sauve les Milandes. Mais quatre ans plus tard, les bâtiments sont vendus aux enchères et l’artiste expulsée, à 62 ans. « Le pire moment de sa vie », selon Brian. Grace de Monaco lui offrira l’hospitalité.
« Elle a peut-être vu trop grand », glisse Angélique de Labarre, désormais gardienne du souvenir.
© Agence France-Presse
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Photos Philippe LOPEZ/AFP
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Dans les années 50 et 60, l’ancienne star des années folles fait s’épanouir aux Milandes une drôle de famille, douze enfants de religions et de cultures différentes adoptés très jeunes avec son quatrième -et dernier- mari, le chef d’orchestre Jo Bouillon, épousé dans la chapelle du château en 1947.
« Elle les a élevés dans l’idée qu’il n’y a qu’une seule race, la race humaine », dans la droite ligne du combat de sa vie contre le racisme, nourri de son enfance de Noire américaine, résume la propriétaire des lieux, Angélique de Labarre, qui a transformé la grande bâtisse de pierres blondes et tuiles plates en musée Joséphine Baker.
« Maman a réussi à fédérer ces 12 petites entités qui n’étaient pas destinées à vivre ensemble en une famille soudée, malgré nos différences », souligne l’aîné de la tribu Akio Bouillon, 70 ans, adopté au Japon en 1954.
Avec Brian, 65 ans, adopté en Algérie, ils décrivent une mère « protectrice », « attentionnée et ferme ». « Elle ne voulait pas qu’on grimpe dans les magnolias, qu’on coure après les paons ou qu’on joue avec des arcs et des flèches », souffle Brian en montrant les longues branches des arbres majestueux. « Même le vélo, c’était dangereux ».
Une « mère poule » qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, avait eu le cran de traverser le désert en jeep avec les Forces françaises libres, entre Maroc et Libye, ou de faire passer des messages secrets à destination du contre-espionnage allié.
Une « mamma à l’italienne » se souvient aussi Brian en déambulant dans la cuisine du château. « Tous les dimanches soirs, elle préparait une grande marmite de spaghettis à la bolognaise. C’était le seul jour où elle cuisinait ».
« Des ours, des singes »
Dans ce coin de Périgord, la tribu arc-en-ciel était « une curiosité », confie Brian, auteur de +Joséphine Baker l’universelle+ (Éditions du Rocher). « Une famille nombreuse, multiethnique, vivant dans un château, on a vite compris que c’était spécial. Mais à l’école, on s’est fondu dans la masse », assure Akio.
« Quand leur mère revenait de déplacement, les enfants avaient des gadgets, des cadeaux, des choses qu’on n’avait pas l’habitude de voir ici », se rappelle l’actuel maire de Castelnaud Daniel Dejean, qui a fréquenté les bancs de la communale avec certains petits Bouillon-Baker.
La tribu n’était pas la seule attraction locale, car Joséphine et Jo, avant leur séparation, ont fait éclore autour du château une sorte de complexe de loisirs avant l’heure.
Une piscine (en J, comme Joséphine et Jo), un hôtel, un restaurant, un mini-golf, une animalerie, une ferme de 300 hectares, énumère Mme de Labarre. Jusqu’à 120 personnes y ont travaillé, selon elle.
« Grâce à elle, dans ce bourg de 150 habitants, il y avait un jardin avec des ours, des singes, des plantes... une salle de spectacle qui existe encore et a vu passer Bécaud, Brialy... et même une station-service ! », se remémore Germinal Peiro, président (PS) du Conseil départemental originaire du village voisin, Beynac.
« Après-guerre, Joséphine a contribué à faire connaître le Périgord au plan touristique, à l’instar de Lascaux. On venait de toute la France pour la voir », poursuit M. Peiro, évoquant une femme qui « dégageait quelque chose d’extraordinaire ». « Gamins, on était très impressionnés quand on la voyait. C’était une star mondiale ». Mais le « village du monde » voulu par cette femme hors norme n’a pas vécu.
« Certains ont abusé d’elle, triché sur les factures... Tout le monde le sait ici. C’était une artiste, pas une gestionnaire », assure Germinal Peiro. D’après Mme de Labarre, elle payait les factures d’eau et d’électricité de presque tout le village, sans le savoir.
En 1964, Brigitte Bardot lance un appel télévisé et signe un gros chèque qui sauve les Milandes. Mais quatre ans plus tard, les bâtiments sont vendus aux enchères et l’artiste expulsée, à 62 ans. « Le pire moment de sa vie », selon Brian. Grace de Monaco lui offrira l’hospitalité.
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