Dans la décision ministérielle no.84/2022, publiée le 24 mai, le ministre de la Culture du gouvernement d'expédition des affaires courantes, Mohammad Mortada, a confié à la soprano libanaise Hiba Kawas les fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général par intérim du Conservatoire national supérieur de musique du Liban, suite à la démission de Walid Moussallem.
Une fois n’est pas coutume, dit-on, et pourtant les exceptions au Liban se font de plus en plus nombreuses, de plus en plus partiales, de plus en plus éhontées. Dans le pays de l’anarchie où les dérogations, exemptions, privilèges et passe-droits se multiplient perpétuellement, où la règle finit par devenir exception, où toute réforme est obstruée par des interventions politiques, et où la compétence et l’équité deviennent la proie d'intérêts personnels et de logiques de pouvoir, s’accélèrent la désagrégation de la société et des institutions publiques, l’individualisation des règles et la segmentation du droit, soufflet suprême à toute justice.
Le Conservatoire national supérieur de musique (CNSM), qui est censé être la plus haute référence musicale du pays, s’avère être à l’image de ce pays en continuelle décadence, truffé d’exceptions, d’infractions et d’abus. La démission de Walid Moussallem, propulsé, par intérim, à la tête du vivier musical national, de 2014 à 2018, puis de 2021, suite à la mort du directeur titulaire du CNSM, le virtuose Bassam Saba, jusqu’à mai 2022, et la nomination de la soprano Hiba Kawas en qualité de directeur, font partie de ces "exceptions".
La démission de Moussallem qui pourrait paraître, à première vue, inopinée, était prévisible. L’ancien directeur par intérim avait, à plusieurs reprises, exprimé sa volonté de céder les rennes du conservatoire à de nouveaux candidats, afin d’infuser un "sang nouveau" dans les veines de cette institution vieillissante malgré elle. "Il est temps de tourner la page, confie Walid Moussallem à Ici Beyrouth. Après six ans de direction, une prise de conscience et un retour vers soi s’imposent." Le pianiste et docteur en philosophie, qui fête en juin ses 63 printemps, s’insurge contre la situation "dramatique" à laquelle le pays en général et le conservatoire en particulier font face depuis plusieurs mois : "Au conservatoire, nous nous retrouvons face à une impasse. Nous ne pouvons pas continuer à donner des cours de musique en ligne mais en même temps, je ne pouvais pas demander aux professeurs de venir enseigner en présentiel alors que leur salaire ne vaut presque plus rien, et le prix des carburants, et donc du transport, poursuit sa flambée", explique celui qui aspirait à devenir directeur titulaire, mais en vain. Et de conclure : "Face à cette situation sans issue, j’ai préféré quitter mes fonctions et ouvrir la voie à quelqu’un d’autre pour gérer la situation".
Suite à cette démission, et selon la décision ministérielle no.84/2022, la soprano libanaise Hiba Kawas, soutenue par Bahia Hariri, a été nommée, par le ministre de la Culture du gouvernement démissionnaire, Mohammad Mortada, présidente du conseil d'administration et directrice générale par intérim du CNSM du Liban. Toutefois, cette décision contredit la distribution sur le mode confessionnel des postes de première catégorie, selon laquelle la position de directeur du conservatoire national est réservée à un chrétien grec orthodoxe. Tout candidat à ce poste devrait, donc, impérativement répondre à deux critères, académique et confessionnel, qui imposent que ce dernier soit un chrétien grec orthodoxe, et en même temps détenteur d’un diplôme d’études supérieures en musique (de type conservatoire) et d’un master musicologique (universitaire). Or la protégée de Walid Gholmié, de confession musulmane sunnite, ne répond pas à ces critères. De plus, en feuilletant les annales du conservatoire, on se rend aussitôt compte que cette dérogation flagrante est loin d’être unique : la nomination de Hanna al-Amil en 2011 puis celle de Walid Moussallem en 2014 et en 2021, constituent également une atteinte au consensus national à substrat confessionnel, donc une infraction claire et nette au principe de l’équité entre les confessions, ces deux derniers étant respectivement maronite et grec catholique.
