J’ai été invitée un jour à donner des conférences sur l’histoire de la danse. Si ce cycle a suscité chez certain.e.s curiosité et intérêt, j’ai été étonnée par d’autres réactions : selon elleux, qu’y a-t-il vraiment à apprendre sur la danse ? Je ne vous cache pas ma déception, mais qu’à cela ne tienne, je voudrais vous faire découvrir cet incroyable univers qui vaut beaucoup plus d’attention qu’on ne lui prête. Parlons danse !
« En détournant intentionnellement le corps de son aspect utilitaire pour le mettre au service de l’art et du symbole, la danse remplit pour l’humanité de nombreuses et différentes fonctions. » (Malaïka Weber)
La danse est présente partout, dans toutes les cultures. On en trouve déjà des traces dans la préhistoire, comme le dessin pariétal du *Sorcier dansant* dans la grotte des Trois Frères en Ariège (France) d’il y a 17 000 ans, les tombes ornées de dessins de danseurs en Égypte antique (- 3150, - 30) ou encore des gravures de danses d’environ 30 000 ans sur les roches de Bhimetka, en Inde.
La danse est le miroir de chaque époque et évolue avec les populations ou, pour paraphraser l’idée d’Hegel, la danse est fille de son temps. Au départ, elle est surtout sociale : elle permet de resserrer les liens dans les communautés autour de rituels dansants. Par exemple, la *dabké* serait, à l’origine, une cadence de frappes au sol exécutée ensemble par un groupe, afin de tasser la terre des toits des maisons au Liban, en Syrie, etc. La danse de la pluie est une danse de cérémonie dont le but est d’appeler cette pluie et d’assurer la protection des récoltes. Nombreuses cultures la pratiquent, comme les Indiens Cherokee. Certaines danses revêtent un caractère religieux, comme les cérémonies soufies Samā des derviches, ou la danse de la guérison dite Mukisi des ethnies lalies et yakas congolaises. La danse permet également de se distraire et se faire plaisir ; et les danses de couples comme la salsa, le tango en sont un exemple, ou la danse dite orientale.
La danse est aussi « spectaculaire », faite pour être vécue (par le.la danseur.se), mais aussi regardée (par un public). Nombreuses danses sociales ont évolué à travers un processus d’artification pour devenir des danses de spectacle, imposant une technique plus importante, un espace scénique, une mise en scène, devenant des objets d’esthétique, des moments de grâce ou des spectacles engagés, porteurs de message. Il existe des compétitions de danse de couples ; le ballet classique est construit pour être sur scène. Une pionnière de la danse moderne, Martha Graham, questionne le désir féminin ou encore l’identité américaine dans son travail.
La danse interagit avec la société, illustrant les codes de cette dernière ou au contraire, la défiant pour la faire évoluer. Je pense notamment à Isadora Duncan, danseuse fin XIXe début XXe, qui a opté pour des costumes de danse faits de tissus légers, refusant l’obligatoire corset qu’elle voyait (et pas à tort !) comme un emprisonnement du corps féminin.
Il est même prouvé que la danse peut être thérapeutique et la danse-thérapie permet un travail du corps qui nourrit un travail psychique en donnant accès à l’intériorité de chacun, afin de s’exprimer au-delà des mots.
Parlons science aussi ! Selon le neuroscientifique Rodolfo Llinás dans son livre *I of the Vortex* (2001), le mouvement corporel construit le cerveau, car ce dernier prend forme en enregistrant les modèles de coordination neuromusculaire. La danse non seulement sollicite le corps dans sa globalité, avec le travail sur l’équilibre, le réflexe, la proprioception, la libération d’endorphine et l’intelligence kinesthésique (du mouvement), mais simule aussi le cerveau et la créativité avec la coordination des mouvements, la conscience de l’espace, la concentration, la mémoire et tout le travail autour de l’inventivité autour de la danse. D’ailleurs, la capacité à danser, ou plutôt à maîtriser notre corps, existe avant la parole. J’ai envie d’évoquer la muse de la danse, Terpsichore, qui mènerait le cortège des muses, image même de l’antériorité de la danse sur les autres arts (mais ce n’est pas une compétition !) Le musicologue Curt Sachs affirme que si la poésie et la musique sont des arts du temps et l’architecture et les arts plastiques sont des arts de l’espace, la danse combine les deux, espace et temps. « Avant de confier ses émotions à la pierre, au verbe, au son, l’homme se sert de son propre corps pour organiser l’espace et pour rythmer le temps. » (Curt Sachs).
