Le cycle de conférences économiques qui s’est déroulé hier mardi à l’USJ a été au final une belle pièce montée dans le cadre du processus de mainmise politicienne sur les dépôts des gens, qui ont été, selon l’un des intervenants, assez imbéciles pour faire confiance.
Une occasion ratée mardi pour l’USJ, université d’excellence par ailleurs, de montrer qu’elle sait accommoder une confrontation d’idées avec un minimum d’objectivité. C’est qu’un cycle de conférences y a été organisé autour des thèmes économiques du jour: le plan de redressement, la situation des banques, le secret bancaire. Des patates chaudes bien fumantes scrutées… par des intervenants de même bord, ce qui élimine d'emblée une confrontation d’idées et ouvre la voie à des encensements des uns aux autres. Seul Riad Obégi, PDG de la banque Bemo, a tenté de sauver les meubles, mais en dix minutes de prise de parole sur quatre heures d’assaut continu.
Voilà pour la forme. Pour le fond, il y a deux façons de présenter les débats: technocratique édulcorée ou crue. Pour faire bien les choses, on va avoir recours aux deux.
Est-ce que les banques sont en état de cessation de paiement? Bien sûr, répond le professeur de droit Antoine Eid, puisqu’elles ne peuvent pas répondre aux demandes de retrait des déposants, et puisque les chèques bancaires émis ne sont pas honorés par la Banque centrale (BDL) pour «défaut de provision» (alors que les banques détiennent bien des provisions à la BDL). Il ajoute quand même que, selon la loi, dans le cas d’une faillite et d'une liquidation d’une entreprise, les créanciers doivent être remboursés au prorata de leurs dettes, sans distinction entre petits et grands.
Tous à la même enseigne
Si la situation est présentée de cette façon, toutes les banques sont alors dans un état de cessation de paiement, répond Riad Obégi, sauf que, nuance… aucune banque au monde ne peut satisfaire toutes les demandes de retrait si elles affluent en même temps. D’autant plus que la BDL impose déjà 15% de réserves obligatoires, autant de liquidité non disponible pour les banques. Makram Sader, ancien secrétaire général de l’Association des banques, avait rappelé par le passé que la BDL, par une série de circulaires depuis 20 ans, a imposé en fait bien plus que ces 15% de dépôts. Riad Obégi en rajoute, en réponse à ceux qui diabolisent les banques: «Il est quand même étonnant d’affirmer que les conseils d’administration des 60 banques du pays se sont tous trompés dans leur gérance, et de la même façon, et/ou sont potentiellement frauduleux, comme on le prétend parfois, alors que ces mêmes administrations ont réussi dans 22 autres pays».
Mais ceci n’émeut pas outre mesure Saadé Chami, vice-Premier ministre et père du «plan de redressement» du Liban. Ses idées de sortie de crise semblent sans appel. En version édulcorée technocratique, elles signifient: Il y a un trou de 72 milliards de dollars, mais comme les efforts potentiels de redressement de l’État et de la BDL ne seront pas suffisants, on va faire payer les banques et les déposants. Voilà, c’est ainsi: on négocie et on prend des décisions sans même que les principaux plumés (secteur privé, banques et déposants) ne soient invités aux négociations ou, s’ils le sont, sans qu’on ne tienne compte de leurs observations. Il est vrai, d’après Saadé Chami, que sur ces 72 milliards, 63 sont comptabilisés au passif de la BDL, et 9 milliards au passif des banques, mais la BDL ne peut plus financer l’État qui, garant de la BDL, n’est plus en mesure de rembourser ses dettes à son tour, donc…
Maintenant, la version crue: nous avons pillé l’État, puis la BDL. Aujourd'hui, il est temps de mettre la main sur les dépôts, en liquidant au passage la plupart des banques.