La mise en place d’un État laïque qui notamment fait reposer l’attribution des fonctions publiques de premier plan sur les compétences professionnelles plutôt que sur l’appartenance communautaire est un objectif auquel aspire un grand nombre de Libanais. Cette approche, qui certes est appelée à mettre fin au clientélisme, à la corruption et aux ingérences étrangères, reste toutefois utopique dans un Liban où la pérennisation de la logique confessionnelle puise sa légitimité dans le Pacte national et les équilibres fondateurs de l’entité libanaise.
Briser le statu quo confessionnel d’une façon partiale et partielle ne relève nullement d’un effort de laïcisation, mais érige en dogme la loi du plus fort. D’aucuns prétendent que le statut intérimaire de cette nomination justifie une telle non-conformité, ce qui est pourtant aberrant pour deux raisons. Premièrement, il a bien été dit que c’est à l’aune du passé qu’on comprend le présent. Il est donc bien temps de comprendre qu’il n’y a que le provisoire qui dure au Liban. Le conservatoire national en est le parfait exemple, et ce depuis plus d’une décennie. Deuxièmement, il est vrai que, parfois, la fin justifie les moyens mais, dans ce contexte, cela n’est valable que lorsqu’aucun candidat ne répond aux deux critères précités, ce qui est loin d’être le cas. En effet, plusieurs noms (ayant présenté leur candidature à ce poste auprès du Conseil de la fonction publique en 2016) remplissent le double critère confessionnel et académique ; l’exemple le plus probant reste Nidaa Abou Mrad, de confession grecque orthodoxe, professeur en musique et musicologie et exerçant les fonctions de doyen d’une faculté musicologique qui, grâce à son expérience et ses compétences académiques, pourrait contribuer au redressement du vivier musical national boiteux.
La soprano libanaise prendra, donc, "pour la durée de la vacance de ce poste ou jusqu'à décision contraire", selon le décret ministériel, les rennes du CNSM du Liban. N’est-il pas temps que justice et équité soient rétablies ? On attend.
Une fois n’est pas coutume, dit-on, et pourtant les exceptions au Liban se font de plus en plus nombreuses, de plus en plus partiales, de plus en plus éhontées. Dans le pays de l’anarchie où les dérogations, exemptions, privilèges et passe-droits se multiplient perpétuellement, où la règle finit par devenir exception, où toute réforme est obstruée par des interventions politiques, et où la compétence et l’équité deviennent la proie d'intérêts personnels et de logiques de pouvoir, s’accélèrent la désagrégation de la société et des institutions publiques, l’individualisation des règles et la segmentation du droit, soufflet suprême à toute justice.
Le Conservatoire national supérieur de musique (CNSM), qui est censé être la plus haute référence musicale du pays, s’avère être à l’image de ce pays en continuelle décadence, truffé d’exceptions, d’infractions et d’abus. La démission de Walid Moussallem, propulsé, par intérim, à la tête du vivier musical national, de 2014 à 2018, puis de 2021, suite à la mort du directeur titulaire du CNSM, le virtuose Bassam Saba, jusqu’à mai 2022, et la nomination de la soprano Hiba Kawas en qualité de directeur, font partie de ces "exceptions".
Prise de conscience
La démission de Moussallem qui pourrait paraître, à première vue, inopinée, était prévisible. L’ancien directeur par intérim avait, à plusieurs reprises, exprimé sa volonté de céder les rennes du conservatoire à de nouveaux candidats, afin d’infuser un "sang nouveau" dans les veines de cette institution vieillissante malgré elle. "Il est temps de tourner la page, confie Walid Moussallem à Ici Beyrouth. Après six ans de direction, une prise de conscience et un retour vers soi s’imposent." Le pianiste et docteur en philosophie, qui fête en juin ses 63 printemps, s’insurge contre la situation "dramatique" à laquelle le pays en général et le conservatoire en particulier font face depuis plusieurs mois : "Au conservatoire, nous nous retrouvons face à une impasse. Nous ne pouvons pas continuer à donner des cours de musique en ligne mais en même temps, je ne pouvais pas demander aux professeurs de venir enseigner en présentiel alors que leur salaire ne vaut presque plus rien, et le prix des carburants, et donc du transport, poursuit sa flambée", explique celui qui aspirait à devenir directeur titulaire, mais en vain. Et de conclure : "Face à cette situation sans issue, j’ai préféré quitter mes fonctions et ouvrir la voie à quelqu’un d’autre pour gérer la situation".