Et pouvons-nous nier que la danse n’est pas aussi bénéfique pour le public, le spectateur ? Ne vit-on pas un plaisir devant un beau spectacle de danse voire une sorte de catharsis ? C’est comme vivre la danse et son expérience de liberté par procuration à travers la.le danseur.se, profiter de la beauté esthétique, et s’inspirer. Danser est une autre façon de parler de soi, de s’exprimer, que ce soit avec une grande technicité ou de manière totalement spontanée. Danser pour se retrouver (avec soi ou les autres), se défouler, faire passer un message, toucher le public, échanger, etc. C’est le lien entre le corps et l’esprit, l’énergie et la connaissance de soi : « La danse est la langue cachée de l’âme ». (Marthe Graham)
Je laisse la parole à Khalil Gibran pour finir de vous inspirer par la danse :
« Jadis vint à la cour du Prince de Birkasha une danseuse avec ses musiciens. Elle fut admise à la cour et dansa devant le prince sur la musique du luth, de la flûte et de la cithare.
Elle dansa la danse des flammes, et la danse des épées et des lances ; elle dansa la danse des étoiles et la danse de l’espace. Et puis elle dansa la danse des fleurs dans le vent.
Après cela elle se tint devant le trône du prince et s’inclina devant lui. Et le prince lui ordonna de se rapprocher, et il lui dit : ‘‘ Belle femme, fille de la grâce et du plaisir, d'où vient ton art ? Et comment fais-tu pour commander à tous les éléments dans tes rythmes et tes rimes ?’’
Et la danseuse s’inclina à nouveau devant le prince et elle répondit : ‘‘Puissante et gracieuse Majesté, je ne connais pas la réponse à tes questions. Je sais seulement ceci. L’âme du philosophe réside dans sa tête, l’âme du poète est dans son cœur, mais l’âme de la danseuse demeure dans tout son corps. »
1- Précisons, tout de même, que ceci est d’un point de vue perceptif : la musique, du fait de la vibration sonore qu’elle émet, est aussi spatiale.
« En détournant intentionnellement le corps de son aspect utilitaire pour le mettre au service de l’art et du symbole, la danse remplit pour l’humanité de nombreuses et différentes fonctions. » (Malaïka Weber)
La danse est présente partout, dans toutes les cultures. On en trouve déjà des traces dans la préhistoire, comme le dessin pariétal du *Sorcier dansant* dans la grotte des Trois Frères en Ariège (France) d’il y a 17 000 ans, les tombes ornées de dessins de danseurs en Égypte antique (- 3150, - 30) ou encore des gravures de danses d’environ 30 000 ans sur les roches de Bhimetka, en Inde.
La danse est le miroir de chaque époque et évolue avec les populations ou, pour paraphraser l’idée d’Hegel, la danse est fille de son temps. Au départ, elle est surtout sociale : elle permet de resserrer les liens dans les communautés autour de rituels dansants. Par exemple, la *dabké* serait, à l’origine, une cadence de frappes au sol exécutée ensemble par un groupe, afin de tasser la terre des toits des maisons au Liban, en Syrie, etc. La danse de la pluie est une danse de cérémonie dont le but est d’appeler cette pluie et d’assurer la protection des récoltes. Nombreuses cultures la pratiquent, comme les Indiens Cherokee. Certaines danses revêtent un caractère religieux, comme les cérémonies soufies Samā des derviches, ou la danse de la guérison dite Mukisi des ethnies lalies et yakas congolaises. La danse permet également de se distraire et se faire plaisir ; et les danses de couples comme la salsa, le tango en sont un exemple, ou la danse dite orientale.