On pense au peuple
«On refuse de mettre à profit les actifs de l’État, qui appartiennent à l’ensemble des Libanais, pour générer des surplus financiers afin de rembourser quelques déposants.» D’après Saadé Chami, ce ne sera jamais suffisant, alors qu’aucune étude sérieuse n’a été menée sur le sujet. Version crue: si on laisse filer ces actifs (ports, aéroport…), on n’aura plus rien à se mettre sous la dent. Malheureusement, parmi les intervenants, il n’y a personne pour développer une argumentation différente.
Paradoxalement, le ministre a cité l'or, évalué à 17 milliards de dollars, comme possible source financière en cas de besoin. Mais comme vendre l'or n'est tout simplement pas possible, il s'agirait dans son esprit juste d'un élément dans l'équation théorique actifs/passifs détenus par l'État.
La même équation se répète dans ses grandes lignes entre la mouture du plan de redressement du gouvernement de Hassane Diab, comme l’a rappelé Alain Bifani, ancien directeur général du ministère des Finances et membre permanent du Conseil central de la BDL, et celle de Saadé Chami. Avec une différence: comme le trou s’est creusé entre-temps, on pourra sauver encore moins de dépôts. Personne ne dit que cette dégradation de 20 milliards de dollars supplémentaires est aussi le résultat de la politique de subventions, dont le gros a servi principalement à financer la contrebande vers la Syrie.
Les déposants ont fait confiance
Au passage, on égratigne encore une fois les méchants déposants et les banques complices, qui ont fait «fuir» des dépôts au début de la crise, quand même bien ce n’était point illégal au regard de la loi. Personne d’ailleurs parmi les présents n’ose rappeler que le gouverneur de la BDL, mandaté par les banques, a fait le tour des trois pôles du pouvoir, dès 2019, pour réclamer une loi de contrôle de capitaux. En vain. Le président de la Chambre, Nabih Berry, et le Hezbollah n’ont rien voulu savoir. La fine fleur de la moumanaa, dont Saadé Chami est d’ailleurs un proche allié.
Riad Obégi rectifie: «les transferts de capitaux vers l’étranger ont commencé en fait dès 2011, aux premiers signes de la crise, et se sont poursuivis tout au long de la décennie, ce qui fait que les plus malins ont sauvé leur mise, et ne restent que les ‘imbéciles’ qui ont eu confiance jusqu’au bout, et ce sont ceux-là qui seront sanctionnés!» Il s’agit, on le rappelle, de la décennie où le Hezbollah a enchaîné les blocages politiques et fait fuir nos bailleurs de fonds du Golfe, provoquant un épuisement des ressources. Mais personne n’a évoqué cet instigateur initial et fondamental du trou financier, parce qu’il est plus facile de choisir ses cibles et de s’y accrocher, en occultant le problème de fond. Qui persiste toujours. Le politologue Karim Bitar écarte d’ailleurs d’un revers de la main un quelconque impact du comportement du Hezbollah sur la crise, comme si les pratiques de la milice pro-iranienne étaient un facteur marginal, presque anecdotique.
Saadé Chami dit vouloir rembourser les petits dépôts, mais sans garantie sur le qualificatif «petit», éventuellement 100.000 dollars (87% des comptes), qu’on remboursera probablement en LL au taux du marché, soit des dizaines de trillions de LL supplémentaires. Quant aux gros déposants, ils devront passer à la caisse.
Puis il répète, avec d’autres, que le retour de la confiance reste la clé de toute solution. Un paradoxe absurde. Un intervenant de l’assistance le fait d’ailleurs remarquer: la ponction des dépôts tuera la confiance pour des décennies à venir. «Comment voulez-vous que les détenteurs de capitaux, qui sont les investisseurs potentiels, mettent encore un seul sou pour relancer l’économie?» interroge-t-il.
Ceux qui ont profité le plus doivent payer le plus, insiste Alain Bifani. Encore une contestation d’un intervenant: «Non, une distinction doit être établie entre ceux qui ont fait des profit de façon illégale, et les autres».