Rupture du statu quo
Suite à cette démission, et selon la décision ministérielle no.84/2022, la soprano libanaise Hiba Kawas, soutenue par Bahia Hariri, a été nommée, par le ministre de la Culture du gouvernement démissionnaire, Mohammad Mortada, présidente du conseil d'administration et directrice générale par intérim du CNSM du Liban. Toutefois, cette décision contredit la distribution sur le mode confessionnel des postes de première catégorie, selon laquelle la position de directeur du conservatoire national est réservée à un chrétien grec orthodoxe. Tout candidat à ce poste devrait, donc, impérativement répondre à deux critères, académique et confessionnel, qui imposent que ce dernier soit un chrétien grec orthodoxe, et en même temps détenteur d’un diplôme d’études supérieures en musique (de type conservatoire) et d’un master musicologique (universitaire). Or la protégée de Walid Gholmié, de confession musulmane sunnite, ne répond pas à ces critères. De plus, en feuilletant les annales du conservatoire, on se rend aussitôt compte que cette dérogation flagrante est loin d’être unique : la nomination de Hanna al-Amil en 2011 puis celle de Walid Moussallem en 2014 et en 2021, constituent également une atteinte au consensus national à substrat confessionnel, donc une infraction claire et nette au principe de l’équité entre les confessions, ces deux derniers étant respectivement maronite et grec catholique.
Loi du plus fort
La mise en place d’un État laïque qui notamment fait reposer l’attribution des fonctions publiques de premier plan sur les compétences professionnelles plutôt que sur l’appartenance communautaire est un objectif auquel aspire un grand nombre de Libanais. Cette approche, qui certes est appelée à mettre fin au clientélisme, à la corruption et aux ingérences étrangères, reste toutefois utopique dans un Liban où la pérennisation de la logique confessionnelle puise sa légitimité dans le Pacte national et les équilibres fondateurs de l’entité libanaise.
Briser le statu quo confessionnel d’une façon partiale et partielle ne relève nullement d’un effort de laïcisation, mais érige en dogme la loi du plus fort. D’aucuns prétendent que le statut intérimaire de cette nomination justifie une telle non-conformité, ce qui est pourtant aberrant pour deux raisons. Premièrement, il a bien été dit que c’est à l’aune du passé qu’on comprend le présent. Il est donc bien temps de comprendre qu’il n’y a que le provisoire qui dure au Liban. Le conservatoire national en est le parfait exemple, et ce depuis plus d’une décennie. Deuxièmement, il est vrai que, parfois, la fin justifie les moyens mais, dans ce contexte, cela n’est valable que lorsqu’aucun candidat ne répond aux deux critères précités, ce qui est loin d’être le cas. En effet, plusieurs noms (ayant présenté leur candidature à ce poste auprès du Conseil de la fonction publique en 2016) remplissent le double critère confessionnel et académique ; l’exemple le plus probant reste Nidaa Abou Mrad, de confession grecque orthodoxe, professeur en musique et musicologie et exerçant les fonctions de doyen d’une faculté musicologique qui, grâce à son expérience et ses compétences académiques, pourrait contribuer au redressement du vivier musical national boiteux.
La soprano libanaise prendra, donc, "pour la durée de la vacance de ce poste ou jusqu'à décision contraire", selon le décret ministériel, les rennes du CNSM du Liban. N’est-il pas temps que justice et équité soient rétablies ? On attend.
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