La danse est aussi « spectaculaire », faite pour être vécue (par le.la danseur.se), mais aussi regardée (par un public). Nombreuses danses sociales ont évolué à travers un processus d’artification pour devenir des danses de spectacle, imposant une technique plus importante, un espace scénique, une mise en scène, devenant des objets d’esthétique, des moments de grâce ou des spectacles engagés, porteurs de message. Il existe des compétitions de danse de couples ; le ballet classique est construit pour être sur scène. Une pionnière de la danse moderne, Martha Graham, questionne le désir féminin ou encore l’identité américaine dans son travail.
La danse interagit avec la société, illustrant les codes de cette dernière ou au contraire, la défiant pour la faire évoluer. Je pense notamment à Isadora Duncan, danseuse fin XIXe début XXe, qui a opté pour des costumes de danse faits de tissus légers, refusant l’obligatoire corset qu’elle voyait (et pas à tort !) comme un emprisonnement du corps féminin.
Il est même prouvé que la danse peut être thérapeutique et la danse-thérapie permet un travail du corps qui nourrit un travail psychique en donnant accès à l’intériorité de chacun, afin de s’exprimer au-delà des mots.
Parlons science aussi ! Selon le neuroscientifique Rodolfo Llinás dans son livre *I of the Vortex* (2001), le mouvement corporel construit le cerveau, car ce dernier prend forme en enregistrant les modèles de coordination neuromusculaire. La danse non seulement sollicite le corps dans sa globalité, avec le travail sur l’équilibre, le réflexe, la proprioception, la libération d’endorphine et l’intelligence kinesthésique (du mouvement), mais simule aussi le cerveau et la créativité avec la coordination des mouvements, la conscience de l’espace, la concentration, la mémoire et tout le travail autour de l’inventivité autour de la danse. D’ailleurs, la capacité à danser, ou plutôt à maîtriser notre corps, existe avant la parole. J’ai envie d’évoquer la muse de la danse, Terpsichore, qui mènerait le cortège des muses, image même de l’antériorité de la danse sur les autres arts (mais ce n’est pas une compétition !) Le musicologue Curt Sachs affirme que si la poésie et la musique sont des arts du temps et l’architecture et les arts plastiques sont des arts de l’espace, la danse combine les deux, espace et temps. « Avant de confier ses émotions à la pierre, au verbe, au son, l’homme se sert de son propre corps pour organiser l’espace et pour rythmer le temps. » (Curt Sachs).
Et pouvons-nous nier que la danse n’est pas aussi bénéfique pour le public, le spectateur ? Ne vit-on pas un plaisir devant un beau spectacle de danse voire une sorte de catharsis ? C’est comme vivre la danse et son expérience de liberté par procuration à travers la.le danseur.se, profiter de la beauté esthétique, et s’inspirer. Danser est une autre façon de parler de soi, de s’exprimer, que ce soit avec une grande technicité ou de manière totalement spontanée. Danser pour se retrouver (avec soi ou les autres), se défouler, faire passer un message, toucher le public, échanger, etc. C’est le lien entre le corps et l’esprit, l’énergie et la connaissance de soi : « La danse est la langue cachée de l’âme ». (Marthe Graham)
Je laisse la parole à Khalil Gibran pour finir de vous inspirer par la danse :
« Jadis vint à la cour du Prince de Birkasha une danseuse avec ses musiciens. Elle fut admise à la cour et dansa devant le prince sur la musique du luth, de la flûte et de la cithare.
Elle dansa la danse des flammes, et la danse des épées et des lances ; elle dansa la danse des étoiles et la danse de l’espace. Et puis elle dansa la danse des fleurs dans le vent.
Après cela elle se tint devant le trône du prince et s’inclina devant lui. Et le prince lui ordonna de se rapprocher, et il lui dit : ‘‘ Belle femme, fille de la grâce et du plaisir, d'où vient ton art ? Et comment fais-tu pour commander à tous les éléments dans tes rythmes et tes rimes ?’’
Et la danseuse s’inclina à nouveau devant le prince et elle répondit : ‘‘Puissante et gracieuse Majesté, je ne connais pas la réponse à tes questions. Je sais seulement ceci. L’âme du philosophe réside dans sa tête, l’âme du poète est dans son cœur, mais l’âme de la danseuse demeure dans tout son corps. »
1- Précisons, tout de même, que ceci est d’un point de vue perceptif : la musique, du fait de la vibration sonore qu’elle émet, est aussi spatiale.
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