Pas de réaction. Comment peut-on un instant imaginer que la classe politique se mette à se sanctionner elle-même?
Une occasion ratée mardi pour l’USJ, université d’excellence par ailleurs, de montrer qu’elle sait accommoder une confrontation d’idées avec un minimum d’objectivité. C’est qu’un cycle de conférences y a été organisé autour des thèmes économiques du jour: le plan de redressement, la situation des banques, le secret bancaire. Des patates chaudes bien fumantes scrutées… par des intervenants de même bord, ce qui élimine d'emblée une confrontation d’idées et ouvre la voie à des encensements des uns aux autres. Seul Riad Obégi, PDG de la banque Bemo, a tenté de sauver les meubles, mais en dix minutes de prise de parole sur quatre heures d’assaut continu.
Voilà pour la forme. Pour le fond, il y a deux façons de présenter les débats: technocratique édulcorée ou crue. Pour faire bien les choses, on va avoir recours aux deux.
Est-ce que les banques sont en état de cessation de paiement? Bien sûr, répond le professeur de droit Antoine Eid, puisqu’elles ne peuvent pas répondre aux demandes de retrait des déposants, et puisque les chèques bancaires émis ne sont pas honorés par la Banque centrale (BDL) pour «défaut de provision» (alors que les banques détiennent bien des provisions à la BDL). Il ajoute quand même que, selon la loi, dans le cas d’une faillite et d'une liquidation d’une entreprise, les créanciers doivent être remboursés au prorata de leurs dettes, sans distinction entre petits et grands.
Tous à la même enseigne
Si la situation est présentée de cette façon, toutes les banques sont alors dans un état de cessation de paiement, répond Riad Obégi, sauf que, nuance… aucune banque au monde ne peut satisfaire toutes les demandes de retrait si elles affluent en même temps. D’autant plus que la BDL impose déjà 15% de réserves obligatoires, autant de liquidité non disponible pour les banques. Makram Sader, ancien secrétaire général de l’Association des banques, avait rappelé par le passé que la BDL, par une série de circulaires depuis 20 ans, a imposé en fait bien plus que ces 15% de dépôts. Riad Obégi en rajoute, en réponse à ceux qui diabolisent les banques: «Il est quand même étonnant d’affirmer que les conseils d’administration des 60 banques du pays se sont tous trompés dans leur gérance, et de la même façon, et/ou sont potentiellement frauduleux, comme on le prétend parfois, alors que ces mêmes administrations ont réussi dans 22 autres pays».
Mais ceci n’émeut pas outre mesure Saadé Chami, vice-Premier ministre et père du «plan de redressement» du Liban. Ses idées de sortie de crise semblent sans appel. En version édulcorée technocratique, elles signifient: Il y a un trou de 72 milliards de dollars, mais comme les efforts potentiels de redressement de l’État et de la BDL ne seront pas suffisants, on va faire payer les banques et les déposants. Voilà, c’est ainsi: on négocie et on prend des décisions sans même que les principaux plumés (secteur privé, banques et déposants) ne soient invités aux négociations ou, s’ils le sont, sans qu’on ne tienne compte de leurs observations. Il est vrai, d’après Saadé Chami, que sur ces 72 milliards, 63 sont comptabilisés au passif de la BDL, et 9 milliards au passif des banques, mais la BDL ne peut plus financer l’État qui, garant de la BDL, n’est plus en mesure de rembourser ses dettes à son tour, donc…
Maintenant, la version crue: nous avons pillé l’État, puis la BDL. Aujourd'hui, il est temps de mettre la main sur les dépôts, en liquidant au passage la plupart des banques.
On pense au peuple
«On refuse de mettre à profit les actifs de l’État, qui appartiennent à l’ensemble des Libanais, pour générer des surplus financiers afin de rembourser quelques déposants.» D’après Saadé Chami, ce ne sera jamais suffisant, alors qu’aucune étude sérieuse n’a été menée sur le sujet. Version crue: si on laisse filer ces actifs (ports, aéroport…), on n’aura plus rien à se mettre sous la dent. Malheureusement, parmi les intervenants, il n’y a personne pour développer une argumentation différente.
Paradoxalement, le ministre a cité l'or, évalué à 17 milliards de dollars, comme possible source financière en cas de besoin. Mais comme vendre l'or n'est tout simplement pas possible, il s'agirait dans son esprit juste d'un élément dans l'équation théorique actifs/passifs détenus par l'État.
La même équation se répète dans ses grandes lignes entre la mouture du plan de redressement du gouvernement de Hassane Diab, comme l’a rappelé Alain Bifani, ancien directeur général du ministère des Finances et membre permanent du Conseil central de la BDL, et celle de Saadé Chami. Avec une différence: comme le trou s’est creusé entre-temps, on pourra sauver encore moins de dépôts. Personne ne dit que cette dégradation de 20 milliards de dollars supplémentaires est aussi le résultat de la politique de subventions, dont le gros a servi principalement à financer la contrebande vers la Syrie.
Les déposants ont fait confiance
Au passage, on égratigne encore une fois les méchants déposants et les banques complices, qui ont fait «fuir» des dépôts au début de la crise, quand même bien ce n’était point illégal au regard de la loi. Personne d’ailleurs parmi les présents n’ose rappeler que le gouverneur de la BDL, mandaté par les banques, a fait le tour des trois pôles du pouvoir, dès 2019, pour réclamer une loi de contrôle de capitaux. En vain. Le président de la Chambre, Nabih Berry, et le Hezbollah n’ont rien voulu savoir. La fine fleur de la moumanaa, dont Saadé Chami est d’ailleurs un proche allié.
Riad Obégi rectifie: «les transferts de capitaux vers l’étranger ont commencé en fait dès 2011, aux premiers signes de la crise, et se sont poursuivis tout au long de la décennie, ce qui fait que les plus malins ont sauvé leur mise, et ne restent que les ‘imbéciles’ qui ont eu confiance jusqu’au bout, et ce sont ceux-là qui seront sanctionnés!» Il s’agit, on le rappelle, de la décennie où le Hezbollah a enchaîné les blocages politiques et fait fuir nos bailleurs de fonds du Golfe, provoquant un épuisement des ressources. Mais personne n’a évoqué cet instigateur initial et fondamental du trou financier, parce qu’il est plus facile de choisir ses cibles et de s’y accrocher, en occultant le problème de fond. Qui persiste toujours. Le politologue Karim Bitar écarte d’ailleurs d’un revers de la main un quelconque impact du comportement du Hezbollah sur la crise, comme si les pratiques de la milice pro-iranienne étaient un facteur marginal, presque anecdotique.
Saadé Chami dit vouloir rembourser les petits dépôts, mais sans garantie sur le qualificatif «petit», éventuellement 100.000 dollars (87% des comptes), qu’on remboursera probablement en LL au taux du marché, soit des dizaines de trillions de LL supplémentaires. Quant aux gros déposants, ils devront passer à la caisse.
Puis il répète, avec d’autres, que le retour de la confiance reste la clé de toute solution. Un paradoxe absurde. Un intervenant de l’assistance le fait d’ailleurs remarquer: la ponction des dépôts tuera la confiance pour des décennies à venir. «Comment voulez-vous que les détenteurs de capitaux, qui sont les investisseurs potentiels, mettent encore un seul sou pour relancer l’économie?» interroge-t-il.
Ceux qui ont profité le plus doivent payer le plus, insiste Alain Bifani. Encore une contestation d’un intervenant: «Non, une distinction doit être établie entre ceux qui ont fait des profit de façon illégale, et les autres».
Pas de réaction. Comment peut-on un instant imaginer que la classe politique se mette à se sanctionner elle-même?
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